Éditions PLEIN CHANT

Marginalia

Du féminisme,  des femmes et du seigneur de Cholières


l

Les féministes commencent à vous agacer ? Un retour aux classiques s’impose. En l'occurence, un passage du chapitre « Du babil et caquet des femmes », dans Les Après-disnées du seigneur de Cholières* (Plein Chant, pp. 220-222), suite des Matinées. Les deux volumes parodient les disputes en Sorbonne,  mais pour notre plus grand plaisir l'auteur a truffé les entretiens de propos libres tenu par des  hommes et entre hommes.

Les idées de base sont ce qu’elles sont – merci, M. de la Palice – mais la façon de s’exprimer charnue à souhait. Les femmes parlent trop, c’est bien connu ; la faute en est à la nature qui les a faites babillardes de toute éternité, mais comment a-t-elle procédé ? L’explication est d’un matérialisme que l’on pourrait juger tout moderne s’il n’était fondé sur cette idée tenue autrefois pour une vérité première : la féminité est de l’ordre du liquide, la masculinité du solide – la sexualité n’en est-elle pas la meilleure preuve ? pensait-on, mais en utilisant d'autres mots.


     

*Les Après-disnées (1587) sont au deuxième tome des Œuvres du seigneur de Cholières, rééditées par Plein Chant en 1993, dans la collection Bibliothèque facétieuse, libertine & merveilleuse, selon l'édition en deux volumes parue chez Damase Jouaust (Librairie des Bibliophiles), Paris, 1879.





SEIGNEUR DE CHOLIÈRES

Les Après-Dinées

pp. 220-222

Du babil et  caquet des femmes



(…) je tiens que la grande humidité du cerveau femenin fait rejaillir par les bouches des femmes une (…) abondance de paroles. Que ainsi soit, je tiens que, tout ainsi que diverses imaginations s’impriment facilement au cerveau, aussi elles s’en partent et deslogent aisement et tombent de la memoire : au moyen dequoy le cerveau, craignant de les oublier, si tost que la femme aura imprimé une chose en sa fantasie, incontinent l’envoye à la langue, et, à cause de ceste humidité, après en avoir appris des autres, les envoie incontinent par le mesme chemin ; et ainsi, passant d’une choses en l’autre, la fin d’un propos est toujours commencement d’un autre, alendroit des femmes.

L’experience esclaircira cecy en ceux lesquels parlent viste ; j’en ay cogneu que, lors qu’ils recitoient quelque chose par cœur, ne pouvoient se commander qu’ils ne courussent la poste ; mais, s’ils avoient un livre en la main, ils lisoient aussi posement et distinctement que vous ou moy sçaurions faire. D’où vient ceste hastiveté ? De la crainte et apprehension qu’ils ont de oublier le dessein du discours qu’ils auront projetté en leur entendement.

– Quand je vous oys ergoter de la façon, Seigneur Rodolphe, repliqua le Sr de la Vermille, il me semble que je suis à moitié saoul, ou que j’entende frere Jean des Entoumeures rabeliser sur la question qu’on lui fit : Pourquoy les cuisses d’une damoiselle sont toujours fraisches. Ce maistre moyne en cotta (1) ces trois raisons : la 1. pource que l’eau decourt tout du long ; la 2. pource que c’est un lieu ombrageux, obscur et tenebreux, auquel le soleil jamais ne luit ; la 3. pource qu’il est continuellement esventé des vens du trou de bize, de chemise et d’abondant de la braguette (2) (…)

Vous imputez le babil dont vous voulez coiffer nos femmes à l’humidité de leur cerveau ; la conclusion que vous faites est du tout impertinente (3) : car, si ainsi est, comme je le recognois et seroie bien marry de tenir le contraire, cela faict grandement pour moy que les femmes sont beaucoup plus humides que les hommes ; il s’ensuit qu’elles sont plus pesantes, ergo gluc (4), c’est à dire moins promptes à babiller. La maistresse des fols vous apprend cecy tous les jours : vous voyez que l’homme, à cause de la chaleur qui predomine en luy avec plus grande vehemence qu’en la femme, est beaucoup plus soudain, prompt et deliberé en tous ses mouvemens, actions et deportemens, que n’est la femme, laquelle au contraire est tardive.

Et par ce que cecy ne vise qu’au general, pour donner une plus claire preuve, touchons, je vous prie, au particulier, sondons le fil de la langue. Il n’est pas besoin de visiter la nostre ou celle des femmes, ce seroit tousjours à recommancer ; recourons aux bestes. N’est ce pas le masle qui est choisi pour chanter et donner du plaisir par son ramage et gasouillis. Ce n’est point la poule qui chante, c’est le coq ; voire un chappon, pour son humidité accidentele, ne chante pas. Un chardonneret, faut qu’il soit masle pour fredonner. Le perroquet cause, et non la femelle, quoy que Pline semble n’y vouloir mettre aucune difference.


NOTES
1. indiqua.
2. Voir Gargantua, ch. XXXIX.
3. non pertinente.
4. Parodie des formules scolastiques employées rituellement dans les raisonnements.



Retour aux Archives de Marginalia | Accueil