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Mes très chers frères,
Tant va la cruche à l’eau
qu’enfin elle se brise. Ces paroles sont
tirées de Thomas Corneille, Molière et compagnie.
(Sganarelle à don Juan, acte V, scène III, v.
14.)
Cette vérité devrait faire
trembler tous les pécheurs ; car enfin, Dieu
est bon, mais aussi qui aime bien châtie bien. Il ne s'agit pas de
dire je me convertirai. Ce sont des
écoute s’il pleut ; autant en emporte le
vent ; un bon tiens vaut mieux que deux tu
auras. Il faut
ajuster ses flûtes, et ne pas s'endormir
sur le rôti. On sait bien où l’on est, mais on ne
sait pas où l’on va ; quelquefois l’on tombe de
fièvre en chaud mal, et l’on troque son cheval
borgne pour un aveugle.
Au surplus, mes enfans, honni
soit qui mal y pense ! un bon averti en vaut
deux ; il n’est pas pire sourd que celui qui
ne veut pas entendre ; à décrasser un Maure,
on perd son temps et son savon, et l’on ne
peut pas faire boire un âne s'il n'a soif. Mais suffit, je
parle comme saint Paul, la bouche ouverte ; c'est pour tout
le monde, et qui se sent morveux se
mouche.
Ce que je vous en dis, n’est
pas que je vous en parle ; comme un
fou avise bien un sage, je vous dis
votre fait, et
je ne vais pas chercher midi à quatorze
heures… Oui,
mes frères, vous vous amusez à la
moutarde, vous faites des châteaux en Espagne ; mais prenez
garde, le démon vous guette comme le
chat fait la souris ; il fait d'abord patte
de velours ; mais quand une fois il vous tiendra dans
ses griffes, il vous traitera de Turc à
Maure, et
alors vous aurez beau vous chatouiller
pour vous faire rire, et faire les bons apôtres,
vous en aurez tout du long et tout du large.
Si quelqu'un revenait de
l'autre monde, et qu'il rapportât des nouvelles
de l'école,
alors on y regarderait à deux fois,
chat échaudé craint l’eau froide ; quand l’on
sait ce qu'en vaut l’aune, on y met le
prix ; mais là-dessus, les plus
savans n'y voient goutte ; la nuit, tous
chats sont gris, et quand on est mort c'est pour
long-temps.
Prenez garde, disait saint
Chrysostôme, n'éveillez pas le chat qui dort,
l’occasion fait le larron, vous taillez en plein
drap ;
mais les battus paieront l’amende. Fin
contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce
qui est doux à la bouche est amer au cœur ; et à la
Chandeleur les grandes douleurs. Vous êtes comme
des
rats en paille,
vous avez le dos au feu, le ventre à la
table ; les biens vous viennent en
dormant ;
on vous prêche, vous n'écoutez pas, ventre
affamé n'a pas d'oreille ; mais aussi, rira
bien qui rira le dernier. Tout passe, tout casse,
tout tasse ; ce qui vient de la flûte
retourne au tambour, et l’on se trouve à terre le
cul entre deux selles ; alors il n'est plus
temps, c'est de la moutarde après
dîner ; il est trop tard de fermer l’écurie
quand les chevaux sont pris.
Souvenez-vous donc bien de
cette leçon, mes chers frères, faites vie qui
dure; il ne
s'agit pas de brûler la chandelle par
les deux bouts ; qui trop embrasse mal
étreint ; et à courir deux lièvres, on n'en
prend aucun.
Il ne faut pas non plus jeter le manche après la
cognée. Dieu a dit : Aide-toi, je
t'aiderai : n'est pas marchand qui toujours
gagne ; quand on a peur des feuilles, il ne
faut pas aller au bois ; mais il faut faire
contre fortune bon cœur, et battre le fer tandis
qu'il est chaud.
