L'ouvrage en deux tomes reliés en un
volume, Le Passe-tems agréable ou nouveau
choix de bons-mots, pensées ingénieuses,
rencontres plaisantes, Gasconnades, &c.
enrichi de quelques Nouvelles Histoires Galantes :
Le tout avec des Réflexions par Mr. J.D.R. Corrigé
& augmenté considérablement, dans cette
quatrième édition, par Mr. C.D.S.P. parut à
Rotterdam, chez Jean Hofhout, en 1724, succédant à
une troisième édition (1715). Paru pour la
première fois, sans nom d’auteur, en 1709, et sous
un titre à peine moins bavard : Le
Passe-temps agréable, ou nouveau choix de
bons-mots, de pensées ingénieuses, et de
rencontres plaisantes, enrichi d’une élite des
plus vives gasconnades, qui ne sont point dans
le Gasconniana, et de quelques nouvelles
histoires galantes, avec d’autres reflexions, il sera suivi
de nombreuses éditions plus ou moins remaniées,
ou augmentées.
Les
initiales J.D.R. renvoient à un fils d’avocat,
petit-fils du pasteur Charles de Rochefort, auteur
de l’Histoire naturelle et morale des îles
Antilles de l’Amériques (1658), Jean de
Rochefort, qui introduit son recueil par une Epître
à trois de mes amis dont on ne connaîtra
pas le nom. C.D.S.P. désigne Pierre Cartier de
Saint-Philippe (1690-1766), né à Rotterdam, fils
de pasteur et gagnant sa vie (mal) en étant
correcteur d’imprimerie. Il donne à la suite de
l’Épître une préface non signée, tout en la
faisant commencer par le rappel de celle
composée autrefois par Jean de Rochefort, mort
jeune en 1714. Pour sa part, annonce-t-il, s’il
a augmenté le livre, ajoutant ses compilations
et trouvailles à celles de son prédécesseur en
les faisant précéder d’un signe typographique
pour les distinguer, il a corrigé des erreurs,
il a innové en indiquant ses sources, et s’est
efforcé de mettre le tout en ordre, rangeant
historiettes, bons mots et réflexions, contes et
épigrammes en vers, selon des thèmes. Pierre
Cartier civilisait par là le désordre – à
vrai dire point si désagréable qu'il le pensait
– de la plupart des recueils de bons mots,
anecdotes, et autres plaisantes productions
destinées à faire sourire ou à s’esclaffer. Si
ordre il fallait, c’est que les hommes de salon
ou les auteurs en panne d’inspiration lisaient
ces recueils moins pour un plaisir gratuit que
pour se préparer à briller en société, ou par
écrit, dans un livre en préparation. Parmi ces
thèmes, celui des naïvetés n’est pas le moins
fourni. Exemple :
Les Naïvetés, les
simplicitées, & l’ignorance
divertissent certaines personnes souvent
tout autant que des traits d’esprit.
Comme ce Recueil est pour toutes sortes
de génies, ce qui suit aura peut-être de
quoi plaire, si-non à tous, du moins à
quelques-uns.
Quelqu’un
faisant voir un logis qu’il avoit fait
bâtir, comme on remarquoit quelques
défauts dans la construction de son
bâtiment, pour s’excuser de ce qu’il
n’étoit pas si régulier qu’on le
désiroit, il dit, Ah !
Messieurs, je n’y ai pas observé
toutes les régles que vous observez en
vos fornications, (pour dire
en vos fortifications) aussi
ne me suis-je servi d’aucun Ingénieur,
j’ay été le seul Archidiacre de ma
maison. (Il
vouloit dire Architecte).
|
(Tome I, p.
195)
|
Parfois
presque pédagogique, le recueil proposait des
historiettes avertissant le lecteur de la manière
de se comporter en société, et l’aidait par le
biais d’une anecdote montrant comment manier, ou
ne pas manier, les bons mots. Exemple :
On
dit souvent bien des sottises, quand on
veut faire le plaisant & le diseur de
bons-mots. C’est un caractére qui est
difficile à soûtenir. Il demande beaucoup
de jugement, de délicatesse, & de
prudence. Il faut savoir choisir les
occasions, & ne se pas hazarder trop
legèrement ; car il arrive souvent
qu’une plaisanterie est retorquée avec
tant de justesse, & si vivement que le
plaisant n’a rien à repliquer, ce qui
l’expose à la raillerie de chacun.
