Le chasseur de livres, les vilains spéculateurs, les bouquinistes -  III 
              Toutes sortes de bibliophiles  | 
            
Les bibliophiles n'ont pas tous existé en opérant selon les mêmes principes. En voici quelques-uns, fort différents les uns des autres, choisis par un membre de la confrérie: Albert de Bersaucourt (1883-1937).
Les Marges, 15
                juillet 1925 
            Bersaucourt, Le vénérable Boulard  | 
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| P a g e 1 9 1  | 
          Celui que
                Charles Nodier appelait « le vénérable
                Boulard », le plus grand acheteur de livres du XIXe
                siècle, le plus passionné et le plus obstiné des
                bouquineurs, mourut à Paris le 6 mai 1825, âgé de
                soixante et onze ans. Les chroniqueurs n'ont pas cru
                devoir célébrer ni même mentionner son centenaire, et
                Dieu sait pourtant si nous sommes férus de centenaires,
                voire de cinquantenaires ! J'ai à cœur de réparer
                cette injustice et de rappeler le souvenir de ce digne
                homme qui ne vécut que pour les ouvrages de tous poids
                et de tous formats. Les boîtes
                des quais ont eu des visiteurs fameux par leur
                assiduité. Paul Lacroix, le bibliophile Jacob, entassait
                dans les greniers de l'Arsenal le formidable butin qu'il
                y récoltait quotidiennement et accumulait à plaisir les
                romans du XVIIIe siècle et de la période
                impériale, habillés de veau sale, de basane graisseuse
                ou d'ais en carton gris ; L.-M. Pillet poussait la
                rage du bouquin si loin qu'il se privait de nourriture
                afin d'en acheter et qu'il fallut une dizaine de
                voitures de roulage à plusieurs chevaux quand il s'agit,
                selon ses dernières volontés, de transporter sa
                collection chez les Jésuites de Chambéry. Parison,
                Chardon de La Rochette, Von Pract, Alexandre Barbier, le
                marquis de Mégance, Heber Tanurb, Quatremère, ont
                également laissé une mémorable réputation de voracité
                livresque. Le brave général Francis Pittié, qui joua les
                Brugère à l'Elysée sous le président Grévy, achetait
                indifféremment tout ce qui paraissait ou avait paru en
                vers français ; Delzant, un ancien conseiller
                municipal, achetait, lui, tout ce qui, en prose ou en
                vers, avait pour sujet le bonheur ; Mouton-Duverned
                se montrait insatiable des brochures du XVIIIe
                siècle ; Chantelange, le bibliographe de De Retz,
                qu'on appelait familièrement le cardinal, passait sa vie
                sur les quais, et nous pourrions sans peine citer cent
                autres exemples de l’obsédante manie de ceux que Cicéron
                appelait belluones librorum, gloutons de livres. Ils ne sont rien, ils n’étaient rien, vous m’entendez, comparés à l’ancien notaire Boulard. Quarante années durant, cet heureux possesseur d'une fortune considérable ne se procura d'autre jouissance que de parcourir, chaque jour, depuis onze heures du matin jusqu'à cinq heures du soir, les quais, les ponts, les rues et les boulevards où les bouquinistes étalent leurs livres. (…) 
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