Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

 
18 novembre 2016


UN AGRÉABLE PASSE-TEMPS




L'ouvrage en deux tomes reliés en un volume, Le Passe-tems agréable ou nouveau choix de bons-mots, pensées ingénieuses, rencontres plaisantes, Gasconnades, &c. enrichi de quelques Nouvelles Histoires Galantes : Le tout avec des Réflexions par Mr. J.D.R. Corrigé & augmenté considérablement, dans cette quatrième édition, par Mr. C.D.S.P. parut à Rotterdam, chez Jean Hofhout, en 1724, succédant à une troisième édition (1715). Paru pour la première fois, sans nom d’auteur, en 1709, et sous un titre à peine moins bavard : Le Passe-temps agréable, ou nouveau choix de bons-mots, de pensées ingénieuses, et de rencontres plaisantes, enrichi d’une élite des plus vives gasconnades, qui ne sont point dans le Gasconniana, et de quelques nouvelles histoires galantes, avec d’autres reflexions,  il sera suivi de nombreuses éditions plus ou moins remaniées, ou augmentées.
Les initiales J.D.R. renvoient à un fils d’avocat, petit-fils du pasteur Charles de Rochefort, auteur de l’Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amériques (1658), Jean de Rochefort, qui introduit son recueil par une Epître à trois de mes amis dont on ne connaîtra pas le nom. C.D.S.P. désigne Pierre Cartier de Saint-Philippe (1690-1766), né à Rotterdam, fils de pasteur et gagnant sa vie (mal) en étant correcteur d’imprimerie. Il donne à la suite de l’Épître une préface non signée, tout en la faisant commencer par le rappel de celle composée autrefois par Jean de Rochefort, mort jeune en 1714. Pour sa part, annonce-t-il, s’il a augmenté le livre, ajoutant ses compilations et trouvailles à celles de son prédécesseur en les faisant précéder d’un signe typographique pour les distinguer, il a corrigé des erreurs, il a innové en indiquant ses sources, et s’est efforcé de mettre le tout en ordre, rangeant historiettes, bons mots et réflexions, contes et épigrammes en vers, selon des thèmes. Pierre Cartier civilisait par là le désordre – à vrai dire point si désagréable qu'il le pensait – de la plupart des recueils de bons mots, anecdotes, et autres plaisantes productions destinées à faire sourire ou à s’esclaffer. Si ordre il fallait, c’est que les hommes de salon ou les auteurs en panne d’inspiration lisaient ces recueils moins pour un plaisir gratuit que pour se préparer à briller en société, ou par écrit, dans un livre en préparation. Parmi ces thèmes, celui des naïvetés n’est pas le moins fourni. Exemple :

Les Naïvetés, les simplicitées, & l’ignorance divertissent certaines personnes souvent tout autant que des traits d’esprit. Comme ce Recueil est pour toutes sortes de génies, ce qui suit aura peut-être de quoi plaire, si-non à tous, du moins à quelques-uns.
Quelqu’un faisant voir un logis qu’il avoit fait bâtir, comme on remarquoit quelques défauts dans la construction de son bâtiment, pour s’excuser de ce qu’il n’étoit pas si régulier qu’on le désiroit, il dit, Ah ! Messieurs, je n’y ai pas observé toutes les régles que vous observez en vos fornications, (pour dire en vos fortifications) aussi ne me suis-je servi d’aucun Ingénieur, j’ay été le seul Archidiacre de ma maison. (Il vouloit dire Architecte).

