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Des
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rien que des
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TITRES À LA FOIS IMAGINAIRES ET
SIGNIFIANTS
Une
brochure anonyme de 39 pages, attribuée au
chevalier de Neufville de Brunaubois Montador
(1707-1770?), ingénieur à Besançon : La
Nouvelle Astronomie du Parnasse François, ou
l'apothéose des écrivains vivans dans la
présente Année 1740 (Au Parnasse, chez
Vérologue, seul Imprimeur d’Apollon pour la
Satyre en prose), 1740, proposait un facétieux
« Catalogue des livres qui paroîtront
dans l’année 1740 », énumérant les titres
imaginaires d’ouvrages que publieraient quelques auteurs
ayant donné au public de vrais livres. Ces
titres inventés par le chevalier équivalaient
à des jugements littéraires, et surtout leur
nature de titre autorisait des critiques que
personne n’aurait pu se permettre d’offrir au
public sous la forme de phrases non codées.
Selon un classement
assez désordonné viennent en premier lieu les
titres proposés aux Académiciens, suivis par
ceux des censeurs des livres, et ceux, enfin,
des auteurs, tel « Monsieur Prévost »,
entré dans l’histoire littéraire pour Manon
Lescaut (Histoire
du chevalier Des Grieux, et de Manon Lescaut) et Cleveland (Le
Philosophe Anglois, ou histoire de Cléveland, 1741, 6 vol.
in-12), invité à écrire L’Itinéraire
des
Bénédictins depuis Paris jusqu’à Londres et Le
Moine défroqué, & le Soldat déserteur – deux
titres décrivant la vie d’Antoine François
Prévost (1697-1763), militaire à seize ans,
déserteur, devenu jésuite et finissant par se
défroquer pour mener une vie de libertin, se
faisant ensuite bénédictin, se défroquant à
nouveau, se réfugiant à Londres, gagnant
ensuite la Hollande. On rencontre le Père
Boujeant (Bougeant), Jésuite, le Révérend Père
La Neufville, l’abbé Gyot Des Fontaines (Guyot
Desfontaines), l’abbé Pellegrin, le marquis
d’Argens, symbolisé par deux titres :
« Preuves
de la vérité de l’Histoire du Juif errant, en six vol.
in-12 », allusion aux Lettres
juives,
et « Nouvelle Chronique
scandaleuse
Salmigondis de Bayle, Brantôme, l’Aretin,
& autres Auteurs de même genre »,
référence aux Mémoires secrets de
la République des lettres, ou le Théâtre de la
vérité
(Amsterdam, J. Desbordes [La Haye, J.
Neaulme]), dont le premier volume parut en
1737.
En représentant Gayot de Pitaval
par le titre « Méthode pour continuer un
Ouvrage à l’infini, 18 vol.
in-12 », le chevalier de Neufville
rappelait la série des Causes
célèbres et intéressantes avec les jugemens
qui les ont décidées dont une série de
16 volumes in-12 était parue en deux ans, de
1738 à 1740. On passe sous silence bien
d’autres auteurs nommés dont il faut
reconnaître que beaucoup nous sont inconnus.
Sous
Louis XV, la censure des livres dépendait
du chancelier qui choisissait les censeurs, dont
le rôle consistait à déterminer si les livres
proposés ne contenaient rien de contraire à la
religion, au gouvernement et aux mœurs, et en
aucun cas à juger de leur valeur littéraire. La
tâche, sans exiger de grandes compétences,
demandait de nombreux exécutants, et le censeur
la sous-traitait, comme on ne disait pas encore,
de préférence à ses amis ou aux amis de ses amis
en quête d’un revenu, si modeste fût-il. Les
gens de lettres, de leur côté, refusaient de
dépendre de précepteurs, d’abbés du bas de la
hiérarchie ecclésiastique, de secrétaires, d'où
leur hargne contre les censeurs. D’autre part,
certains censeurs étaient à la fois hommes de
lettres actifs et censeurs, tel, par exemple,
Crébillon fils – mais en 1759,
bien après La Nouvelle Astronomie du
Parnasse François, où il est
cependant présent (p. 32), par le biais d’un
titre dépréciateur : « La
Léchefrite & la Chaise Percée, par l’Auteur de
l’Ecumoire [L'Écumoire, histoire japonoise.
