Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

 
16 avril 2016

PROVERBES EN GUISE DE SERMON
ou
Vous n'êtes pas ici pour enfiler des perles



Pierre de La Mésangère, dans les « Observations préalables » de son Dictionnaire des proverbes français (1823, 3e édition) donnait à lire un sermon burlesque, composé de proverbes mis bout à bout, Sermon en proverbes, ou proverbes en guise de sermon. Peut-être l'avait-il trouvé dans Proverbiana, ou recueil des Proverbes les plus usités et les plus saillans, avec leur signification précise (Lille, Blocquel et Castiaux, l'an qui refuse muse),  page 94 et suivantes, sans date, mais paru vers 1810-1820, qu'il cite dans sa bibliographie, mais ce texte destiné à se moquer des prêcheurs fut souvent publié au dix-huitième siècle, avec de légères variations d'une édition à l'autre.
Le compilateur de Proverbiana, ou Pierre de La Mésangère, auraient pu se fournir dans l'une des publications
suivantes :

Correspondance secrète, politique & littéraire… [par Louis-François Metra], Londres, John Adamson, 1787, t. I, page 236, où on lisait : « On me donne ce sermon, comme une plaisanterie de ce carnaval, & je vous le passe au même titre (…) ». Suivait le « Sermon du Révérend Pere Sancho ». Le Sermon reparut dans les Anecdotes échappées à l’Observateur Anglois et aux Mémoires secrets… Londres, John Adamson, 1788, t. I, p. 208.

En 1801, Dorvigny (1742-1812), Louis-François Archambault de son nom, acteur comique, vaudevilliste, romancier, insérait le Sermon dans Le Nouveau Roman comique, ou Voyage et Aventures d'un soufleur, d’un perruquier et d’un costumier de spectacle, Paris, An IX-1801, où il se lit dans la « Sixième lettre du souffleur. La robe du capucin » (p. 135), censé avoir été rédigé par un faux capucin, en réalité un laïc, habillé, par trop de précipitation à s’enfuir d’une auberge en feu, d’un froc de moine et qui, réfugié chez des paysans, leur avait lu le fameux Sermon comme s’il était son œuvre : « Vous n’imaginez pas, mon cher ami, le succès prodigieux qu’eut, vis-à-vis de mes paysans, l’étalage baroque de tous les proverbes que je leur avais amoncelés… ».

En 1808, on trouvait le Sermon dans les Anecdotes secrètes du dix-huitième sièclepour faire suite aux Mémoires de Bachaumont, par P.J.B.N. [Pierre Jean Baptiste Nougaret], Paris, Léopold Collin, t. II. 1780-1785, page 297.

On voit que l’auteur du Dictionnaire des proverbes français avait eu l’embarras du choix, d’autant plus que notre liste n’est sûrement pas exhaustive.



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SERMON EN PROVERBES,
OU PROVERBES EN GUISE DE SERMON.


P.L. de La Mésangère, Dictionnaire des proverbes français, 1823, pages 9 à 13.


       
 
    


   Mes très chers frères,

Tant va la cruche à l’eau qu’enfin elle se brise. Ces paroles sont tirées de Thomas Corneille, Molière et compagnie. (Sganarelle à don Juan, acte V, scène III, v. 14.)

Cette vérité devrait faire trembler tous les pécheurs ; car enfin, Dieu est bon, mais aussi qui aime bien châtie bien. Il ne s'agit pas de dire je me convertirai. Ce sont des écoute s’il pleut ; autant en emporte le vent ; un bon tiens vaut mieux que deux tu auras. Il faut ajuster ses flûtes, et ne pas s'endormir sur le rôti. On sait bien où l’on est, mais on ne sait pas où l’on va ; quelquefois l’on tombe de fièvre en chaud mal, et l’on troque son cheval borgne pour un aveugle.

Au surplus, mes enfans, honni soit qui mal y pense ! un bon averti en vaut deux ; il n’est pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ; à décrasser un Maure, on perd son temps et son savon, et l’on ne peut pas faire boire un âne s'il n'a soif. Mais suffit, je parle comme saint Paul, la bouche ouverte ; c'est pour tout le monde, et qui se sent morveux se mouche.

Ce que je vous en dis, n’est pas que je vous en parle ; comme un fou avise bien un sage, je vous dis votre fait, et je ne vais pas chercher midi à quatorze heures… Oui, mes frères, vous vous amusez à la moutarde, vous faites des châteaux en Espagne ; mais prenez garde, le démon vous guette comme le chat fait la souris ; il fait d'abord patte de velours ; mais quand une fois il vous tiendra dans ses griffes, il vous traitera de Turc à Maure, et alors vous aurez beau vous chatouiller pour vous faire rire, et faire les bons apôtres, vous en aurez tout du long et tout du large.

