Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

4 janvier 2016


Des trois singularités données ci-dessous, les deux premières se trouvent dans Le Livre des singularités de Gabriel Peignot (1767-1849), un érudit, bibliomane, bibliographe, tandis que la troisième se lit dans Amusements sérieux et comiques, par Charles Dufresny (1648-1724), un protégé de Louis XIV, doué pour tout, habitué de la cour jusqu'à la venue de l'austère Madame de Maintenon qui l'incita à vivre désormais à Paris où il se mit à écrire des comédies que l'on dit amusantes. Deux hommes différents en tout, reconnaissons-le, – à ceci près, néanmoins, que Dufresny aurait très bien pu écrire ce qu’écrivait Peignot dans un préambule au Livre des singularités qui servait à la fois de préface et de table des matières : « ce livre de SINGULARITÉS ou plutôt de sornettes, est un ouvrage à part, un recueil fantasque, sérieux, burlesque, érudit, frivole, grave, amusant, facétieux, admirable, piquant, détestable, parfois instructif, parfois ennuyeux, souvent décousu, mais toujours varié ; c’est déjà quelque chose. »




 T R O I S   S I N G U L A R I T É S

   

Le mot français SAVOIR (…) renferme ce qui caractérise l’ambitieux dans ses désirs :


N’est-il pas reconnu que l’ambitieux voudrait tout SAVOIR, tout AVOIR, tout VOIR, tout OIR (vieux mot français qui signifie entendre), et posséder la richesse désignée par l’OR.

G.P. Philomneste (Gabriel Peignot)
Le Livre des singularités, Dijon, Paris, 1841, p. 95.







CHEZ LES ANCIENS. Cicéron raconte que l'Iliade, poëme d'Homère, écrit sur du parchemin, a été renfermée dans une coquille de noix. Il faut que l'écriture ait été d'une finesse extrême, car l'Iliade, d'après le relevé exact du nombre de vers dans chacun des XXIV livres, en renferme 15,686. Aussi quelle confiance que l'on ait dans la candeur et la bonne foi de Cicéron, son récit a rencontré plus d'un incrédule. Cependant le célèbre Huet, ce savant évêque d'Avranche, après avoir douté, comme beaucoup d'autres, de la possibilité de renfermer l'Iliade dans une coquille de noix, assure qu'il a examiné la chose plus sérieusement, et qu'il la regarde comme faisable. C'est dans l'appartement de la Reine (Marie Leczinska), qu'un jour, il passa une demi-heure à prouver son opinion. Une feuille de vélin, dit-il, d'environ dix pouces de long sur huit de large, peut, si elle est très-mince et très-souple, être renfermée dans une coquille de noix. Cette feuille est susceptible de contenir dans sa largeur trente et une lignes, et deux cent cinquante-deux vers dans sa longueur ; une page contiendra donc sept mille huit cent douze vers et le revers autant, c'est-à-dire quinze mille six cent vingt-quatre vers, montant, à peu de chose près de ceux que renferme l'Iliade. Cette transcription peut facilement se faire avec une plume de corbeau. « Croyons donc à l'Iliade enfermée dans une noix. »

Ibid
., p. 284.






Je voudrais écrire et je voudrais être original. Voilà une idée vraiment comique, me dira ce savant traducteur, et je trouve fort plaisant que vous vous avisiez de vouloir être original en ce temps-ci : il fallait vous y prendre dès le temps des Grecs ; les Latins mêmes n’ont été que des copistes.





Charles Dufresny, Amusements sérieux et comiques, 1699 (Bossard, 1921, p. 57, qui reproduit l'édition augmentée de 1707).
La plume d'oie est un détail du portrait de Dufresny gravé par Achille Ouvré d'après un portrait peint par Ch. Coypel, en frontispice de l'édition de 1921.




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