Un homme sur la terre est comme
un oiseau sur la branche, il doit toujours être
sur le qui vive ; on ne sait ni qui vit ni
qui meurt ; l'homme propose, Dieu
dispose ; tel qui rit vendredi, dimanche
pleurera ; il n'est si bon cheval qu'il ne
bronche, et quand
on parle du loup, on en voit la queue… Oui, mes chers frères,
aux yeux de Dieu tout est égal, riche ou pauvre,
il n'importe, tant vaut l'homme, tant
vaut la terre ; bonne renommée vaut mieux que
ceinture dorée.
Les riches paient les pauvres ; ils
se servent de la patte du chat pour tirer les
marrons du feu ; mais saint Ambroise a
dit : Chacun son métier, les
vaches sont bien gardées : il ne faut pas que Gros-Jean
remontre à son curé ; chacun doit se
mesurer
à son aune, et comme on fait son lit on se couche.
Tous les chemins vont à Rome, direz-vous ; oui,
mais encore faut-il les savoir, et ne pas choisir
ceux où il y a des pierres.
Pensez donc bien, mes chers
frères, que Dieu est partout, et qu'il voit
tout ; il ne faut pas finasser avec lui, c'est vouloir
prendre la lune avec les dents. Il faut aller
droit en besogne, et ne pas mettre
la charrue devant les bœufs ; quand la poire
est mûre, il faut la cueillir.
Quand on veut faire son salut,
voyez-vous, il faut aller de cul et de tête
comme une corneille qui abat des noix. Si le démon veut vous
dérober, laissez-le hurler après vous ; chien
qui
aboie ne mord pas. Soyez bons chevaux de trompette, ne vous effarouchez
pas du bruit. Les méchans vous riront au
nez ; mais c'est un ris qui ne
passe pas le nœud de la gorge ; c'est la
pelle qui se moque du fourgon. Au demeurant, chacun
son tour, et à chaque oiseau son nid
paraît beau.
Au surplus, pour être heureux, il faut
souffrir ; les pois ne peuvent pas tomber
tout cuits dans la bouche ; après la pluie
vient le beau temps, et après la peine le
plaisir. Laissez dire : Trop
gratter cuit, trop parler nuit ; moquez-vous du
qu'en dira-t-on, et ne croyez pas que, qui
se fait brebis, le loup le mange. Non, non, mes chers
frères ; Dieu a dit : Plus vous vous
serez humiliés sur la terre, plus vous serez
élevés dans le ciel.
Ecoutez et retenez bien ceci,
je vous parle d'abondance de cœur ; il
n'est pas besoin de mettre les points sur les i ; à
bon entendeur salut ; il n'est qu’un mot qui
serve ; il ne faut pas tant de beurre pour
faire un quarteron; quiconque fera bien, trouvera
bien ; les écrits sont des mâles, dit-on, et
les paroles des femelles ; on prend les bœufs
par les cornes, les hommes par les paroles, et
quand les paroles sont dites, l'eau bénite est
faite.
Faites donc de solides
réflexions sur tout ce que je vous ai dit : il
faut choisir d'être à Dieu ou au diable ; il
n'y a pas de milieu, et comme on dit, il faut
passer par la porte ou par la fenêtre. Vous n'êtes pas ici
pour enfiler des perles, c'est pour faire votre
salut. Ce n'est pas sur l'anse d'un
panier que
vous rendrez vos comptes ; le démon a beau
vous dorer la pilule, quand le vin sera
tiré, il faudra le boire, et c'est au fond du pot
qu'on trouve le marc.
Au surplus, à l'impossible
nul n'est tenu ; je ne veux pas vous
sauver malgré vous, moi. Si ce que je vous dis vous
entre par une oreille et vous ressort par l'autre, c'est comme si je
prêchais à des sourds ; mais c'est égal, quand
il faut fondre la cloche, sauve qui
peut, malheureux qui est pris… Pour moi, je
m'en bats l'œil ; je suis comme saint
Jean-Bouche-d'or, je dis tout ce que je
sais ; et comme charité bien
ordonnée commence par soi-même, je vais tâcher de faire
mes orges et
de retirer mon épingle du jeu. Alors, quand je serai
sauvé, ah ! ma foi, arrive qui
plante, je
vous dirai tire-t'en Pierre ! et si vous allez à tous
les diables, je m'en lave les mains.
