Éditions PLEIN CHANT

Marginalia



Prose & chanson, amourettes & galimatias


Et maintenant, une chanson… Celle qui suit fut imprimée dans Chansons folastres et prologues tant superlifiques que drolatiques des comédiens françois, revus et augmentés de nouveau, par le Sieur de Bellone (Rouen, chez Jean Petit, 1612).




C H A N S O N



Un jour allant par la ville
Dans Paris, la grand cité,
Je rencontray une fille
Du tout parfaicte en beauté ;
Je luy ay dit : Ma sœur doucette,
J'ay une clef, j’ay une clef
A une et deux et trois loquettes.

Alors, respond la fillette,
J'ay encore qui mieux vaut
Que vostre clef à loquette,
Qui peut tomber en deffaut ;
Car j'ay tousjours une serrure preste,
Pour toute clef, etc.

Et moy, qui suis honneste homme,
Je suis maistre du mestier;
J'ay esté jusques à Romme,
Pour apprendre à besongner :
J'ay le marteau, vous avez l'enclumette,
Et j'ay la clef, etc.

Or donc çà ! dit la fillette,
Puis qu'estes si bon ouvrier,
Montez haut à ma chambrette,
Trouverez à travailler ;
Puis on verra un peu comme vous faites
De vostre clef, etc.

Et moy, ma belle nymphette,
Qui suis un jeune escolier,
Frappé du dieu d’amourette,
Je ne puis estudier,
Car je suis trop pressé de la braguette
Avec ma clef, avec ma clef,
A une et deux et trois loquettes.

 





Le livre des Chansons folastres en deux petits volumes in-12 étroits et allongés, destiné au peuple et distribué à l’entrée des théâtres, fut sans doute imprimé en quantité et largement distribué, au moins à Rouen, mais à cause de sa mauvaise qualité, il n’en était resté, parmi les exemplaires répertoriés, qu’un seul, à la bibliothèque de l’Arsenal. Jules Gay le réédita, en un volume, dans sa collection « Raretés bibliographiques » (Bruxelles, 1864), annoté par Paul Lacroix. C'est l'édition ici utilisée. Grâce à la notice de Paul Lacroix, on sait que les Chansons folastres n’étaient qu’une contrefaçon des Fantaisies de Bruscambille. Quant à l’auteur, derrière le tourangeau Sieur de Bellone, se cachait, pense Paul Lacroix, un comédien de la troupe de Rouen. Autrefois les comédiens faisaient entendre, avant les représentations et devant le théâtre, sur des tréteaux, prologues et chansons, pour attirer le public. Plus tard, on prit l’habitude, à l’Hôtel de Bourgogne, et sans doute ensuite à Rouen, de prononcer des prologues facétieux, récités et mimés dans la salle de spectacle pour laisser aux spectateurs parfaitement indisciplinés, jouant aux cartes, buvant, échangeant des propos gras de préférence, le temps de s’installer et de faire silence. Un comédien champenois, Deslauriers, composa de ces prologues pour les réciter lui-même, mais ils furent publiés à son insu en 1609 (Paris, Millot). Deslauriers désavoua cette édition pour donner la sienne, en 1610, chez le même libraire ; elle sera plusieurs fois réimprimée. Le comédien de Rouen, qui œuvrait sous le nom de Bellone, emprunta des prologues à Bruscambille d’une part, d’autre part des chansons, prises en des recueils normands, et cela donna les Chansons folastres.



La chanson Un jour allant par la ville est suivie, dans les Chansons folastres, par un prologue emprunté à Bruscambille, avec d'infimes changements et qu'un lecteur non averti prendrait pour l'œuvre du Sieur de Bellone. On donne ci-dessous, à gauche le prologue de Bellone, qui suit la chanson dans les Chansons folastres (pp. 72-73) et à droite le prologue original de Bruscambille, intitulé Autre galimatias, que l'on peut lire dans Les Fantaisies de Bruscambille (Plein Chant, 1994, pp. 215-216).




