Éditions PLEIN CHANT
Marginalia

7 avril 2014

Charles Collé (1709-1783), lecteur du duc d'Orléans, auteur de pièces de théâtre divertissantes, de chansons badines, aussi charmantes que lestes, s'occupait des divertissements de la Cour. Le 7 septembre 1750, il organisa en l'honneur de Madame de Meulan une fête à Étioles sur le thème de « La Foire du Parnasse ». Dans le jardin, les invités trouvaient, entre mille animations, des boutiques de foire, chacune munie d'un écriteau illuminé. Le texte qui suit, illustré par nos soins, est extrait des Mémoires de Collé, publiés posthumes.
 
 



Charles Collé



Journal historique ou Mémoires critiques et littéraires

Paris
De l'Imprimerie Bibliographique
1805




 
(Septembre 1750. Volume I, page 275.)
La première [boutique] en entrant à main droite dans la foire, avoit cet écriteau-ci :

Cabaret du Parnasse.
A L'Enseigne du cocher de M. de Verthamont.



Vin d'Hypocrène à la glace. Magasin de vins en gros et en détail à juste prix, puisqu'on ne paiera rien.
Au Printemps il fleurit
Au mois d'août, il mûrit ;
En Automne,
On l'entonne ;
En hiver,
On s'en sert.

La première à gauche étoit celle-ci :

Café du Parnasse.

Eau glacée du sacré Vallon, liqueurs fraîches ; petits  vers glacés, comédies à la glace, tragédies froides, et toutes sortes d'autres rafraîchissemens.

La seconde à droite :

Magasin d’hyperboles et de Mensonges.

Le sieur de la Léthargie, poëte suivant la Cour, compose des odes à la louange de tout le monde ; il fait les harangues pour l’Académie ; des épîtres dédicatoires, et vend toutes sortes d'éloges, distillés et passés à l'alambic.

La seconde à gauche :


     Magasin d’amphigouris.
      

Le sieur Galimathias, Allemand, fait tous les opéras nouveaux, les tragédies d'été, des dissertations sur le cœur et l'esprit, qui sont toutes faites ; il a seul le secret qu'on n’y perd rien, lorsqu'on ne le comprend pas.

La troisième à droite :

Magasin de fadeurs.

Mademoiselle Fadasse, marchande de madrigaux et de pain d'épices, de bouquets pour Iris, d’anis de Verdun, d'éloges sucrés, et de  toutes sortes de dragées pour les femmes et les petits enfans.

La troisième à gauche :

Magasin de vers tristes.

La veuve du sieur Deprofundis, fait et vend toutes sortes d'épitaphes, à la dernière mode, et des épithalames pour les mariages, fait des romances, des élégies et des cantiques qui ne sont pas spirituels : elle compose son opium elle-même, et guérit toutes sortes d'insomnies.

La quatrième à droite :

Magasin d’ordures.

Le sieur Libertini, Italien, fait toutes les chansons, où il y a du mouton, des contes plus forts que ceux de la Fontaine, et des épigrammes à la Rousseau. Il fait aussi toutes sortes de déclarations d'amour à la mode, c'est-à-dire, des jouissances. Il grave ses figures lui-même.

Enfin, la quatrième à gauche : 

Magasin de noirceurs.

Le sieur Roué, poëte satyrique, fait et vend des satyres à l'eau-de-vie, des épigrammes au feu d'enfer, du sublimé corrosif, et toutes sortes de libelles diffamatoires. Il compose ses poisons lui-même.



 

   J'avois placé dans chacune de ces boutiques les plus jolies femmes-de-chambre, et des hommes qui imitoient les cris des marchands et marchandes, et qui appeloient le chaland. Par exemple, dans le magasin de chansons, le marchand crioit : « Des flons flons, des lanturelu, de beaux lanla, Mesdames ! des lairelanlaire, des mirlitons, des mamie Margot, Messieurs !
   Dans la boutique du café, la marchande crioit : A la fraîche, qui veut boire ! à la fraîche, qui veut lire ! à la fraîche, qui veut entendre comédies froides, petits vers glacés, et toutes sortes d’autres rafraîchissemens !
  Dans celle des noirceurs, le marchand, d’une voix dure, disoit : « Chansons infames sur la cour et la ville ; couplets satyriques contre les amans qui quittent les premiers, mesdames ! épigrammes au feu d’enfer contre les femmes qui ne veulent pas se rendre, messieurs ! Entrez ici, Messieurs et Mesdames, nous avons tout ce qu’il y a de plus noir contre la réputation des hommes et l'honneur des femmes. Entrez ici , je vous accommoderai, Mesdames, je vous accommoderai ».




 

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