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Octave Uzanne (1851-1931) proposa, en une vente mémorable à l'Hôtel Drouot, vendredi 2 et samedi 3 mars 1894, une grande part de sa bibliothèque. Comme de coutume, la vente fut précédée d'un catalogue dont chacun des numéros était assorti d'un commentaire, par Uzanne lui-même. Titre de couverture : Quelques-uns des livres contemporains en exemplaires choisis, curieux ou uniques Tirés de la Bibliothèque d'un Écrivain et Bibliophile parisien Et qui seront livrés aux enchères les 2 et 3 Mars 1894. Je consulte le catalogue numérisé de la BnF, qui m'apprend qu'un premier exemplaire a été volé. La bibliothèque, heureusement, en possédait un autre, mis à la disposition du public du rez-de-chaussée. N'ayant aucun goût pour l'anxiogène bâtiment de Tolbiac, je cherche sur Internet. Le livre est numérisé, j'enregistre ce livre-google. Voici l'adresse, pour que vous regardiez et souffriez avec moi :
https://archive.org/stream/notespourlabibl00uzangoog#page/n0/mode/2up
Le livre, ou plutôt sa reproduction, commence par la page de titre : Tiens ! Pas de couverture. La couverture d'un livre lui appartient, non ? et fait partie de son être physique. Entre temps, le vérificateur orthographique automatique m'apprend que "Uzanne" est mal orthographié, et doit être remplacé par "Suzanne". J'ignore, et faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je clique et reclique sur le simulacre de livre pour tourner les pages d'une manière qui me paraît bête, sinon abrutissante. J'essaie Gallica. J'ai droit à la couverture, mais obscure, indistincte. Je fais défiler les pages, agissant toujours en automate, cette fois verticalement, si bien que me voici de retour à la lecture des rouleaux de l'Antiquité, en leur temps déjà fort incommode. Que ce soit dans l'un ou l'autre de ces objets durs et froids, j'ai trouvé ce que je cherchais, mais je reste insatisfaite, indignée des gestes mécaniques qui viennent de m'être imposés. Lorsque je lis un vrai livre, je tourne aussi les pages machinalement, et parfois, même, deux pages restent collées – un défaut inexistant dans un livre numérisé diront les progressistes. Certes, mais lorsque je veux revenir en arrière à telle page dont j'ai besoin pour comprendre la page que je suis en train de lire, je sais, en gros, où elle se trouve, je tourne par paquets de feuilles et, parfois, je m'attarde çà et là en une lecture buissonnière qui m'ouvre des chemins restés ignorés lors de la première lecture. Impossible de "lire" ainsi un livre mécanisé qui sollicite mon attention tout entière pour cette opération d'une bêtise absolue : cliquer, et cliquer dans l'ordre des pages, l'une après l'autre. Après cette expérience malheureuse, je n'ai qu'un seul désir : acheter le livre, un vrai livre à toucher, à feuilleter, à ouvrir sans la prothèse de l'ordinateur. Par le biais d'Internet dont nul ne peut nier l'efficacité marchande, je reçois par la poste, quelques jours plus tard, mon livre. Il a été relié à la Bradel, pour le commandant Servant, un Breton, tirailleur dans les régions d'Oran et de Constantine qui, tout militaire qu'il était, trouvait sa consolation dans le travail et la solitude puisqu'il avait choisi la devise : IN LABORE ET SOLITUDINE SOLAMEN. Ci-dessous, Edgar Servant en uniforme, sur son ex-libris démesurément agrandi pour être bien lisible : Le
commandant bibliophile vendra sa bibliothèque
en 1916.
Revenons à Octave Uzanne ; voici
deux reproductions d'après le vrai
livre-catalogue de vente :
la
couverture – enfin –, et la page de titre.
Ce
genre de catalogue se lit comme on lit un
livre, d'autant plus que l'auteur s'est
laissé aller à quelques confidences, ainsi
au n° 282, page
95 :
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