Au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit.
Amen. Ainsi soit-il.
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GLOSE
L’auteur ouvre son exercice
de style par une citation, parodiant ainsi les
prêcheurs, grands consommateurs de
citations bibliques. Bien. Mais cette citation est
celle d’un homme qui sent le soufre, Molière, auteur
de Dom
Juan, qui,
lui-même, citait un proverbe.
La
phrase-proverbe,
extraite, non pas de Dom
Juan ou le Festin de pierre, par Molière, en prose,
mais d’une version de la comédie en vers, composée
par Thomas Corneille : Le Festin
de Pierre, comédie mise en vers sur la prose
de feu Mr de Molière (1683), contient une erreur,
car le vers se trouve bien acte V, mais
dans la scène 2 et non la scène 3.
D.
JUAN
C’est
ainsi que l’on peut, dans le siècle où
nous sommes
Profiter sagement des faiblesses des
hommes,
Et qu’un esprit bien fait, s’il craint
les mécontents,
Se doit accommoder aux vices de son
temps.
SGANARELLE.
Qu'entens-je
? ç'en est fait, Monsieur, et je le
quitte,
Il ne vous manquoit plus que vous faire
Hypocrite,
Vous estes de tout point achevé, je le
voy,
Assommez-moy de coups, percez-moy,
tuez-moy,
Il faut que je vous parle, il faut que
je vous dise,
Tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle
se brise :
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Le proverbe – que le hasard
a fait un alexandrin – se trouvait déjà dans la
version en prose où Sganarelle avertissait Dom
Juan qu’après sa mort il irait en enfer, car
« Sçachez, Monsieur, que tant va la cruche à
l’eau, qu’enfin elle se brise » (Le Festin
de pierre,
Amsterdam, 1683). Dans la version en prose
originale, Molière continuait la tirade de
Sganarelle par ce que les linguistes
appellent une anadiplose (du grec ana, de nouveau, et diplos, double), qui
consiste à reprendre le dernier mot d’une
proposition grammaticale pour commencer la
proposition suivante, et ainsi de suite. Le
meilleur exemple en est J’en ai
marre, marabout, bout de ficelle, selle de
cheval…
Molière, donc, avait écrit :
Sçachez, Monsieur, que
tant va la cruche à l'eau qu'enfin
elle se brise : & comme dit
fort bien cet Auteur que je ne connois
pas, l'homme est en ce monde ainsi que
l'oiseau sur la branche, la branche
est attachée à l'arbre, qui s'attache
à l'arbre suit de bons preceptes, les
bons preceptes valent mieux que les
belles paroles, les belles paroles se
trouvent à la Cour. A la Cour sont les
Courtisans, les Courtisans suivent la
mode, la mode vient de la fantaisie,
la fantaisie est une faculté de l'ame,
l’ame est ce qui nous donne la vie, la
vie finit par la mort ; la mort
nous fait penser au Ciel, le Ciel est
au-dessus de la terre, la terre n'est
point la mer, la mer est sujette aux
orages, les orages tourmentent les
Vaisseaux, les Vaisseaux ont besoin
d'un bon pilote, un bon pilote a de la
prudence, la prudence n'est point dans
les jeunes gens, les jeunes gens
doivent obeïssance aux vieux, les
vieux ayment les richesses, les
richesses font les riches, les riches
ne sont pas pauvres, les pauvres ont
de la necessité, la necessité n'a
point de loy, qui n'a pas de loy vit
en bête brute, & par consequent
vous serez damné à tous les Diables.
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On a le sentiment
que l’auteur inconnu du Sermon a repris,
imitant Molière, le principe de l’anadiplose
pour enfiler le plus grand nombre possible de proverbes
tout en donnant à son imitation un sens général,
celui qu'aurait un réel sermon, à l’inverse
de « J’en ai marre, marabout… », une
suite purement formelle, drôle par son
absurdité même. Ajoutons pour conclure que
l'italique des proverbes se trouve dans le
seul Dictionnaire des proverbes
français, utilisé pour les mettre en
lumière, ces proverbes choisis par l'auteur du
Sermon.
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