Éditions PLEIN CHANT

M a r g i n a l i a

 
3 décembre 2017

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Anecdotes européennes




    




 


 

Voir, sur une page de titre, l’adjectif « européennes » suivi par la date de 1785 attire l’œil du curieux – mais peut-être la date est-elle fantaisiste. Ce livre, en deux volumes, sans mention de lieu d’édition, d’auteur ni d’imprimeur, est devenu plus que rare, pratiquement introuvable, absent de la BnF, jamais proposé par les libraires d’occasion, mais peut-être ne méritait-il pas de survivre. Van Bever, l’ami de Léautaud, le cite page 252 de ses Contes & Conteurs gaillards au XVIIIe siècle (H. Daragon, 1906), et en extrait quelques textes, mais il n’en savait pas plus que nous sur ces deux volumes.
L’ouvrage, dès la première page revendique sa qualité littéraire — en principe peu honorable ! — de compilation, mais d’une compilation qui aurait son intérêt : « On trouvera des Anecdotes historiques, parce qu’il faut s’instruire, des Anecdotes plaisantes, parce qu’il faut s’amuser, des Anecdotes critiques, parce qu’il faut payer comptant certains mauvais plaisans. »

Annoncées européennes, ces Anecdotes sont surtout françaises ou anglaises, mais ce qui amuse en 2017 est d’y trouver les lieux communs sur les nations ou les pays européens qui se sont transmis intacts de génération en génération. Premier tome, page 37 : « Jetons maintenant un coup d’œil sur tout ce qui se passe dans le monde ; mettons à contribution la frivolité parisienne, l’originalité angloise, les avantures (sic) espagnoles, la gravité germanique, la finesse italienne, les prétentions russes, le flegme hollandois. »
On trouvera ci-dessous trois de ces Anecdotes, sous la forme
d'un poème critique et satirique, Sur l’Opéra d’Ermelinde, suivi par un conte en vers un peu leste, comme on en écrivit tant au dix-huitième siècle d’avant la Révolution, Le Bréviaire, suivi lui-même par une épigramme, Enseigne d’un Poëte.



 

Sur l'Opéra d'Ernelinde


Qui veut de tout, de tout aura,

Qu’il aille entendre l’opera.
Chant d’Eglise, chant de boutique,
Du bouffon & du pathétique
Et du romain & du français
Et du baroque et du niais,
Et tout genre de symphonie,
Marche, fanfare & cetera ;
Rien ne manque à ce drame-là
Sinon esprit, goût & génie.
Une assez bonne plaisanterie sur cet opera est le jugement d’un critique qui disoit : la musique y ressemble à tout & les paroles n’y ressemblent à rien.




LE BRÉVIAIRE.
CONTE.

La veuve d'un libraire habitait à Ruelle
    Pendant le temps de la belle saison,

Etant pleine d'amour pour la religion,

A tout ministre saint elle marquait du Zèle.

Un matin elle alla chez le curé de lieu,

Le pria pour diner & retourna chez elle.

A sa parole exact le serviteur de Dieu,

          Vers le midy vient à paraitre ;

          Mais pressé par certain besoin,

     Sans réfléchir, sans s'écarter plus loin

Il s'arrêta tout juste au bas de la fenêtre.

          La dévote s'en aperçut ;

Elle ne traita point cette affaire de crime,

Même on dit que pour lui dès lors elle conçut

          Des sentiments établis sur l'estime.

          Le bon pasteur à peine fut entré,

Qu'on servit le diner. Soudain d'un air affable

Notre veuve luy dit en se mettant à table,

              Lavez vos mains, mon cher curé.

Madame, assurément, rien n'est moins nécessaire ;

Répond-il : je n'ay touché que mon bréviaire.

Qu'il est beau, cria t-elle : il fait du bien aux yeux ;

J'en aime fort l'office, unissons nous tous deux

Nous en aurons bien plus de goût pour la prière.





Enseigne d'un Poëte

Sur sa porte on lit que veux-tu ?
Car tout est de sa compétence,
Enigme, chanson, drame & stance.
Moralités sur la vertu,
Ou bien madrigaux pour Constance
Une épigramme, une romance,
Un sujet neuf ou rebattu,
Un poëme de conséquence,
Voire un acrostiche pointu ;
Et quand on veut un impromptu,
On le prévient un mois d’avance.


          
 

NOTES
1. L'Opéra d'Ernelinde.
Il s’agit de la tragédie lyrique en trois actes, Ernelinde, princesse de Norvège, paroles de Poinsinet (Antoine-Alexandre-Henri P. ; 1735-1769) et Sedaine (Michel-Jean S. ; 1719-1797), musique de Philidor, représentée pour la première fois le 24 novembre 1767. Le poème suivit immédiatement la représentation, on peut le lire dans les Mémoires de Bachaumont, 29 novembre 1767, sous le titre « Sur l’opéra de Philidor ». Un peu plus tard, le 2 janvier 1768, on lisait, toujours  dans Bachaumont : « Ernelinde, que la curiosité du public a soutenue quelque temps, commence à tomber. Jamais on n’a mieux défini cet Opéra, qu’en disant que la musique y ressemble à tout & les paroles n’y ressemblent à rien. »
2. Le Bréviaire. Conte.
Ce conte en vers est l'œuvre de l'abbé de Voisenon.
3. Enseigne d'un Poëte.

Cette longue épigramme est citée dans L'Esprit des journaux, françois et étrangers, par une société de gens-de-lettres, juin 1779 (Paris et Liège), avec le nom d’auteur Pons de Verdun, soit Philippe-Laurent Pons de Verdun, dont la date de naissance est incertaine mais dont on sait qu'il mourut à Paris en 1844. Elle fut recueillie, toujours signée Pons de Verdun, dans L’Improvisateur français, par un fameux compilateur, Sallentin de l’Oise (Paris, chez l’Éditeur, Maison de Goujon fils), An XIII-1805, t. XI, p. 88. Théophile Gautier, plus tard, dans Celle-ci et celle-là (Les Jeunes-France), se moquera de Mme de M*** et du faux romantique Rodolphe qui avait écrit sur l’album de la dame des vers — bien entendu préparés depuis longtemps — en faisant dire à Mme de M***, dans ses remerciements au poète : « Vraiment je ne savais pas que vous fissiez les impromptus sans être prévenu d’avance ; vous êtes réellement un homme prodigieux. »




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