Gratiarque, fort mauvais
plaisant, sans croire l’être, étant un
jour avec des femmes se mit à railler la
Métempsycose, & dit, Qu’il
se ressouvenoit d’avoir été le Veau
d’or ; une Dame lui
repliqua brusquement ; Que
depuis un si long-tems, il n’en avoit
perdu que la dorure.
|
(Tome II,
p. 87)
|
On
pouvait se permettre, sous le voile ou le prétexte
de l’esprit énoncer des idées subversives, se
moquer par exemple de l’enfer, un des piliers de
la religion catholique. Exemple :
Harpagon aux Enfers
Quand
Harpagon fut entré dans l’Enfer,
Il dit ces mots au Seigneur
Lucifer,
Le bois ici ne se ménage guère,
Voilà cent fois plus de feu qu’il
n’en faut ;
Eteignez en la moitié, mon
Confrère,
Il y pourra faire encor’assez
chaud.
[Antoine-Louis
Lebrun]
|
(Tome I, p.
122)
|
On
terminera par un texte de Bernard de
La Monnoye, paru dans le Menagiana, t. I, troisième
édition, plus ample de moitié, & plus
correcte que les précédentes (Paris, Florentin
Delaulne), 1715, t. I, p.
258 : « Voici une plaisanterie sur
les Ana ». Était mis
en scène le médecin hollandais vivant à Paris,
Jean-Adrien Helvetius (1661-1727), dont le
petit-fils, Claude-Adrien, né en 1715, se rendra
célèbre en tant que matérialiste et athée. Le
grand-père, donc, avait découvert et exploité les
vertus de l’ipécacuanha et La Monnoye fit de
ce remède la chute d’un conte en vers monorime,
énumérant les anas connus de son temps – un
véritable exploit littéraire, qui plus est
instructif.
Les Ana. Conte par Mr. de
la Monnoye.
Fortunius*
un jour dîna
Chez un Grand, où l’on raisonna
Bien fort sur le Perroniana,
Thuana, Valésiana.
Après quoi l’on examina,
Lequel, de Patiniana
Vaut moins, ou de Naudæana ?
S’il faloit à Chévræana
Préférer Parrhasiana ?
Et priser Ménagiana,
Plus que le Scaligérana ?
En liberté chacun prôna,
Ou, suivant son goût, condamna,
L’un Saint-Evremoniana ;
L’autre, Furétériana ;
Un tiers l’avantage donna
Sur eux à Sorbériana.
Tel, contre Anonimiana,
Contre le Vasconiana,
Et contre Arléquiniana,
Tint bon pour Santoliana.
Au dessert on questiona,
Si le nom Boursautiana,
Celui d’Ancilloniana,
De Vigneuil-Marviliana,
Et de Colomésiana,
Jamais
des Auteurs émana ?
Si l’on verroit Pithouana,
Et d’autres que promis on a ;
Tels que sont Baluziana,
De Selden, Seldéniana,
De Daumius, Daumiana,
De Calvin, Calviniana,
De Bourbon, Borboniana,
De Grotius, Grotiana,
De Bignon, Bignoniana,
De Sallot, Sallotiana,
De Segrais, Segrésiana,
Commire, Commiriana,
Enfin, Casauboniana,
Et le Bourdelotiana,
Même Furstembergiana ?
Fortunius lors opina,
Et d’un ton qui prédomina,
La dispute ainsi termina :
Messieurs, nul de tous ces Ana
Ne vaut l’Y-pécacuana**.
* Mr Helvetius, fameux Médecin
Hollandois à Paris.
** Plante
qui a fait la fortune de Mr Helvétius,
comme on peut le voir dans les Mélanges
de Vigneuil-Marville T. I, p. 39.
|
(T. II, pp.
298-300)
|
|