(Tome I, p. 195)

Parfois presque pédagogique, le recueil proposait des historiettes avertissant le lecteur de la manière de se comporter en société, et l’aidait par le biais d’une anecdote montrant comment manier, ou ne pas manier, les bons mots. Exemple :

On dit souvent bien des sottises, quand on veut faire le plaisant & le diseur de bons-mots. C’est un caractére qui est difficile à soûtenir. Il demande beaucoup de jugement, de délicatesse, & de prudence. Il faut savoir choisir les occasions, & ne se pas hazarder trop legèrement ; car il arrive souvent qu’une plaisanterie est retorquée avec tant de justesse, & si vivement que le plaisant n’a rien à repliquer, ce qui l’expose à la raillerie de chacun.
Gratiarque, fort mauvais plaisant, sans croire l’être, étant un jour avec des femmes se mit à railler la Métempsycose, & dit, Qu’il se ressouvenoit d’avoir été le Veau d’or ; une Dame lui repliqua brusquement ; Que depuis un si long-tems, il n’en avoit perdu que la dorure.

(Tome II, p. 87)

On pouvait se permettre, sous le voile ou le prétexte de l’esprit énoncer des idées subversives, se moquer par exemple de l’enfer, un des piliers de la religion catholique. Exemple :

Harpagon aux Enfers

Quand Harpagon fut entré dans l’Enfer,
Il dit ces mots au Seigneur Lucifer,
Le bois ici ne se ménage guère,
Voilà cent fois plus de feu qu’il n’en faut ;
Eteignez en la moitié, mon Confrère,
Il y pourra faire encor’assez chaud.

[Antoine-Louis Lebrun]

(Tome I, p. 122)


On terminera par un texte de Bernard de La Monnoye, paru dans le Menagiana, t. I, troisième édition, plus ample de moitié, & plus correcte que les précédentes (Paris, Florentin Delaulne), 1715, t. I,  p. 258 : « Voici une plaisanterie sur les Ana ».  Était mis en scène le médecin hollandais vivant à Paris, Jean-Adrien Helvetius (1661-1727), dont le petit-fils, Claude-Adrien, né en 1715, se rendra célèbre en tant que matérialiste et athée. Le grand-père, donc, avait découvert et exploité les vertus de l’ipécacuanha et La Monnoye fit de ce remède la chute d’un conte en vers monorime, énumérant les anas connus de son temps – un véritable exploit littéraire, qui plus est instructif.

Les Ana. Conte par Mr. de la Monnoye.

Fortunius* un jour dîna
Chez un Grand, où l’on raisonna
Bien fort sur le Perroniana,
Thuana, Valésiana.
Après quoi l’on examina,
Lequel, de Patiniana
Vaut moins, ou de Naudæana ?
S’il faloit à Chévræana
Préférer Parrhasiana ?
Et priser Ménagiana,
Plus que le Scaligérana ?
En liberté chacun prôna,
Ou, suivant son goût, condamna,
L’un Saint-Evremoniana ;
L’autre, Furétériana ;
Un tiers l’avantage donna
Sur eux à Sorbériana.
Tel, contre Anonimiana,
Contre le Vasconiana,
Et contre Arléquiniana,
Tint bon pour Santoliana.
Au dessert on questiona,
Si le nom Boursautiana,
Celui d’Ancilloniana,
De Vigneuil-Marviliana,
Et de Colomésiana,
Jamais des Auteurs émana ?
Si l’on verroit Pithouana,
Et d’autres que promis on a ;
Tels que sont Baluziana,
De Selden, Seldéniana,
De Daumius, Daumiana,
De Calvin, Calviniana,
De Bourbon, Borboniana,
De Grotius, Grotiana,
De Bignon, Bignoniana,
De Sallot, Sallotiana,
De Segrais, Segrésiana,
Commire, Commiriana,
Enfin, Casauboniana,
Et le Bourdelotiana,
Même Furstembergiana ?
Fortunius lors opina,
Et d’un ton qui prédomina,
La dispute ainsi termina :
Messieurs, nul de tous ces Ana
Ne vaut l’Y-pécacuana**.

* Mr Helvetius, fameux Médecin Hollandois à Paris.
** Plante qui a fait la fortune de Mr Helvétius, comme on peut le voir dans les Mélanges de Vigneuil-Marville T. I, p. 39.

