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Flaubert, dans une lettre
sans doute adressée au comte Charles d’Osmoy et datée
du 22 juillet [1857], faisait part de l'angoisse qui
l'étreignait au moment de commencer à écrire Salammbô : « J’en ai une
angoisse terrible et vague, comme lorsqu’on
s’embarque pour un long voyage. En
reviendra-t-on ? Qu’arrivera-t-il ? On a
peur de s’en aller, et pourtant on brûle de partir.
La littérature, d’ailleurs, n’est plus pour moi
qu’un supplice […..]. Cette métaphore, peut-être
indécente, est uniquement pour te faire comprendre
que je suis em…, voilà! Écrire me semble de plus en
plus impossible.» Tel se trouve le texte dans
l’édition de la Correspondance de Flaubert de la
Bibliothèque de la Pléiade (t. II, édition de Jean
Bruneau, 1980, p. 746).
Dans l’appareil
critique (p. 1393-1394) est reproduite une note de R.
Descharmes (éd. du Centenaire, t. II, p. 301, n.
1) : « Cette lettre est celle que M. de
Montesquiou avait fait relier avec son exemplaire de
l’édition originale de Salammbô, et dont on a tant parlé
dans les journaux en avril 1923. Le passage jugé
"obscène" qui déchaîna cette campagne de presse est
indiqué ici par cinq points entre crochets,
remplaçant trois ou quatre lignes. »
Certes, mais la
« métaphore peut-être indécente » ? À
défaut de consulter les journaux d’avril 1923, on
trouve la réponse dans L’Outrage aux mœurs, par Lionel d’Autrec,
préfacé par Han Ryner (Éditions de l’Épi, 121 rue
Montmartre, Paris 2e), p.
145-146. La lettre
autographe avait été mise aux enchères après la mort
de Montesquiou. Arthur Meyer, directeur du très
mondain Gaulois, s’était promis d’acheter
la lettre impure pour la brûler (1), mais les
journalistes mirent l’affaire sur la place publique.
Le journaliste corse Pierre Bonardi (1887-1964)
reproduisit la lettre dans le quotidien L’Ère
nouvelle,
traduisant le passage incriminé en latin.
Le Journal du
Peuple déchira
le voile dans son numéro du 21 avril 1923, donnant
la phrase toute crue : « La littérature
est devenue pour moi un supplice, c’est un terrible
godemiché qui m’enc… et ne me fait même plus
jouir ». Mais qui abrégea le verbe
enculer ? Flaubert ? Le journaliste du Journal
du Peuple ?
Lionel d’Autrec dans son livre (c'est peu
probable) ?
Et tout cela
signifie-t-il que Flaubert réservait à son propre
usage ce que l’on appelle aujourd’hui un
vibromassseur ? Ou n'y a-t-il en tout cela, tout
au moins de la part de Flaubert, que
littérature ?…
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NOTE 1. Arthur Meyer s'est rendu célèbre pour avoir recherché une autre lettre scandaleuse afin de la brûler : une lettre d'Alfred de Vigny à Marie Dorval, truffée d'obscénités et couverte de sperme. |
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