A Londres. Aux dépens de la Compagnie, 1735,
mieux connu sous le titre Tanzaï et
Néadarné]
& du Canapé [Le Sopha, conte moral, paru
clandestin en 1740] ».
Voici la
liste complète consacrée aux censeurs :
Traité
du Dépotisme
[lire : Despostime] sur
les Auteurs
Priviléges & Prérogatives de la
Censure,
contenant plusieurs Titres :
Sçavoir, Incapacité, Lenteur,
Caprice, Partialité, Entêtement,
Injustice, Suffisance, &c.
L’Arrangement d’une Batterie de
Cuisine, par l’Auteur des Dons de
Comus, pour
servir de supplément à ce premier
Traité.
Les Regles du Jeu de Brelan, à
trois, à quatre, & à cinq.
Corrections & Changemens au Jeu
de l’Oye, &
plusieurs autres Livres de même
nature, tous fort instructifs, &
très importans.
De la commodité qu’il y a d’être
Censeur pour louer & approuver
ses propres ouvrages, par M.
de la Serre. On y a joint quelques
Réfléxions judicieuses de M. l’abbé
des Fontaines [lire :
Desfontaines], qui montrent que les
Observateurs ont le même Droit.
De l’attention que Messieurs les
Censeurs doivent faire aux livres
qu’on leur donne à approuver, par M.
Courchetet.
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Les titres
imaginaires Les Règles du jeu de brelan et
Corrections et changements au jeu de l’Oie restent mystérieux,
mais l’auteur des Dons de Comus est bien
connu – il s’agit de François Marin,
maître d'hôtel du maréchal de Soubise qui fit
paraître chez Prault fils en 1739, sous
l’anonymat, Les Dons de Comus ou les
Délices de la table, Ouvrage
non-seulement utile aux Officiers de Bouche
pour ce qui concerne leur art, mais
principalement à l'usage des personnes qui
sont curieuses de sçavoir donner à manger,
& d'être servies délicatement, tant en
gras qu'en maigre, suivant les saisons,
& dans le goût le plus nouveau.
De la commodité qu’il y a d’être censeur renvoie à
Jean-Louis-Ignace de Lasserre (1662-1756), à
la fois censeur et poète dramatique fécond,
tombé dans l’oubli.
« Monsieur Courchetet » désigne
François-Elyon Courchetet (1655?-1732) maire et
lieutenant général de police de Besançon, mais
on note qu’il fut le censeur (approbatif), le 1er
décembre 1738, d’un manuscrit proposé par le
Père Bougeant, que l’on rencontrera plus loin,
intitulé Amusement philosophique sur le
langage des bestes.
On aimerait s’intéresser davantage au bien connu
abbé, puis ex-abbé, Pierre François Guyot
Desfontaines (1685-1745), uni à Lasserre dans le
titre De la commodité qu’il y a d’être
censeur
en tant qu’observateur, dans la mesure où il
dirigeait le recueil périodique Observations
sur les écrits modernes, lancé en 1735.
Dans une autre liste que celle des censeurs,
celle des auteurs, Desfontaines est incité à
écrire Des Moyens de s’approprier
les Ouvrages d’autrui : Avec des
Certificats de l’Auteur de l’Histoire des Ducs
de Bretagne
– il avait publié en 1739, Histoire
des ducs de Bretagne (Paris,
Rollin fils), 6 volumes in-12, sans
mentionner le nom de ses collaborateurs. Il
devrait aussi écrire un « Dictionnaire de
la Halle, pour l’intelligence de la Voltairomanie. Ouvrage bien plus
nécessaire que le Dictionnaire
théologique ».
Un dictionnaire de la Halle, car les injures
pleuvent, en effet, dans La
Voltairomanie ou Lettre d'un jeune avocat, en
forme de mémoire. En réponse au Libelle du
Sieur de Voltaire, intitulé : le
Préservatif, &c., un libelle de 48
pages, daté de Paris, 12 décembre 1738, sans
nom d’auteur ni d’éditeur, qui répondait à une
critique en règle de Desfontaines journaliste
par Voltaire : Le Préservatif,
ou critique des Observations sur les écrits
modernes, paru la même année
1738. Un exemple du style de
Desfontaines, à la fin de la Voltairomanie : « Plût à Dieu que
Voltaire ne fût que dépourvu de lumière &
de jugement, qu’il ne fût qu’insensé ! Ce
qu’il y a de pis, est qu’il est faux, impudent
& calomniateur ».
