Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

15 août 2016

    






 

La mer et la rage




  


C'est la saison des vacances… Aller au bord de la
mer ? Pourquoi pas ? Prendre des bains de mer pour son seul plaisir, l’idée, de nos jours, manque d’originalité, ce qui n’était pas le cas autrefois, lorsque l'expression aller à la mer prenait un sens particulier.
Dans la Correspondance littéraire, philosophique et critique…, par le baron de Grimm et Diderot (Paris, 1812, t. II,
décembre 1771, p. 125), on peut lire cette épigramme, envoyée à La Harpe, directeur du Mercure, par Linguet (Henri-Simon-Nicolas L.), son ennemi littéraire, le lundi 5 novembre 1771, et publiée dans la Correspondance littéraire le mois suivant :

La Harpe, dites-vous, m’a fait une morsure
    Et le roquet s’en vante à découvert
       Madame, en êtes-vous bien sûre,

       Car, pardieu ! j’irais à la mer.

Disons-le tout net, l’épigramme se présente plutôt comme une énigme. C’est qu’au dix-huitième siècle, on croyait encore, et depuis plusieurs siècles, que plonger dans la mer un malade mordu par un chien enragé le guérirait infailliblement.
Au chapitre « Des Chiens », dans Les Serées de Guillaume Bouchet (plusieurs volumes, publiés à partir de 1584), il est traité de cette guérison.
Les uns « tiennent que la rage est guerie si on fait des pilules du crane d’un homme pendu ». Mais on n’a pas toujours sous la main le crâne d’un homme pendu. Aussi, « les autres asseuroient que l’eau de la mer guerissoit les enragez, si on les jette dedans : & de faict, on les mene maintenant à la mer, comme le plus assure remede, & les guerit par une vertu falsitive, comme fait le lard vieil, & comme la morsure des serpents se guerit par la salive, à cause du sel. Combien qu’aucuns ont voulu dire, que ce n’estoit point la vertu de l’eau de la mer qui les guerissoit, mais que cela se faisoit par une crainte qu’on leur donne quand on les jette à l’impourvueuë dans l’eau, qui chasse une autre peur qu’ils ont de l’eau : car nous trouvons plusieurs maladies se perdre par une soudaine frayeur : à cause que les amas d’humeurs s’escartans çà & là, s’evacuent plus facilement, l’humeur evacuée la maladie s’appaisant » (Guillaume Bouchet, Les Serées, édition de C. E. Roybet, 6 vol., Paris, Alphonse Lemerre, 1873, t. I, Premier Livre, Septiesme Serée, Des Chiens, p. 45).

Le Journal du marquis de Dangeau (Paris, Firmin Didot frères, fils et Cie, 1856, t. VIII, p. 286) apprenait  à ses lecteurs, à la date du vendredi 6 janvier 1702, que « M. le duc de Vendôme prit congé du roi pour s’en aller à la mer, ayant été léché d’un chien enragé ». En 1864, le Journal du Loiret du 22 juillet citait « un savant distingué », M. de Thémines, qui avait rapporté la guérison d’un malade par un bain de mer, néanmoins précédé d’une mastication de feuilles de noyer : « On fit tout simplement mâcher pendant longtemps des feuilles de noyer à une personne mordue par un chien enragé, et on la plongea à plusieurs reprises dans l’eau de mer ».

Bonnes baignades à vous !



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