Éditions PLEIN CHANT

Marginalia


21 décembre 2010

De curieuses épigraphes dans Un Autre Monde



G
R
A
N
D
V
I
L
L
E

Jean-Jacques Grandville
(1803-1847)

Dans Un Autre Monde*, Grandville  ou sa plume, Taxile Delord, s'amuse à forger des épigraphes de fantaisie. Le livre comporte trente-quatre chapitres, un préambule et un épilogue ; on a donné ci-dessous les épigraphes du préambule (La clé des champs),  et celles des chapitres I à XXIX (deux chapitres en sont dépourvus). On donne ci-dessous le titre banal mais rendu remarquable par un sous-titre en trois parties (ô rhétorique !) et en trois rimes, internes et finales.
            
*Jean-Jacques Grandville, Un Autre Monde, édition présentée par Daniel Grojnowski. Éditions Classiques Garnier, Bibliothèque du XIXe siècle, 7, 2010.







UN   AUTRE   MONDE


Transformations, visions, incarnations
Ascensions, locomotions, explorations, pérégrinations
Excursions, stations

Cosmogonies, fantasmagories, rêveries, folâtreries
Facéties, lubies

Métamorphoses, zoomorphoses,
Lithomorphoses, métempsycoses, apothéoses
et autres choses





   LA CLÉ DES CHAMPS.

Voyager c’est vivre.
 (Old Nick*.)
 

 * Old Nick était le pseudonyme d'Émile Forgues, qui fut la plume de Grandville pour Petites misères de la vie humaine (H. Fournier, 1843). Le douzième chapitre s'intitule « Voyager c'est vivre ».




    APOTHÉOSE DU DOCTEUR PUFF.  

Les Dieux reviennent.
 


   L’UNIVERS AU SCRUTIN.  

Ni pile, ni face*.

 * L'inventeur d'une nouvelle religion a recruté trois disciples entre lesquels  partager l'univers. Comment leur attribuer à chacun son domaine? En tirant à pile ou face, mais ils sont si pauvres qu'ils ne possèdent même pas une pièce de monnaie. Ils tireront au sort avec des papiers dans un chapeau - ni pile, ni face.

CONCERT À LA VAPEUR.


La vapeur changera la face du monde… et de la musique. 
Mon plus grand regret est de l’avoir méconnue. 
(Napoléon à Sainte-Hélène.) 


Dans ce siècle de progrès, la machine est un homme perfectionné.
 (Le Galoubet littéraire et musical*.)
 

* Galoubet : Petit instrument à vent qui n'a que trois trous et qu'on joue de la main gauche, tandis que la droite frappe la mesure sur un tambourin (Littré).  Le Galoubet. Chansonnier : tel était le titre d'un recueil de chansons par L.T. Gilbert, 1822. On y trouvait (p. 269) une chanson  «La clef des champs», qui donnera (?) son titre au préambule d'Un Autre Monde. Dans le chapitre intitulé  «La rhubarbe et le séné», Grandville donne la maquette de l'en-tête du Galoubet littéraire et musical, paraissant, bien sûr, le 1er avril (1850) et  défini Journal mélodico-harmonico-symphonico-musicologique.



LA RHUBARBE ET LE SÉNÉ.


 Donne-moi de quoi que t’as, je te donnerai de quoi que j’ai.
(Dicton persan.)
 


LA TERRE EN PLAN.


 Dieux ! que les hommes sont petits !
(Chanson populaire.)


LE CARNAVAL EN BOUTEILLE.

Tout est dans tout.
(Denys, Traité d’éducation à l’usage des Écoles mutuelles de Syracuse*.)

 L’infini de la mer plaît à l’infini de la pensée.
(Paul de Kock**.)

L’habit fait le moine.
(Pensée de Pascal, restituée par M. Cousin***)

 * En attribuant au tyran Denys de Syracuse (vers 430 avt J.-C. - 367) un fictif Traité d'éducation des Écoles mutuelles, Taxil Delord (ou Grandville) se moquait d'un propagateur de l'enseignement mutuel (lancé sous la Restauration), Joseph Jacotot (1770-1840), qui préférait, d'ailleurs, employer l'expression "enseignement universel". Tout est dans tout était sa formule favorite pour définir l'esprit de la réforme pédagogique par lui souhaitée.
 ** On rappelle que Paul de Kock, auteur à grands tirages, était l'auteur, entre autres,  de La Pucelle de Belleville, Le Cocu, Zizine, Ni jamais ni toujours, etc.
 ***  Victor Cousin venait de publier, en 1843, Des Pensées de Pascal.
Rapport à l'Académie française sur la nécessité  d'une 
nouvelle édition de cet ouvrage.