TÉLESCOPAGE DE TITRES
Si l’on
vous dit : « Valmont », vous
répondez : Les Liaisons dangereuses, de Laclos.
Erreur ! Ce livre parut en 1782 : Les
Liaisons dangereuses, ou Lettres recueillies
dans une Société, & publiées pour
l’instruction de quelques autres, par M. C… de L…
(Amsterdam [faux] et se trouve à Paris chez
Durand Neveu, Libraire), 4 tomes en 2 volumes
in-12. Or, en 1774 déjà, on pouvait lire un
ouvrage édifiant, par l’abbé Philippe-Louis
Gérard (1737?-1813) : Le Comte
de Valmont, ou les Égaremens de la raison. Lettres
recueillies et publiées par M… (Paris, chez
Moutard), 3 vol. in-12, 10 planches gravées
par Le Villain, suivi en 1775 d’une
nouvelle édition revue et augmentée, qui sera
plusieurs fois republiée.
Si le livre de l’abbé Gérard est
associé – à tort – aux Liaisons
dangereuses,
son auteur avait-il connu Les
Égaremens du cœur et de l'esprit ou Mémoires
de Mr. de Meilcour, par Crébillon fils
(1736-1738) ? La raison remplaçant non
par hasard, mais de façon délibérée, le cœur
et l’esprit, cela paraîtrait assez dans
l’esprit de l’abbé Gérard, en tout point
l’inverse de Crébillon fils.
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La Raison, élevée sur un
trône, applaudit à un Génie qui embrase
un cœur de l'amour de l'Ordre & du
Bien Commun. Ce cœur est placé sur un
Autel, & environné de tous les
instruments du sacrifice. Au bas de
l'Autel est un Phénix qui se consume
pour renaître de sa cendre. Sur le
devant de l'Estampe est une ruche
d'abeilles, symbole de la société. La
Raison est environnée des attributs qui
la caractérisent, & qui désignent en
partie la Raison éternelle, source
primitive & invariable de la Loi
naturelle. Les pieds de son trône sont
les passions enchaînées, l'Orgueil,
l'Envie, l'Intérêt, & la Volupté.
(Description de l'estampe donnée au
début du livre, l'estampe se trouvant au
début de la Lettre XXI.)
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En 1774, les lecteurs de l’Année
littéraire du mois de juin
pouvaient lire à propos des Égaremens
de
la raison :
« Puisse ce livre utile remplacer entre
les mains de la Jeunesse, cette foule de
Romans licencieux, que le libertinage enfante,
& dont la vogue et le succès ne sont
fondés que sur le mérite affreux qu’ils ont de
corrompre et de séduire ! »
Lorsque
vivait Crébillon fils, l’alliance du cœur et de
l’esprit semble avoir été dans l’air du temps.
Crébillon aurait-il choisi son titre en
inversant celui d’un périodique ? La
première partie des Égaremens du cœur et de
l’esprit parut
en 1736, alors que deux ans plus tôt, le
libraire François Didot commençait la
publication des Amusemens du cœur
et de l’esprit, Ouvrage
périodique
(Privilège daté du 9 juin 1734) un recueil de
pièces fugitives en vers et en prose d’auteurs
divers, promis à un bel avenir.
Parmi les
avatars du titre de Crébillon fils,
citons-en un, tiré de la Correspondance
littéraire, philosophique et critique de Grimm, Diderot
et quelques autres (édition de Maurice
Tourneux, Paris, Garnier frères, 1877, t. I,
p. 174) : « Nous venons d'être
témoins d'un mariage fort singulier. Mlle
Staffort [lire : Stafford] vient
d'épouser Crébillon le fils, auteur de
beaucoup d'ouvrages ingénieux. Il lui avait
fait déjà un enfant. Comme ils sont tous deux
extrêmement pauvres, on a dit que c'était la
soif qui avait épousé la faim, et on a appelé
cette union la continuation des
Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon. C'est
le titre d'un agréable roman de cet écrivain
voluptueux ». Peut-on imaginer une
liaison plus étroite entre l’œuvre d’un auteur
et sa vie privée ?
