NOTE D'UN CURE DE CE
DIOCESE
Il y a dans nos
environs
deux especes de Poëtes;
l’un est l'auteur de Turlututu,
& de plusieurs Ouvrages connus; on n'a qu'à jetter
un
coup-d'œil sur ses productions pour juger de sa maniere
de versifier;
l’autre est un Curé du voisinage, auteur d'une multitude
incroyable de compliments pour les fêtes; ce brave
homme, mon
confrere, a de l’esprit, & même beaucoup; mais,
avouons-le,
il n'entend rien à la versification. Il est surprenant
qu’on le
regarde ici comme un prodige, tandis qu’on ne sçaurait
citer un
seul bon vers de sa fabrique; toutes ses productions
sont un
mélange barbare de chevilles affreuses, de rimes
épouvantables, d’élisions abominables; en un mot, ses
vers, qui n’ont pas la premiere teinture des regles les
plus
connuës de la versification, m’ont fait plus d’une fois
dresser
les cheveux; de sorte qu’il fallait ou m'abstenir
entiérement de cette lecture effroyable, ou bien me
résoudre à porter perruque*. Le Cousin Jacques que j'ai
prévenu, & de l'horrible phrénésie de cet
honnête homme de rimailleur, & du crédit
incompréhensible qu’il s'est acquis à trente lieues de
la
capitale, dans un pays où il y a des gens d’esprit et de
goût, s'est écrié, comme mal-gré lui:
ô honte de ma patrie! ô opprobre du Parnasse Laonnois!
je
rougis en vérité de passer pour Poëte dans un pays
où
l'on se connaît si bien à la versification. Par
charité , Monsieur, détruisez cette fatale
réputation que m'accordent mes Compatriotes; dites-leur
bien,
quand ils vous en parleront, que je ne suis pas Poëte.
Moi
Poëte? ah ! Dieu! quelle calomnie! Il vaut cent fois
mieux passer
pour Rimailleur, & l'être tout seul, que d'être par
honneur confondu dans la classe de pareils écrivains.
C'est pour
suivre les intentions de cet auteur, que j’adresse cette note à ma Province.
(*) Mauvaise plaisanterie. |