Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

 
16 mars 2017


Les bons mots de Sophie Arnould




   


Arnoldiana ou Sophie Arnould et ses Contemporaines

Recueil choisi
d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould

précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impériale de Musique
Par l'auteur du Biévriana.

PARIS
Gérard
1813


Sophie Arnould, chanteuse et actrice, grande courtisane, née en 1740 et morte dans la misère — comme il se doit — le 22 octobre 1802, est restée dans la mémoire collective pour ses mots d’esprit, déjà fort appréciés en son temps. Albéric Deville (1774-1832), qui avait choisi pour pseudonyme épisodique Philana, son nom de plume pour signer Revolutioniana, ou Anecdotes, épigrammes et saillies relatives à la Révolution (an X), composa Arnoldiana (1813) après avoir publié en 1799, sous l’anonymat, Biévriana, ou Jeux de mots de M. de Bièvre. Il profitait de  la publication de l’Arnoldiana pour mettre au point, dans un avant-propos, la question des anas. Regrettant ceux d’autrefois, comme le Ménagiana (qu’il ne nomme pas), il déplorait le destin de ces opuscules ayant fini par colporter plus de sottises que de propos intéressants. Tandis qu’Arnoldiana
Quoi qu’il en soit, voici quelques-uns de ces mots d’esprit.

   
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Page 131.
Vestris père, surnommé le diou de la danse, ayant appelé Mlle Heynel catin, le public, à qui elle appartenait, le força de lui faire des excuses en plein théâtre. La veille de cette réparation Mlle Heynel se plaignait du propos indécent de Vestris. « Que veux-tu, ma chère, répondit Sophie, il faut se consoler de tout ; les gens aujourd'hui sont si grossiers qu'ils appellent les choses par leur nom. »
p. 145.
Elle s'était permis quelques quolibets sur les ridicules d'un certain Duc qui passait pour avoir peu d'esprit. Ce seigneur se trouvant au foyer de l'Opéra un soir que Sophie y faisait circuler ses bons mots, il s'approcha d'elle et lui dit d'un ton impérieux — C'est donc vous, mademoiselle, qui plaisantez les grands, qui faites le bel esprit ? — Moi, monseigneur ? bel esprit ! pas plus que vous, je vous assure.

p. 158.
Un censeur atrabilaire étant au foyer de l'Opéra, blâmait l'inconduite de certaines femmes galantes qui semblent braver toutes les lois de la bienséance ; il critiquait surtout le luxe scandaleux des courtisanes et des actrices. Mlle Arnould, ennuyée de cette diatribe, lui dit sèchement : « Eh ! monsieur, laissez-les jouir de la perte de leur réputation. »

p. 179.
Mlle Beauvoisin, courtisane d'une jolie figure, mais sans taille et sans grâces, avait été obligée, pour cette raison, de quitter l'Opéra dont elle avait été danseuse. Elle s'avisa détenir une maison de jeu, et ses charmes, son luxe et l'affluence des joueurs opulents rendirent sa maison célèbre. Celte belle, si accommodante dans le tête à tête, faisait la prude dans la société. Un jour elle dit à Mlle Arnould, à propos de quelques plaisanteries un peu libres : — Je ne puis souffrir les équivoques. — Mademoiselle est sans doute, répartit Sophie, comme ces personnes qui, blasées sur le vin, en sont à l'eau-de-vie.
p. 193.
Poinsinet partit pour l'Espagne en 1769 ; il comptait travailler dans ce royaume à la propagation de la musique italienne et des ariettes françaises ; malheureusement il se noya dans le Guadalquivir. Lorsque Mlle Arnould apprit cet événement, elle s'écria : « Pauvre Poinsinet, voilà donc tous tes projets à vau-l'eau ? »
p. 197.
Un de ces aimables roués, remplis de grâces et de défauts, et dont le persifflage est tout l'esprit, voyant Sophie richement parée et couverte de diamants, s'approcha d'elle en la lorgnant, et lui demanda si ses bijoux lui avaient coûté bien cher. « Mon petit ami, répondit-elle, vous croyez sans doute parler à votre maman ? »
p. 293.
Une très-jolie femme, mais peu spirituelle et fort ennuyeuse, se plaignait d'être obsédée par la foule de ses amants. « Hé ! madame, lui dit Sophie, il vous  est bien facile de les éloigner ; vous n’avez qu’à parler. »

p. 301.
On lui disait que M. … était tellement indolent et paresseux, qu'il ne faisait absolument rien du matin au soir. — Et Madame, demanda quelqu'un, agit-elle de même ? — C’est la meilleure femme du monde, répondit Sophie, pour ne pas fatiguer son mari, elle se fait faire ses enfants par d’autres.

p. 357.
Beaumarchais passa quatre ans à combattre les obstacles sans cesse renaissants qu'on mettait à recevoir le Mariage de Figaro. Le jour de la première représentation de cette pièce (27 avril 1784), la critique la menaçait d'une chute prochaine. « Oui, dit Mlle Arnould, c'est une pièce qui tombera……… quarante fois de suite. » Cette prédiction a été plus que réalisée, car le Mariage de Figaro a eu plus de cent représentations consécutives.

p. 362.
On attendait à Paris en 1786 un prince indien qui voyageait, disait-on, avec un quarteron de femmes. — Que dira M. l’archevêque, observa quelqu'un ? souffrira-t-il un tel scandale ? Les mœurs seront blessées si l'on permet que cet étranger conserve son sérail ; et puis, il faut qu'il se fasse chrétien. — Oh mon Dieu ! dit Mlle Arnould, il n'a qu’à embrasser notre religion, on lui passera toutes les filles de l'Opéra.

Albéric Deville, dans son Avant-propos, rassure ses lecteurs : il a pris soin d’écarter de son opuscule des mots de Sophie Arnould plutôt graveleux. En voici un, néanmoins, pris au premier tome du recueil Anecdotes échappées à L’Observateur Anglois et aux Mémoires secrets… (Londres, John Adamson, 1788). « Dès que Louis XV fut mort, elle s’écria en s’adressant à toutes les vierges de l’opéra : "Ah, mes amies, nous sommes ***" ». Lire : foutues.


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