Si quelqu'un revenait de l'autre monde, et qu'il rapportât des nouvelles de l'école, alors on y regarderait à deux fois, chat échaudé craint l’eau froide ; quand l’on sait ce qu'en vaut l’aune, on y met le prix ; mais là-dessus, les plus savans n'y voient goutte ; la nuit, tous chats sont gris, et quand on est mort c'est pour long-temps.

Prenez garde, disait saint Chrysostôme, n'éveillez pas le chat qui dort, l’occasion fait le larron, vous taillez en plein drap ; mais les battus paieront l’amende. Fin contre fin ne vaut rien pour doublure ; ce qui est doux à la bouche est amer au cœur ; et à la Chandeleur les grandes douleurs. Vous êtes comme des rats en paille, vous avez le dos au feu, le ventre à la table ; les biens vous viennent en dormant ; on vous prêche, vous n'écoutez pas, ventre affamé n'a pas d'oreille ; mais aussi, rira bien qui rira le dernier. Tout passe, tout casse, tout tasse ; ce qui vient de la flûte retourne au tambour, et l’on se trouve à terre le cul entre deux selles ; alors il n'est plus temps, c'est de la moutarde après dîner ; il est trop tard de fermer l’écurie quand les chevaux sont pris.

Souvenez-vous donc bien de cette leçon, mes chers frères, faites vie qui dure; il ne s'agit pas de brûler la chandelle par les deux bouts ; qui trop embrasse mal étreint ; et à courir deux lièvres, on n'en prend aucun. Il ne faut pas non plus jeter le manche après la cognée. Dieu a dit : Aide-toi, je t'aiderai : n'est pas marchand qui toujours gagne ; quand on a peur des feuilles, il ne faut pas aller au bois ; mais il faut faire contre fortune bon cœur, et battre le fer tandis qu'il est chaud.

Un homme sur la terre est comme un oiseau sur la branche, il doit toujours être sur le qui vive ; on ne sait ni qui vit ni qui meurt ; l'homme propose, Dieu dispose ; tel qui rit vendredi, dimanche pleurera ; il n'est si bon cheval qu'il ne bronche, et quand on parle du loup, on en voit la queue… Oui, mes chers frères, aux yeux de Dieu tout est égal, riche ou pauvre, il n'importe, tant vaut l'homme, tant vaut la terre ; bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. Les riches paient les pauvres ; ils se servent de la patte du chat pour tirer les marrons du feu ; mais saint Ambroise a dit : Chacun son métier, les vaches sont bien gardées : il ne faut pas que Gros-Jean remontre à son curé ; chacun doit se mesurer à son aune, et comme on fait son lit on se couche. Tous les chemins vont à Rome, direz-vous ; oui, mais encore faut-il les savoir, et ne pas choisir ceux où il y a des pierres.

Pensez donc bien, mes chers frères, que Dieu est partout, et qu'il voit tout ; il ne faut pas finasser avec lui, c'est vouloir prendre la lune avec les dents. Il faut aller droit en besogne, et ne pas mettre la charrue devant les bœufs ; quand la poire est mûre, il faut la cueillir.

Quand on veut faire son salut, voyez-vous, il faut aller de cul et de tête comme une corneille qui abat des noix. Si le démon veut vous dérober, laissez-le hurler après vous ; chien qui aboie ne mord pas. Soyez bons chevaux de trompette, ne vous effarouchez pas du bruit. Les méchans vous riront au nez ; mais c'est un ris qui ne passe pas le nœud de la gorge ; c'est la pelle qui se moque du fourgon. Au demeurant, chacun son tour, et à chaque oiseau son nid paraît beau. Au surplus, pour être heureux, il faut souffrir ; les pois ne peuvent pas tomber tout cuits dans la bouche ; après la pluie vient le beau temps, et après la peine le plaisir. Laissez dire : Trop gratter cuit, trop parler nuit ; moquez-vous du qu'en dira-t-on, et ne croyez pas que, qui se fait brebis, le loup le mange. Non, non, mes chers frères ; Dieu a dit : Plus vous vous serez humiliés sur la terre, plus vous serez élevés dans le ciel.

Ecoutez et retenez bien ceci, je vous parle d'abondance de cœur ; il n'est pas besoin de mettre les points sur les i ; à bon entendeur salut ; il n'est qu’un mot qui serve ; il ne faut pas tant de beurre pour faire un quarteron; quiconque fera bien, trouvera bien ; les écrits sont des mâles, dit-on, et les paroles des femelles ; on prend les bœufs par les cornes, les hommes par les paroles, et quand les paroles sont dites, l'eau bénite est faite.

Faites donc de solides réflexions sur tout ce que je vous ai dit : il faut choisir d'être à Dieu ou au diable ; il n'y a pas de milieu, et comme on dit, il faut passer par la porte ou par la fenêtre. Vous n'êtes pas ici pour enfiler des perles, c'est pour faire votre salut. Ce n'est pas sur l'anse d'un panier que vous rendrez vos comptes ; le démon a beau vous dorer la pilule, quand le vin sera tiré, il faudra le boire, et c'est au fond du pot qu'on trouve le marc.

