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(Septembre 1750.
Volume I, page 275.)
La première [boutique] en entrant à main
droite dans la foire, avoit cet écriteau-ci :
Cabaret
du Parnasse.
A L'Enseigne du cocher de M. de Verthamont.
Vin d'Hypocrène
à la glace. Magasin de vins en gros et en détail à
juste prix, puisqu'on ne paiera rien.
Au Printemps il fleurit
Au mois d'août, il mûrit ;
En Automne,
On l'entonne ;
En hiver,
On s'en sert.
La première à gauche étoit celle-ci :
Café du
Parnasse.
Eau glacée du sacré Vallon,
liqueurs fraîches ; petits vers
glacés, comédies à la glace, tragédies froides, et
toutes sortes d'autres rafraîchissemens.
La seconde à droite :
Magasin
d’hyperboles et de Mensonges.
Le sieur de la Léthargie,
poëte suivant la Cour, compose des odes à la louange
de tout le monde ; il fait les harangues pour
l’Académie ; des épîtres dédicatoires, et vend
toutes sortes d'éloges, distillés et passés à
l'alambic.
La seconde à gauche :
Magasin d’amphigouris.
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Le sieur Galimathias,
Allemand, fait tous les opéras nouveaux, les
tragédies d'été, des dissertations sur le cœur et
l'esprit, qui sont toutes faites ; il a seul le
secret qu'on n’y perd rien, lorsqu'on ne le comprend
pas.
La troisième à droite :
Magasin de fadeurs.
Mademoiselle Fadasse,
marchande de madrigaux et de pain d'épices, de
bouquets pour Iris, d’anis de Verdun, d'éloges
sucrés, et de
toutes sortes de dragées pour les femmes et
les petits enfans.
La troisième à gauche :
Magasin de
vers tristes.
La veuve du sieur
Deprofundis, fait et vend toutes sortes d'épitaphes,
à la dernière mode, et des épithalames pour les
mariages, fait des romances, des élégies et des
cantiques qui ne sont pas spirituels : elle
compose son opium elle-même, et guérit toutes sortes
d'insomnies.
La quatrième à droite :
Magasin d’ordures.
Le sieur Libertini,
Italien, fait toutes les chansons, où il y a du
mouton, des contes plus forts que ceux de la
Fontaine, et des épigrammes à la Rousseau. Il fait
aussi toutes sortes de déclarations d'amour à la
mode, c'est-à-dire, des jouissances. Il grave ses
figures lui-même.
Enfin, la quatrième à gauche :
Magasin de
noirceurs.
Le sieur Roué, poëte
satyrique, fait et vend des satyres à l'eau-de-vie, des
épigrammes au feu d'enfer, du sublimé corrosif, et
toutes sortes de libelles diffamatoires. Il compose
ses poisons lui-même.
J'avois placé
dans chacune de ces boutiques les plus jolies
femmes-de-chambre, et des hommes qui imitoient les
cris des marchands et marchandes, et qui appeloient
le chaland. Par exemple, dans le magasin de
chansons, le marchand crioit : « Des
flons flons, des lanturelu, de beaux lanla,
Mesdames ! des lairelanlaire, des mirlitons,
des mamie Margot, Messieurs !
Dans la boutique du café, la marchande
crioit : A la fraîche, qui veut
boire ! à la fraîche, qui veut lire ! à
la fraîche, qui veut entendre comédies froides,
petits vers glacés, et toutes sortes d’autres
rafraîchissemens !
Dans celle des
noirceurs, le marchand, d’une voix dure,
disoit : « Chansons infames sur la cour
et la ville ; couplets satyriques contre les
amans qui quittent les premiers, mesdames !
épigrammes au feu d’enfer contre les femmes qui ne
veulent pas se rendre, messieurs ! Entrez
ici, Messieurs et Mesdames, nous avons tout ce
qu’il y a de plus noir contre la réputation des
hommes et l'honneur des femmes. Entrez ici , je
vous accommoderai, Mesdames, je vous accommoderai ».
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