LE
PLAISIR DES TITRES
On voudrait
conclure sur le plaisir des titres, un plaisir
qui se suffit à lui-même, indépendant de toute
lecture du texte annoncé par le titre –
l’amateur de titres écrit pour soi seul un
texte, confectionne une broderie imaginaire sur
un titre étranger. Dans La Nouvelle
Astronomie du Parnasse François (p. 29) on trouve
quelques lignes consacrées au « Révérend
Pere Boujeant [lire : Père Bougeant],
Jésuite », caractérisé par ces titres
imaginaires, que l’on sait allégoriques tout
en ignorant à quoi ils renvoient :
Grammaire & Dictionnaire de la
Langue des Sereins [serins] à
l’usage des Linotes [linottes].
Le Nouveau Pythagore, ou la
Métempsicose [métempsychose] des Diables.
Amusemens sur l’Enfer.
Commentaires agréables de
plusieurs Passages du N.T. [Nouveau
Testament]
Les Amours des Carpes.
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Cette
liste, lue sans rien savoir du jésuite en
question, sauf qu’il fut victime de la censure,
ne peut qu’intriguer, donc plaire aux curieux.
Pourquoi un dictionnaire de la langue des
serins, écrit pour les linottes ? Peut-on
unir deux notions aussi différentes que celle de
métempsychose et celle de diables ?
« Amusemens de l’Enfer » apparaît
comme un paradoxe insoutenable, les Carpes
n’éveillent qu’une association avec l’expression
courante « muet comme une carpe »,
autant dire rien.
Une petite enquête nous
apprend que Guillaume-Hyacinthe Bougeant
(1690-1743), professeur de lettres au collège de
Louis le Grand, à Paris, avait écrit en 1739, à
la manière de Fontenelle auteur d’Amusements
sérieux et comiques (1707), une
réfutation sérieuse sur le fond mais plaisante
par le style, de la théorie cartésienne de
l’animal-machine intitulée Amusement
philosophique sur le langage des bestes. Selon lui les
animaux parlaient, mais l’on ne pourrait faire
un « dictionnaire détaillé du langage des
Bêtes » car chaque espèce d’animal avait
son propre langage. Des dictionnaires du
langage animal, chaque espèce
ayant le sien, seraient possibles en théorie,
mais il s’interdit de songer à des grammaires,
la grammaire étant trop abstraite pour des
animaux, limités à des équivalents du langage
oral des êtres humains. Tant qu'à faire, le
chevalier de Neufville mentionne la
grammaire, malgré les réserves du Père
Bougeant. Voilà expliquée
l’idée d’un dictionnaire de la langue des
serins écrit à l’usage des linottes, la note
satirique étant donnée par la réputation de
bêtise des serins et des linottes. La
métempsychose des diables, les amusements sur
l’enfer renvoient à l’idée centrale du Père
Bougeant. Refuser les animaux-machines en leur
attribuant un langage et en reconnaissant
qu’ils éprouvaient des sentiments semblables à
ceux des êtres humains revenait à leur
attribuer une âme. Était-il
sérieux, ne l’était-il pas ? Selon les
théologiens, le jugement dernier qui devait
décider si celui qui venait de mourir irait au
ciel ou en enfer se passait dès la mort survenue,
l’âme immortelle se séparant du corps
qui venait de mourir, mais l’exécution du
jugement était retardée. Que faire de ceux,
appelés démons ou diables, qui méritaient
l’enfer ? Ils s’incarneraient dans les
animaux, ils seraient l’âme des animaux. Tout
jésuite qu’il était, le Père Bougeant contrevenait
aux dogmes traditionnels, aussi
fut-il sanctionné, exilé de Paris et relégué
pour un temps au collège de La Flèche, si bien
qu’en 1750 l’Amusement philosophique reparut dans une
nouvelle édition (Amsterdam, Aux dépens de la
Compagnie), « augmentée d’un
Avertissement, d’un Discours préliminaire,
d’une Critique, avec des Notes, & de la
Rétractation de l’Auteur ».
Cela dit, peu importent
ici les choix intellectuels de l’anti-cartésien
Père Bougeant, ce qui nous intéresse est le
talent du chevalier de Neufville, parvenant à
inventer des titres accrocheurs et adéquats, nous
faisant ainsi connaître l'Amusement philosophique
sur le langage des Bestes, produit
par « un esprit aimable
& pétillant qui égale Fontenelle pour le
talent de revêtir les choses les plus sérieuses
des graces du badinage & de la
légereté », jugeait Sabatier de Castres
dans Les Trois Siècles de notre littérature.
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