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Voir, sur une page
de titre, l’adjectif
« européennes » suivi par
la date de 1785 attire l’œil du
curieux – mais peut-être la date
est-elle fantaisiste. Ce livre, en
deux volumes, sans mention de lieu
d’édition, d’auteur ni d’imprimeur,
est devenu plus que rare,
pratiquement introuvable, absent de
la BnF, jamais proposé par les
libraires d’occasion, mais peut-être
ne méritait-il pas de survivre. Van
Bever, l’ami de Léautaud, le cite
page 252 de ses Contes &
Conteurs gaillards au XVIIIe
siècle (H. Daragon, 1906), et en
extrait quelques textes, mais il
n’en savait pas plus que nous sur
ces deux volumes.
L’ouvrage, dès la première page
revendique sa qualité littéraire —
en principe peu honorable ! —
de compilation, mais d’une
compilation qui aurait son
intérêt : « On trouvera
des Anecdotes historiques, parce
qu’il faut s’instruire, des
Anecdotes plaisantes, parce qu’il
faut s’amuser, des Anecdotes
critiques, parce qu’il faut payer
comptant certains mauvais
plaisans. »
Annoncées européennes, ces
Anecdotes sont surtout françaises ou
anglaises, mais ce qui amuse en 2017
est d’y trouver les lieux communs sur
les nations ou les pays européens qui
se sont transmis intacts de génération
en génération. Premier tome, page
37 : « Jetons maintenant un
coup d’œil sur tout ce qui se passe
dans le monde ; mettons à
contribution la frivolité parisienne,
l’originalité angloise, les avantures
(sic)
espagnoles, la gravité germanique, la
finesse italienne, les prétentions
russes, le flegme hollandois. »
On trouvera ci-dessous trois de ces
Anecdotes, sous la forme d'un poème critique et
satirique, Sur l’Opéra d’Ermelinde,
suivi par un conte en vers un peu leste,
comme on en écrivit tant au dix-huitième
siècle d’avant la Révolution, Le
Bréviaire, suivi lui-même par une
épigramme, Enseigne d’un Poëte.
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Sur l'Opéra
d'Ernelinde
Qui veut de tout, de tout aura,
Qu’il
aille entendre l’opera.
Chant
d’Eglise, chant de boutique,
Du
bouffon & du pathétique
Et
du romain & du français
Et
du baroque et du niais,
Et
tout genre de symphonie,
Marche,
fanfare & cetera ;
Rien
ne manque à ce drame-là
Sinon
esprit, goût & génie.
Une
assez bonne plaisanterie sur cet opera
est le jugement d’un critique qui
disoit : la musique y ressemble
à tout & les paroles n’y
ressemblent à rien.
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LE BRÉVIAIRE.
CONTE.
La veuve d'un
libraire habitait à Ruelle
Pendant le temps de la
belle saison,
Etant pleine d'amour pour la religion,
A tout ministre saint elle marquait du Zèle.
Un matin elle alla chez le curé de lieu,
Le pria pour diner & retourna chez elle.
A sa parole exact le serviteur de Dieu,
Vers le midy vient à paraitre ;
Mais pressé par certain besoin,
Sans réfléchir,
sans s'écarter plus loin
Il s'arrêta tout juste au bas de la fenêtre.
La dévote s'en aperçut ;
Elle ne traita point cette affaire de crime,
Même on dit que pour lui dès lors elle
conçut
Des sentiments établis sur l'estime.
Le bon pasteur à peine fut entré,
Qu'on servit le diner. Soudain d'un air
affable
Notre veuve luy dit en se mettant à table,
Lavez vos mains, mon cher curé.
Madame, assurément, rien n'est moins
nécessaire ;
Répond-il : je n'ay touché que mon
bréviaire.
Qu'il est beau, cria t-elle : il fait
du bien aux yeux ;
J'en aime fort l'office, unissons nous tous
deux
Nous en aurons bien plus de goût pour la
prière.
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Enseigne d'un Poëte
Sur sa porte on lit que
veux-tu ?
Car tout est de sa compétence,
Enigme, chanson, drame & stance.
Moralités sur la vertu,
Ou bien madrigaux pour Constance
Une épigramme, une romance,
Un sujet neuf ou rebattu,
Un poëme de conséquence,
Voire un acrostiche pointu ;
Et quand on veut un impromptu,
On le prévient un mois d’avance.
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NOTES
1.
L'Opéra d'Ernelinde.
Il s’agit de la tragédie lyrique en trois
actes, Ernelinde, princesse de Norvège, paroles de Poinsinet
(Antoine-Alexandre-Henri P. ; 1735-1769) et
Sedaine (Michel-Jean S. ; 1719-1797), musique
de Philidor, représentée pour la première fois le
24 novembre 1767. Le poème suivit immédiatement la
représentation, on peut le lire dans les Mémoires
de Bachaumont,
29 novembre 1767, sous le titre « Sur l’opéra
de Philidor ». Un peu plus tard, le 2 janvier
1768, on lisait, toujours dans Bachaumont : « Ernelinde, que la curiosité du
public a soutenue quelque temps, commence à
tomber. Jamais on n’a mieux défini cet Opéra,
qu’en disant que la musique y ressemble
à tout & les paroles n’y ressemblent à rien. »
2. Le Bréviaire. Conte.
Ce conte en vers est l'œuvre de l'abbé de Voisenon.
3. Enseigne d'un Poëte.
Cette longue épigramme est citée dans L'Esprit
des journaux, françois et étrangers, par une société de
gens-de-lettres, juin 1779 (Paris et Liège), avec
le nom d’auteur Pons de Verdun, soit
Philippe-Laurent Pons de Verdun, dont la date de
naissance est incertaine mais dont on sait qu'il
mourut à Paris en 1844. Elle fut recueillie,
toujours signée Pons de Verdun, dans L’Improvisateur
français, par
un fameux compilateur, Sallentin de l’Oise (Paris,
chez l’Éditeur, Maison de Goujon fils), An
XIII-1805, t. XI, p. 88. Théophile Gautier,
plus tard, dans Celle-ci et celle-là
(Les Jeunes-France), se moquera de
Mme de M*** et du faux romantique
Rodolphe
qui avait écrit sur l’album de la dame
des vers — bien entendu préparés depuis
longtemps — en faisant dire à Mme de
M***, dans ses remerciements au
poète :
« Vraiment je ne savais pas que
vous fissiez les impromptus sans être
prévenu d’avance ; vous êtes
réellement un homme prodigieux. »
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