Après les concerts, le théâtre,
événements mondains de la vie sociale, Nadar
laisse libre cours à sa fantaisie personnelle.
Au n° 13 des Petits Albums
pour rire, Les Folies parisiennes,
par Nadard (sic) 4e partie,
une page entière est consacrée à quatre
dessins sur le thème du parapluie, légendés,
le premier : « Et que dites-vous du
chapeau-parapluie ? » ; le
deuxième : « Il a bien ses petits
inconvénients pour les personnes de bon goût
qui se coiffent sur le coin de
l’oreille… » ; le troisième :
« … Quand on veut être poli avec les
dames… » et le quatrième, où le
parapluie est devenu paratonnerre attirant
la foudre : « … Et peut même
présenter du danger lorsqu’il est
fermé. »
Le parapluie argotique
Philibert Audebrand rapportera,
dans Un café de journalistes sous
Napoléon III (Paris, E. Dentu,
1888, p. 13) des propos destinés à
ridiculiser Sainte-Beuve par le rappel du
fameux duel, connu de tout le monde, durant
lequel il tint son pistolet d’une main, son
parapluie ouvert de l’autre. Le malheureux
en devint l’homme-parapluie, tout comme
Louis-Philippe, la même année 1830. On lit
en effet dans La Physiologie du
parapluie, par deux cochers de fiacre (Paris, Desloges,
1841) – un pseudonyme jamais encore traduit
en clair – une description caricaturale de
la présentation officielle au peuple du roi
des Français, annoncé depuis le balcon de
l’Hôtel de ville, avec cette phrase qui
juxtapose les mots parapluie et rifflard,
mettant sur le même plan l’argot et la
langue commune admise par tous :
« Voilà le rifflard qu’il vous faut,
c’est le meilleur des parapluies » (p.
44). De même, dans la conversation à bâtons
rompus relatée par Philibert Audebrand, un
des journalistes s’était trompé, croyant que
le duelliste opposé à Sainte-Beuve était Cuvillier-Fleury.
Rectification : « Pardon ! ce
duel au rifflard, c’est avec M. Dubois (…),
son ancien patron du Globe. » Là
encore, la langue de tous et l’argot, en
principe langage pour initiés, sont
implicitement tenus pour équivalents, mais
dans le cas de Louis-Philippe,
l’assimilation faite par les auteurs de La
Physiologie
du parapluie revient à une
satire du comportement politique de
Louis-Philippe, encore duc d’Orléans, pour
se faire choisir comme roi. Avant son
couronnement, mais déjà roi de la
communication comme on ne disait pas encore,
pour se rapprocher du commun des mortels
(lire : des bourgeois, et non du vrai
peuple),
il affectait de se promener avec son
parapluie, car « rien ne popularise
comme le rifflard et les poignées de
main » (La Physiologie du
parapluie, p. 43). Reste que jamais
Louis-Philippe n’aurait
prononcé le mot rifflard – son
emploi dans La Physiologie est commandé par le
genre littéraire des physiologies, qui se
voulaient vivantes, jamais académiques, la
satire consistant à mettre
l'accent sur le ridicule d'un personnage
célèbre qui joue à être Monsieur
Toulemonde.
Rappelons que le mot rifflard, ou mieux, riflard, fut défini
par Lorédan Larchey, dans Les
Excentricités du langage français (Paris, Aux
bureaux de la Revue anecdotique,
1861) : « RIFLARD :
Parapluie. — Le mot est dû à la vogue d’une
pièce de Picard, La Petite Ville, jouée en 1801.
L’acteur chargé du rôle ridicule de Riflard
s’avisa d’y paraître armé d’un énorme
parapluie. »
Lorédan Larchey donnait une seconde
référence : « Il pleuvait à
verse ; elle était sous son
riflard. » — LUBIZE. »
Lubize, de nos jours est oublié, mais ce nom
fut le pseudonyme du Pierre-Henri Martin
(1800-1863), auteur dramatique et librettiste.
La pièce de Lubize à laquelle renvoyait
Lorédan Larchey était Les Petits métiers
de Paris,
vaudeville en trois actes, par Lubize et
Louis Dugard, représenté au
Folies-Dramatiques le 6 juin 1844, durant
lequel on entendait le personnage nommé
Zidorini se rappeller : « elle
était sous son rifflard, et moi sous une
gouttière… » (acte I,
scène 8). Ajoutons,
pour notre part, une autre occurrence du mot
rifflard, qui se trouve dans Le
marchand de parapluies, ou la Noce à la
guinguette, comédie grivoise en un acte mêlée de
couplets (représentée et publiée en 1825),
par Désaugiers, Lafontaine et Émile
Vanderburch, page 8 : « vous
pouvez vous promener en dehors vous et vos
rifflards… », et un titre, Le
jeune homme au riflard, vaudeville
en un acte par Varin et Cadol (5 juin
1860).
Au fil du
temps, d’autres équivalents argotiques du mot
parapluie firent leur
apparition, rassemblés par le docteur Jean
Lacassagne dans L’Argot du
"milieu"
(Paris, Albin Michel, 1928).
Une deuxième partie de
l’ouvrage, intitulée
« Français-Argot », donne une liste
de termes français suivis de leur traduction
en argot ou en simple langage populaire. On
trouve ainsi au mot Parapluie :
« Parelance. Pareflotte. Pébroque.
Pépin. Riflard. Robinson ». Pourquoi
robinson ou Robinson ? Lorédan Larchey,
encore lui, nous a répondu d’avance dans Les
Excentricités du langage français, à l’entrée
« Robinson ». Le nom devint
synonyme de parapluie grâce à
Pixerécourt, auteur de Robinson
Crusoé, mélodrame en
trois actes, à grand spectacle, musique de
Piccinni et Gérardin-Lacour (représenté et
publié en 1805) où Robinson Crusoë arrivait
sur scène non point exactement sous un
parapluie, mais sous un parasol qu’il avait
fabriqué dans son île.
Et maintenant,
fermons parapluies, riflards et autres,
tout comme ce personnage
qui clôt la Physiologie
du parapluie.