   CARACTÈRES TRAVESTIS ET TRAVESTISSEMENTS DE CARACTÈRE. 

Je te connais !
Un domino rose.

Mets ton masque et je te dirai qui tu es.
Salomon, Proverbes.

  Toutes les bêtes sont des hommes plus ou moins déguisés,
les hommes sont des bêtes plus ou moins travesties. 
Un inconnu*.

 * L'inconnu est l'un des nombreux collaborateurs de Granville pour
les  Scènes de la vie privée et publique des animaux (1840-1842).



DÉGUISEMENTS PHYSIOLOGIQUES.


Le masque sera désormais une vérité.
Ordonnance de Police pour les jours gras.

  Le masque a été donné à l’homme pour
faire connaître sa pensée.

Attribué à Talleyrand*.

 * Parodie de la formule, en effet attribuée à Talleyrand: La parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée.



LE ROYAUME DES MARIONNETTES.


Dans le pays des Marionnettes les Pantins sont rois.
Charles Nodier*.

 La pirouette prend tout l’homme, depuis le cerveau
jusqu’à la plante des pieds.

Vestris**.

 * Nodier  avait fait paraître une nouvelle en deux parties : Les Marionnettes, par le Dr Néophobus, dans La Revue de Paris (novembre 1842, puis mai 1843).
 ** Vestris (1760-1842) fut un célèbre danseur de l'Opéra de Paris, le plus grand, peut-être.


   UNE RÉVOLUTION VÉGÉTALE.  


Aux armes, Cornichons !
Nouvelle Marseillaise.


UN VOYAGE D'AVRIL.


Inventer, c’est voyager.
Prince Puckler-Muskau*.

  Au mois d’avril plante tes choux, et méfie-toi de tes amis.
Mathieu Laensberg**.

 * Le prince Puckler-Muskau (1785-1871) est l'auteur de Mémoires et voyages, traduits en français en 1832.
  ** Sous ce nom d'auteur paraissait à Liège, au milieu du XVIIe siècle, un célébrissime almanach populaire.

LE ROYAUME DES MARIONNETTES*.


  Des goûts et des couleurs il faut toujours disputer.
Un Quinze-Vingt**.

 Le peintre c’est le poignet !
Michel-Ange.

 * On a déjà  eu ce titre de chapitre. Celui-là est le  treizième, le précédent était le neuvième
 ** Les Quinze-Vingts était l'hôpital qui recueillait les aveugles.

LE LOUVRE DES MARIONNETTES.

L’art ! oh l’art ! l’art est un sacerdoce !
Tous les Critiques.


UNE ÉCLIPSE CONJUGALE.


L'attraction régit tous les corps.
Newton.

Il faut des époux assortis*.
De Senancour.

Les liens du mariage sont indissolubles.
M. le maire du 13e arrondissement**.
 

 * Étienne de Senancour (1770-1846) a écrit De l'amour, sous-titré dans sa quatrième version (1834) Selon les lois premières et selon les convenances des sociétés modernes qui traite des rapports entre l'amour et le mariage.
 ** Dire que l'on s'était marié dans le 13e arrondissement (il n'y avait pas de 13e arrondissement à Paris) signifiait que l'on n'était
pas marié, tout en vivant en couple.

LES AMOURS D'UN PANTIN ET D'UNE ÉTOILE.


  Je chéris le mystère, et parle sans détour;
  Je naquis immortel, et je meurs chaque jour;
     J'en ai trop dit, je me trahis peut-être;
     Mais achevons ce portrait ingénu :
     Malheur à toi si tu ne m'es connu!
Enigme.

Vos yeux sont des étoiles.
……………
Étoile de  mes  nuits!
……………
Lorsque de mes amours s'allumera l'étoile,
Etc., etc., etc., etc., etc.

Fragment d'un Classique-Panckoucke.




UNE APRÈS-MIDI AU JARDIN DES PLANTES.


Tous les genres sont bons hors le genre conçu.
Aristote*.
 
 * On sait que Voltaire avait déclaré que «Tous les genres sont bons hors le genre  ennuyeux» (L'Enfant prodigue, 1736, préface).



LA MORT D'UNE IMMORTELLE.


L'ennui naquit un jour de l'immortalité*.
Un des Quarante.

 * «L'ennui naquit un jour de l'unifomité» : Houdar de la Motte (1672-1731) écrivit cet alexandrin dans Les Amis trop d’accord (Fables, XII, 15); tout le monde  répéta le vers, et tout le monde en oublia l'auteur.



  Accueil | Archives de Marginalia