Feuille de rose
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de l a u r i e r
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Sur
Internet fut une fois cité un poème d'Antoine
Vincent Arnault (1766 - 1834), La Feuille. Cité une fois, il le sera
mille fois, la plupart du temps sans référence. On ne l'a
pas retrouvé dans le fouillis des éditions numérisées
d'Arnault, mais il introduit «La mélancolie» dans L'Hermite de la Guiane,
par Étienne de Jouy (Paris, Pillet, 1816, t. I, p. 288),
adorné de cette note énigmatique: «On ne
connaît pas l'auteur de cette fable inédite; on sait
seulement qu'elle a été trouvée dans les papiers d'un
descendant de Mme de la Sablière.»
Le texte semble
admettre comme allant de soi que nul n'ignore «Où va la
feuille de rose / Et la feuille de laurier».
Peut-être, cependant, pourrait-on s' écarter de la voie
droite (et étroite) du bon sens et des évidences
communes. Une expression surgit: faire feuille de rose.
FEUILLE DE ROSE (FAIRE
UNE) loc.
fig. Prélude sexuel qui consiste à lécher et
téter la rosace de l'anus, ou à la titiller du bout de
la langue ou du doigt (Richard Ramsay, Le Dictionnaire érotique,
Montréal et Paris, Adage, Éditions Blanche, 2002, p.
167).
Pourquoi, dans cette
définition, «faire
une feuille
de rose», au lieu du classique «faire feuille
de rose»? Mystère; on passe. Maupassant
intégra l'expression dans une pochade représentée devant
des amis (19 avril 1875, puis 17 mai 1877), intitulée À la Feuille de rose,
Maison turque (publiée posthume; dernière
édition, Flammarion, L'Enfer, 2000). M. et Mme
Beauflanquet, venus de Conville à Paris, se retrouvent
dans un bordel qu'ils croient être un hôtel hébergeant
l'ambassadeur de Turquie et son harem. Une fille,
Raphaële (les rôles de filles étaient tenus par des
jeunes hommes), interpelle Mme Beauflanquet (éd. citée,
p. 25):
RAPHAËLE
- Faites-vous bien feuille de rose?
MME BEAUFLANQUET - Feuille de rose! (À part) Ah oui des confitures de Turquie. (Haut) Je n'en ai jamais mangé. (Les femmes se mettent à rire.) FATMA
- Elle ne connaît pas feuille de rose!
Qu'est-ce qu'elle fait alors?
Edmond de Goncourt et
Flaubert assistaient à la représentation du 17 mai. Si
Flaubert, convaincu d'avance, trouva tout cela «très frais»,
Goncourt commenta: «Frais,
pour cette salauderie, c'est
vraiment une trouvaille» (Journal, 31 mai 1877). Goncourt
s'est trompé sur la date puisqu'il écrit: «Ce soir, dans
un atelier de la rue de Fleurus […]», mais peu
importe en l'occurrence (sur la date, voir Flaubert,
Correspondance,
Gallimard, Bibl. de la Pléiade, t. V, p. 1208, note
3 pour la page 233).
Laissons la feuille de
rose suivre son destin, quel qu'il soit, et passons à la
feuille de laurier. Chabanon, (Michel Paul Guy de
Chabanon; 1730-1792) avait traduit L'Enchanteresse,
une idylle de Théocrite; voici quelques vers de sa
paraphrase, parue au Journal
encyclopédique ou universel (mai 1775, p. 452;
la graphie et la ponctuation de Chabanon sont ici
respectées):
Delphis! de ce
laurier la feuille détachée
Petille en s'allumant & périt desséchée; La flamme qui l'atteint, n'en laisse aucun debris; Ainsi dans un feu lent, brûle, seche & péris. Le pétillement des
feuilles de laurier conduisit un poète anonyme de la fin
du XVIe siècle ou du début du
XVIIe (texte recueilli dans Le Petit Cabinet de
Priape, Neuchâtel, imprimé par les presses de
la Société des Bibliophiles Cosmopolites, 1874; à
paraître chez Plein Chant en septembre 2011) à négliger
la seconde syllabe du verbe pétiller pour évoquer un
autre bruit, un autre son:
Un quidam auprès de sa dame Estoit muet de trop d'ennui, Quand son cul prest à rendre l'âme Prit haleine et parla pour lui. - Fi du vilain! ce lui dict-elle, Oyant son derrière éclater. Alors cest amoureux fidèle Respond, se sentant piquoter: - Je ressemble au laurier, ma belle; Je ne puis brusler sans péter. A-t-on éclairci le destin de la feuille de laurier, celui de la rose? On en doute. Vignettes des
Fonderies Deberny et Peignot (Galvanos Crous-Vidal).
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