(T. II, pp. 298-300)




NOTES AJOUTÉES

Ancilloniana.  Paru en 1698  sous le titre Mélanges critiques de littérature…, 3 vol. in-12. L’auteur, Charles Ancillon (1659-1715), a recueilli les propos de son père, le pasteur David Ancillon.

Anonimiana. Anonymiana, ou Mélanges de poésie, d’éloquence, d’érudition parut en 1700 (Paris, Colombat).

Arlequiniana. Arlequiniana, ou les bons mots, les histoires plaisantes et agréables recueillis des conversations d’Arlequin, rédigé par Charles  Cotolendi, parut pour la première fois en 1694 (Paris, Fl. et P. Delaulne).

Baluziana. Cet ana concernant Etienne Baluze (1630-1718), bibliothécaire de Colbert à partir de 1667, professeur de droit canon au Collège Royal à Paris aurait existé, mais a disparu.

Bignoniana. Ce manuscrit de Jérôme Bignon, bibliothécaire du roi (1589-1656), ne fut jamais imprimé.

Borboniana. Recueil des bons mots des princes de la maison de Bourbon, en commençant par Henri IV.

Bourdelotiana. En 1725, ce recueil existait à l’état de manuscrit. Il était dû au célèbre médecin libre-penseur Pierre Michon (1610-1684), qui avait repris, s'appelant l'abbé Bourdelot, le nom de son oncle Jean Bourdelot, grand lecteur de Lucien et de Pétrone, dont il avait hérité la fortune et les goûts littéraires.

Boursautiana. Titre choisi par La Monnoye pour désigner des lettres d’Edme Boursault (1638-1701) à l’évêque de Langres. 

Calviniana. Un recueil de propos énoncés par Calvin resté manuscrit.

Casauboniana. Cet ana d’observations théologiques, écrit en latin et consacré à l’érudit helléniste Isaac Casaubon (1559-1614), parut en 1710, à Hambourg. Peu estimé, il ne fut jamais traduit.

Chévreana. L'ana fut publié à Paris, chez Fl. et P. Delaulne, par Urbain Chevreau (1613-1701) lui-même,  précepteur du duc du Maine, puis secrétaire de la reine Christine de Suède.

Colomésiana. Ana consacré au calviniste Paul Colomiès (né à La Rochelle en 1638).

Commiriana. Non publié, le texte resté manuscrit est dû au jésuite Jean Commire, théologien, enseignant et poète s'exprimant en latin (1625-1702).

Daumiana. Un manuscrit jamais imprimé, rassemblant des Mélanges de littérature par Christian Daumus, recteur du collège de Zwickau (Saxe), mort en 1687.

Furétériana. En 1696 paraissait Furetiriana (sic), ou les bons mots et les remarques d’histoire, de morale, de critique, de plaisanterie et d’érudition de M. Furetière (Paris, Thomas Guillain), publié par Guy Marais, suivi, la même année d'une seconde édition (Lyon, Tomas Amaulry) 1696.

Furstembergiana. ?

Grotiana. De cet ouvrage de ou sur l'humaniste Hugo Grotius (1583-1645) on ne connaît aucune édition.

Ménagiana. Un des anas les plus fréquentés, peut-être. Il y en eut de nombreuses éditions, dont la première parut en 1699 (Paris, Fl. et P. Delaulne), 504 p. in-12.

Naudeana. Plus exactement : Naudæana et Patiniana ou singularitez remarquables de Messieurs Naudé et Patin (Paris, Fl. et P. Delaulne, 1701).

Parrhasiana. L'ana fut publié à Amsterdam, Ant. Schelte en 1699, suivi d'un second volume en 1701. Théodore Parrhase est le pseudonyme de Jean Le Clerc, théologien calviniste né à Genève en 1657, mort en 1736.

Patiniana. Voir Naudæana.

Perroniana. L’édition  originale de cet ouvrage rédigé en latin, consacré au cardinal Jacques du Perron (1556-1618), est due aux frères Dupuy (Genève, 1669). Une édition en français paraîtra en 1694 : Perroniana et Thuana ou pensées judicieuses, bons mots… du cardinal du Perron et de M. le Président de Thou, conseiller d’État (Cologne, 1694). Selon J.-Christophe Wolf, professeur de langues orientales à Hambourg, auteur de la  préface du Casauboniana (1710), nombre d’anecdotes étaient fausses.

