Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

  
31 juillet 2016







 
 


Du parapluie

                                  au

riflard



Dessin par Nadar


  

Les parapluies de Nadar

Nadar, qui se fit un temps dessinateur d’actualité, ne pouvait pas ignorer le parapluie. Voici, par exemple, un dessin paru dans les Petits Albums pour rire, n° 20, On nous écrit de Paris, par Nadar, 1re partie (Paris, librairie Maresq et chez Philipon fils, [1852]), légendé : « Heureusement que la saison des concerts est finie ! »



En voici un autre, « Voilà ce que c’est qu’une représentation de la Dame aux Camélias. », paru lui aussi dans un fascicule des Petits Albums pour rire et consacré à La Dame aux camélias, d’Alexandre Dumas fils, représentée pour la première fois sur le théâtre du Vaudeville le 2 février 1852 :


Après les concerts, le théâtre, événements mondains de la vie sociale, Nadar laisse libre cours à sa fantaisie personnelle. Au n° 13 des Petits Albums pour rire, Les Folies parisiennes, par Nadard (sic) 4e partie, une page entière est consacrée à quatre dessins sur le thème du parapluie, légendés, le premier : « Et que dites-vous du chapeau-parapluie ? » ; le deuxième : « Il a bien ses petits inconvénients pour les personnes de bon goût qui se coiffent sur le coin de l’oreille… » ; le troisième : « … Quand on veut être poli avec les dames… » et le quatrième, où le parapluie est devenu paratonnerre attirant la foudre : « … Et peut même présenter du danger lorsqu’il est fermé. »



Le parapluie argotique

Philibert Audebrand rapportera, dans Un café de journalistes sous Napoléon III (Paris, E. Dentu, 1888, p. 13) des propos destinés à ridiculiser Sainte-Beuve par le rappel du fameux duel, connu de tout le monde, durant lequel il tint son pistolet d’une main, son parapluie ouvert de l’autre. Le malheureux en devint l’homme-parapluie, tout comme Louis-Philippe, la même année 1830. On lit en effet dans La Physiologie du parapluie, par deux cochers de fiacre (Paris, Desloges, 1841) – un pseudonyme jamais encore traduit en clair – une description caricaturale de la présentation officielle au peuple du roi des Français, annoncé depuis le balcon de l’Hôtel de ville, avec cette phrase qui juxtapose les mots parapluie et rifflard, mettant sur le même plan l’argot et la langue commune admise par tous : « Voilà le rifflard qu’il vous faut, c’est le meilleur des parapluies » (p. 44). De même, dans la conversation à bâtons rompus relatée par Philibert Audebrand, un des journalistes s’était trompé, croyant que le duelliste opposé à Sainte-Beuve était Cuvillier-Fleury. Rectification : « Pardon ! ce duel au rifflard, c’est avec M. Dubois (…), son ancien patron du Globe. » Là encore, la langue de tous et l’argot, en principe langage pour initiés, sont implicitement tenus pour équivalents, mais dans le cas de Louis-Philippe, l’assimilation faite par les auteurs de La Physiologie du parapluie revient à une satire du comportement politique de Louis-Philippe, encore duc d’Orléans, pour se faire choisir comme roi. Avant son couronnement, mais déjà roi de la communication comme on ne disait pas encore, pour se rapprocher du commun des mortels (lire : des bourgeois, et non du vrai peuple), il affectait de se promener avec son parapluie, car « rien ne popularise comme le rifflard et les poignées de main » (La Physiologie du parapluie, p. 43). Reste que jamais Louis-Philippe n’aurait prononcé le mot rifflardson emploi dans La Physiologie est commandé par le genre littéraire des physiologies, qui se voulaient vivantes, jamais académiques, la satire consistant à mettre l'accent sur le ridicule d'un personnage célèbre qui joue à être Monsieur Toulemonde.
Rappelons que le mot rifflard, ou mieux, riflard, fut défini  par Lorédan Larchey, dans Les Excentricités du langage français (Paris, Aux bureaux de la Revue anecdotique, 1861) : « RIFLARD : Parapluie. — Le mot est dû à la vogue d’une pièce de Picard, La Petite Ville, jouée en 1801. L’acteur chargé du rôle ridicule de Riflard s’avisa d’y paraître armé d’un énorme parapluie. »
Lorédan Larchey donnait une seconde référence : « Il pleuvait à verse ; elle était sous son riflard. » — LUBIZE. »
Lubize, de nos jours est oublié, mais ce nom fut le pseudonyme du  Pierre-Henri Martin (1800-1863), auteur dramatique et librettiste. La pièce de Lubize à laquelle renvoyait Lorédan Larchey était Les Petits métiers de Paris, vaudeville en trois actes, par Lubize et Louis Dugard, représenté au Folies-Dramatiques le 6 juin 1844, durant lequel on entendait le personnage nommé Zidorini se rappeller : « elle était sous son rifflard, et moi
sous une gouttière… » (acte I, scène 8). Ajoutons, pour notre part, une autre occurrence du mot rifflard, qui se trouve dans Le marchand de parapluies, ou la Noce à la guinguette, comédie grivoise en un acte mêlée de couplets (représentée et publiée en 1825), par Désaugiers, Lafontaine et Émile Vanderburch, page 8 : « vous pouvez vous promener en dehors vous et vos rifflards… », et un titre, Le jeune homme au riflard, vaudeville en un acte par Varin et Cadol (5 juin 1860).
Au
fil du temps, d’autres équivalents argotiques du mot parapluie firent leur apparition, rassemblés par le docteur Jean Lacassagne dans L’Argot du "milieu" (Paris, Albin Michel, 1928).

Une deuxième partie de l’ouvrage, intitulée « Français-Argot », donne une liste de termes français suivis de leur traduction en argot ou en simple langage populaire. On trouve ainsi au mot Parapluie : « Parelance. Pareflotte. Pébroque. Pépin. Riflard. Robinson ». Pourquoi robinson ou Robinson ? Lorédan Larchey, encore lui, nous a répondu d’avance dans Les Excentricités du langage français, à l’entrée « Robinson ». Le nom devint synonyme de parapluie grâce à Pixerécourt, auteur de Robinson Crusoé, mélodrame en trois actes, à grand spectacle, musique de Piccinni et Gérardin-Lacour (représenté et publié en 1805) où Robinson Crusoë arrivait sur scène non point exactement sous un parapluie, mais sous un parasol qu’il avait fabriqué dans son île.

Et maintenant, fermons parapluies, riflards et autres,
tout comme ce personnage qui clôt la Physiologie du parapluie.

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