Éditions PLEIN CHANT

Marginalia


Edmond Thomas



À BASSAC QUATRE LÉROTS RÊVANT



Pour Jean-Paul et Jacqueline
Pour Marylou





  De tous les lérots rencontrés dans ma vie, ceux de Bassac me semblent les plus rêveurs. Les plus vivants aussi : ce sont de gais lirons qui évoluent surtout dans le jardin, faisant au crépuscule de menus ravages dans le poirier avec les mèches de leur feu de bois. Ils comprennent, comme le dit un vieux dictionnaire « quelques espèces de l'ancien monde ». Ils se font prendre parfois dans des pièges amorcés avec des poèmes, dont ils sont très friands…

  Ces animaux-là ont grande intelligence du monde. Dans leurs yeux malins vibre tout un univers de plénitude et sur leurs lèvres un langage prend naissance qui s'accroche aux réalités, aux permanences, au fondement même de la vie.

  Je suis un rat des villes, gonflé de mille maladies urbaines, qui vient ici quêter l'indispensable métamorphose. Mais puis-je devenir lérot quand mes rêves présents collent encore au cauchemar de la civilisation ?

  Dans le jardin de Bassac le jardinier reste sous son chapeau, un gentil lérot le regarde ; ils peuvent vivre en bonne intelligence. Et je sais que mon sang pollué renouvelle ses cellules en mes veines qui battent sur un rythme meilleur. C'est ma peau maintenant qu'il faudrait changer. J'attends le printemps qui me fera muer, avec au fond du cœur l'espoir fou de trouver le vieux nid qui sera la maison où se démembrera mon absurde solitude.


  Du poirier j'entrevois des toits presque plats. Je suis bien dans la paix des oiseaux, des insectes, et je voudrais faire de ces lignes ma nouvelle carte d'identité.



Bassac, 28 août 1971
Edmond Thomas.

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G L O S E

Ce poème en prose parut, ou plutôt reparut dans un numéro de La Tour de Feu (145), Un Lérot de feu dans une Tour de rêve, consacré aux lérots, en hommage aux éditions du Lérot.

Oui, vous avez bien lu : «gais lirons». Ne corrigez surtout pas en «gais lurons», le sel s'affadirait. Liron, c'est lérot. Madame du Châtelet était sur le point d'accoucher ; la femme de chambre «n'a eu que le temps de tendre son tablier et de recevoir une petite fille, qu'on a portée dans son berceau», et mère et fille, «tout cela dort comme un liron à l'heure que je vous parle». On ne sait à quelle heure parlait-écrivait Voltaire à son ami, le comte d'Argental, mais cela se passait à Lunéville, le
4 septembre 1749.


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