Chansons folastres

PROLOGUE XIII

Ce n'est

Les Fantaisies de Bruscambille

AUTRE GALIMATIAS

Ce n'est


pas le moindre pervertissement de ce siècle que de voir la jeunesse mescognoistre ses precepteurs, auxquels elle doit autant d’obeissance qu’à ses peres, et qu’une botte de vache de Russie ne sied pas bien à ceux qui veulent apprendre l’espagnol, si les prunes de Damas, joinctes avec un cabas de figues et une paire de soülliers de la premiere aage de marroquin de Flandres, ne se trouvent au temps qu’Aristote descendra des nües dans un carrosse de papier doré pour aller à l’escarboulette courre la bague sur le cheyal de Paulet. Toutes fois, j'ay peur que parmy les trouppes de la Chine, d'où elle est partie, quelques papillons ne prainnent les bœufs à la pipée, sed sapiens dominabitur astris. Il n'y a qu’une chose qui m’en pourra faire douter, c’est que le vol d'un oyseau de paradis a ceste proprieté de rendre la mer humide et salée, le feu chaud et le pain d’espice fort propre au cœur. C'est la creance des anciennes Druides, qui se faisoient la barbe avee une espée à deux mains, en attendant que les melons eussent engendrez une douzaine de lanternes pour chanter la peronnelle sur un instrument de cuir bouilly. Puis que les corneilles sont noires, que les rats courent aussi fort que les souris, et mesme que le pelican se tourne à la broche, un faucon violet n’a pas le ramage d'un mulet d’Auvergne, je vous asseure qu'il fera ceste année force perles et rubis, dont l’Amour fera part à ses domestiques serviteurs, selon les us et coustumes de Naples, omnes enim liberi nascimur liberi, c’est-à-dire enfans. Voylà pourquoy, comme bons enfans, nous devons tous jouer les uns avec les autres, selon l’oracle de la sibile toumé en françois, par Avicenne, en ces mots : Et le filou tourlourette, etc. Je ne me lasserois jamais de vous entretenir sur ces discours serieux, sçachant que l’œil n’est jamais las de voir, l’oreille d’ouyr, ny la femme du masle, n'estoit que je suis pressé de mon des-honneur, et qu'il faut que je me retire pour céder à un autre et comme le jour fait à la nuict, et le samedy au dimanche, et le beau temps à la pluye.

pas le moindre pervertissernent de ce siècle que de voir la jeunesse mescognoistre ses precepteurs, ausquels elle doibt autant d'obeissance qu'à ses peres, d'autant que 1'esprit est tousjours plus cher que le corps, et qu'une botte de vache de Russie ne sied pas bien à ceux qui veulent apprendre 1'espagnol, si les prunes de Damas, joinctes avec un cabas de figues, et une paire de souliers de maroquin de Flandres, ne se treuvent au temps qu’Aristote descendra des nues dans un carosse de papier doré, pour aller à1'escarpoulette et courre la bague sur le cheval de Pacolet. Toutesfois, j'ay peur que, parmy les troupes de licornes, que l'imperatrice de Triquedondaine veut envoyer en Chine, d'où elle est partie, quelques papillons ne prennent les bœufs à la pipée : sed sapiens dominabitur astris. Il n'y a qu'une chose qui m'en pourroit faire redoubter, c'est que le vol d'un oyseau de Paradis a ceste proprieté de rendre la mer humide et salée, le feu chaud, et le pain d'espice fort propre pour le cœur. C'est la creance des anciens Druides, qui se faisoient la barbe avec une espée à deux mains, en attendant que les melons eussent engendré une douzaine de lanternes pour chanter la peronnelle sur un instrument de cuir bouilly.
   Mais puisque les corneilles sont noires, que les rats courent aussi fort que les souris, et que le pelican, qui tourne à la broche un faucon violet, n'a pas le ramage d'un mulet d'Auvergne, je vous assure qu'il sera ceste année force perles et rubis, dont l’amour fera part à ses domestiques serviteurs, selon les us et coustumes de Naples : omnes enim liberi nascimur liberi
(65), c'est-à-dire, enfans, voila pourquoy, comme des bons enfans, nous nous devons tous jouer les uns avee les autres, en tout bien et en tout honneur, toutesfois suivant l'oracle de la Sibille, tourné en françois par Avicenne en ces mots : Et le filou Tourelourette, etc. Je ne me lasserois jamais de vous entretenir sur ces discours serieux, sachant que l'œil n'est jamais las de voir, l'oreille d'ouyr, ny la femme lassée du masle, n’estoit que je suis pressé de mon deshonneur, et qu'il faut que je me retire pour ceder à un autre, comme le jour faict à la nuict, le samedy au dimanche, et le beau temps à la pluye.





sed sapiens dominabitur astra : mais le sage sera plus fort que le destin. 

Omnes enim liberi nascimur liberi
 : Tous enfants, nous naissons tous libres. Le jeu de mots avec liberi est intraduisible en français : le premier liberi renvoie au substantif latin qui signifie les enfants, et le second à l'adjectif qui signifiait né de condition libre, c'est-à-dire non esclave.





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