Pithouana. Le premier état de l’ouvrage fut un manuscrit écrit en latin par Pierre Pithou (1539-1596) pour transmettre les pensées et propos de son oncle, l’érudit François Pithou (1543-1691) : Pithœana sive excerpta a Petro Pithœo ex ore et schedis Fr. Pithœi patrui sui (Tricassibus, 1616).

Saint-Evremoniana. La première édition, Saint-Evremoniana ou dialogues des nouveaux dieux, fut donnée par Charles Cotolendi en 1700 (Paris, Brunet).

Sallotiana. Jamais paru sous ce titre, l’ouvrage, neuf volumes in-folio d’environ 2000 pages chacun dont sept étaient consacrés à l’histoire et deux aux mélanges, s’intitulait Recueil de mélanges de M. Denys de Sallo… fondateur du Journal des Savants.

Santoliana. Santoliana, ou bons mots de M. de Santeuil, avec un abrégé de sa vie (La Haye, Joseph Crispin, 1708) fut publié à Rouen par La Monnoye et connut  de nombreuses éditions.

Scaligérana. Le premier état de ce recueil écrit en latin, consacré à l’érudit protestant Joseph Scaliger (1540-1609), parut en 1669 puis fut rémprimé en 1671. Une nouvelle édition en français paraîtra en 1695 : Scaligerana ou bons mots, rencontres agréables… de J. Scaliger, avec des notes de M. Le Fèvre et de M. de Colomiès… (Cologne, chez ***).

Seldéniana. Ce titre renvoie à un recueil anglais paru à Londres en 1689, consacré au juriste, homme politique et linguiste anglais John Selden : Seldeniana, or the Table-Talk  [Les propos de table] of John Selden…, une brochure de 8 feuilles. En 1724, la brochure n’avait pas été traduite en français.

Sorbériana. Le recueil, consacré à Samuel Sorbière, historiographe du roi (1615-1670), parut pour la première fois en latin (Toulouse, 1691). En 1694 une édition en français paraîtra la même année 1694 à Amsterdam et à Paris, chez la Veuve Cramoisy.

Thuana.  Thuana, sive excerpta ex ore Jacobi Aug. Thuani, per FF. P.P. [Fratres Puteanos, soit les frères Dupuy], s.l., concernant Jacques Auguste de Thou, magistrat et surtout historien (1553-1617), parut en 1669.

Valésiana.  Ce titre désigne Valesian, ou les pensées critiques, historiques et morales et les poésies latines de Monsieur de Valois… recueillies par Monsieur de Valois son fils (Paris, Fl. et P. Delaulne), 1693 ou 1694.

Vasconiana. Vasconiana, ou recueil des bons mots, des pensées les plus plaisantes, et des rencontres les plus vives des Gascons fut publié en 1708 à Lyon (Boudet) et à Paris (Michel Brunet). La graphie « Vasconiana » reproduit l’accent gascon, qui transforme le mot "gascon" en "vascon".

Vigneuil-Marviliana. Ce titre désigne les Mélanges d’histoire et de littérature recueillis par M. de Vigneul-Marville, pseudonyme du chartreux (en 1662) Bonaventure d’Argonne, mort en 1704.

Le faux ana, Ypécacuana. Il est là parce qu'il fournit une rime grotesque destinée à contrebalancer l'érudition satirique au départ mais  ennuyeuse à la longue de la liste des anas. Rappelons que ipécacuanha, puis ipécacuana, est le nom scientifique d’une racine végétale aux propriétés vomitives, bien connue des cruciverbistes, l’ipéca, un substantif apprécié des faiseurs de mots croisés pour être un mot bref à trois voyelles, propre à boucher un trou (dans la grille).

 


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