Au surplus, à l'impossible nul n'est tenu ; je ne veux pas vous sauver malgré vous, moi. Si ce que je vous dis vous entre par une oreille et vous ressort par l'autre, c'est comme si je prêchais à des sourds ; mais c'est égal, quand il faut fondre la cloche, sauve qui peut, malheureux qui est pris… Pour moi, je m'en bats l'œil ; je suis comme saint Jean-Bouche-d'or, je dis tout ce que je sais ; et comme charité bien ordonnée commence par soi-même, je vais tâcher de faire mes orges et de retirer mon épingle du jeu. Alors, quand je serai sauvé, ah ! ma foi, arrive qui plante, je vous dirai tire-t'en Pierre ! et si vous allez à tous les diables, je m'en lave les mains.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Amen. Ainsi soit-il.






GLOSE
L’auteur ouvre son exercice de style par une citation, parodiant ainsi les prêcheurs, grands consommateurs de citations bibliques. Bien. Mais cette citation est celle d’un homme qui sent le soufre, Molière, auteur de Dom Juan, qui, lui-même, citait un proverbe. La phrase-proverbe, extraite, non pas  de Dom Juan ou le Festin de pierre, par Molière, en prose, mais d’une version de la comédie en vers, composée par Thomas Corneille : Le Festin de Pierre, comédie mise en vers sur la prose de feu Mr de Molière (1683), contient une erreur, car le vers se trouve bien acte V,  mais dans la scène 2 et non la scène 3.

D. JUAN

C’est ainsi que l’on peut, dans le siècle où nous sommes
Profiter sagement des faiblesses des hommes,
Et qu’un esprit bien fait, s’il craint les mécontents,
Se doit accommoder aux vices de son temps.

SGANARELLE.

Qu'entens-je ? ç'en est fait, Monsieur, et je le quitte,
Il ne vous manquoit plus que vous faire Hypocrite,
Vous estes de tout point achevé, je le voy,
Assommez-moy de coups, percez-moy, tuez-moy,
Il faut que je vous parle, il faut que je vous dise,
Tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se brise :


Le proverbe – que le hasard a fait un alexandrin – se trouvait déjà dans la version en prose où Sganarelle avertissait Dom Juan qu’après sa mort il irait en enfer, car « Sçachez, Monsieur, que tant va la cruche à l’eau, qu’enfin elle se brise » (Le Festin de pierre, Amsterdam, 1683). Dans la version en prose originale, Molière continuait la tirade de Sganarelle par ce que les linguistes appellent une anadiplose (du grec ana, de nouveau, et diplos, double), qui consiste à reprendre le dernier mot d’une proposition grammaticale pour commencer la proposition suivante, et ainsi de suite. Le meilleur exemple en est J’en ai marre, marabout, bout de ficelle, selle de cheval Molière, donc, avait écrit :


Sçachez, Monsieur, que tant va la cruche à l'eau qu'enfin elle se brise : & comme dit fort bien cet Auteur que je ne connois pas, l'homme est en ce monde ainsi que l'oiseau sur la branche, la branche est attachée à l'arbre, qui s'attache à l'arbre suit de bons preceptes, les bons preceptes valent mieux que les belles paroles, les belles paroles se trouvent à la Cour. A la Cour sont les Courtisans, les Courtisans suivent la mode, la mode vient de la fantaisie, la fantaisie est une faculté de l'ame, l’ame est ce qui nous donne la vie, la vie finit par la mort ; la mort nous fait penser au Ciel, le Ciel est au-dessus de la terre, la terre n'est point la mer, la mer est sujette aux orages, les orages tourmentent les Vaisseaux, les Vaisseaux ont besoin d'un bon pilote, un bon pilote a de la prudence, la prudence n'est point dans les jeunes gens, les jeunes gens doivent obeïssance aux vieux, les vieux ayment les richesses, les richesses font les riches, les riches ne sont pas pauvres, les pauvres ont de la necessité, la necessité n'a point de loy, qui n'a pas de loy vit en bête brute, & par consequent vous serez damné à tous les Diables.

On a le sentiment que l’auteur inconnu du Sermon a repris, imitant Molière, le principe de l’anadiplose pour enfiler le plus grand nombre possible de  proverbes tout en donnant à son imitation un sens général, celui qu'aurait un réel sermon, à l’inverse de « J’en ai marre, marabout… », une suite purement formelle, drôle par son absurdité même. Ajoutons pour conclure que l'italique des proverbes se trouve dans le seul Dictionnaire des proverbes français, utilisé pour les mettre en lumière, ces proverbes choisis par l'auteur du Sermon.


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