Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

  
2 mai 2016


l

Des astragales

l


l
Parcourant Aménités littéraires, et Recueil d'anecdotes (Amsterdam, en réalité Paris, 1773), vous tombez, page 306 de la première partie, sur un paragraphe intitulé « Du mot ASTRAGALES ». Pour la plupart d'entre nous, ce mot évoque un vers de Boileau, au Chant I de l'Art poétique,

Ce ne sont que Festons, ce ne sont qu'Astragales.

Puis lisant la prose de l'auteur des Aménités littéraires,
Antoine-Angélique Chomel (1729-1818), le frère du médecin, précise Barbier dans le Dictionnaire des ouvrages anonymes (il s'agit de Jean-Baptiste Louis Chomel, 1709-1765, médecin ordinaire du roi et doyen de la Faculté de médecine de Paris), vous vous trouvez fort loin de Boileau.
Ci-dessous, d'abord, le paragraphe des  Aménités littéraires.




Du mot
ASTRAGALES.

Les anciens gentilshommes portoient sur leurs souliers un demi-croissant, à l’endroit où nous portons les boucles, qui étoit d’ivoire, pour les distinguer des autres. Cœlius Rhodig. l. 20 Antiq. c. 27*, les nomme Astragales, c’est-à-dire, habentes nobilitatem in astragalis**. Ce mot d’astragalus signifie proprement cet os rond qui est au bout du manche d’un gigot de mouton, qui ressemble à un talon ; d’où est venu ce mot ancien, Noble au talon. Il paroît que cette distinction de la noblesse est de la dernière antiquité, car Brédéas ayant appelé en jugement Hérode le Sophiste, qui avoit fait mourir sa femme sous le fouet, s’étant présenté pour venger cette mort, il ne parla que de sa noblesse, laissant le crime à part : on se moqua de lui ; & il lui fut reproché qu’il avoit sa noblesse aux talons, semblable à ces fainéans qui ne font que se vanter de leur noblesse.

On en pourroit dire de même au tems présent, puisque les talons rouges distinguent aussi notre noblesse, quoique les comédiens & les petits-maîtres s’en servent aussi.


*
Lire : Coelius Rhodiginus (de son nom Ludovico Ricchieri, né en 1469 en Italie, à Rovigo, mort en 1525). Humaniste, il écrivait en latin. L’ouvrage cité, Antiq., renvoie à son recueil Lectiones antiquæ (Textes anciens).
**Traduction : ayant leur noblesse dans les astragales.



Retour à Boileau

Boileau avait ajouté en note au vers cité plus haut : « Vers de Scuderi ». Dans plusieurs éditions des Œuvres de Boileau Despréaux, les commentateurs, cherchant ce vers attribué à Georges de Scudéry, l’ont trouvé au livre troisiesme de Alaric, ou Rome vaincue. Poème héroïque par Monsieur de Scudery (Paris, Augustin Courbé, 1654), page 105, mais quelque peu différent :

Ce ne sont que Festons, ce ne sont que Couronnes

 L’explication est donnée, par exemple au premier tome des Œuvres de Nicolas Boileau Despréaux. Avec des éclaircissemens historiques (Amsterdam, 1738) dans une note pour l’Art poétique, intégralement reproduit : « Notre Auteur a changé ce dernier mot [Astragales], pour faire mieux sentir l’abondance stérile de ces faiseurs de longues descriptions, qui s’amusent à décrire jusqu’aux plus petites circonstances : car l’Astragale est une petite moulure ronde qui entoure le haut du fût  d’une Colonne ».

Dans Alaric, ou Rome vaincue, un sorcier a endormi Alaric, roi des Wisigoths, à la fois héros guerrier et grand amoureux, pour le déposer dans un endroit de rêve dont le chef-d’œuvre est un palais aussi extraordinaire qu’onirique :

L’Ordre Corinthien regne par tout l’Ouvrage :
L’on voit ramper par tout, l’Acanthe au beau feuillage :

Et par tout on peut voir entre ces Ornemens,
Des Chapeaux de Triomphe, & des Vases fumans.
Ce ne sont que Festons ; ce ne sont que Couronnes ;
Bases & Chapiteaux ; Pilastres & Colomnes ;
Masques ; petits Amours ; Chifres entre-lacez ;
Et Cranes de Beliers, à des Cordons passez.
Les yeux trouvent par tout, Moulures & Corniches ;
Et Figures de Bronze en de superbes Niches ;
Phrises ; Balcons hors d’œuvre ; & Cartouches encor ;
Et Cornes d’Abondance à fruit, feuille, & fleur d’Or.

De ce palais, Boileau donnera, en vers, une description délibérément prosaïque et commune :

Un Auteur quelquefois trop plein de son objet
Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
S’il rencontre un Palais, il m’en dépeint la face :
Il me promene après de terrasse en terrasse.
Icy s’offre un perron, là regne un corridor,
Là ce balcon s’enferme en une balustre d’or :
Il compte des plafonds les ronds et les ovales.
Ce ne sont que Festons, ce ne sont qu’Astragales.

 F I N

Accueil | Archives de Marginalia 2016