Revue PLEIN CHANT



Revue Plein Chant 22-23, Les très riches heures d'André Blavier, Blavier mon ami, p. 12-14.




André Blavier dans l'ancienne bibliothèque de Verviers, vers 1960.

Jean Queval (1913-1990), membre du Collège de Pataphysique et de l'Oulipo, renouvelle le topos du portrait en donnant de son ami André Blavier (1922-2001), né à Verviers, fondateur de l'Oulipo belge, un portrait suivi d'un contre- portrait dont voici deux passages.


P o r t r a i t


Le teint rouge et les yeux bleus, bruns avec les quelques poils blancs de l’âge, pas bien grand mais trapu, le visage allongé, la pipe en bouche même la nuit, cette pipe sur de mauvaises dents qu’il refuse de soigner, André Blavier, bibliothécaire et bibliographe et pornographe un peu, fulminant contre l’Antéchrist, déclamant qu’il y aurait le paradis terrestre sans l’homme qui fut mis en croix, avec cela marié à Odette, plus douce et patiente et gentille épouse, André Blavier, donc, polémiste et poète et va-de-l’avant, personne très bienveillante, sa maison pleine d’amis, pleine de jeunes, parfois il boit un coup ou deux, André Blavier dont l’accent rappelle, disait Queneau, celui de Rimbaud, André Blavier qui n’est pas n’importe lequel entre tous les passants du monde.

[…] mon ami vit […] ses contradictions, étant pataphysicien – la ‘pataphysique énonçant un principe des équivalences (politiques et idéomythiques) –, mais étant d’autre part patriote wallon et affectant des opinions politiques extrêmes, mais comme je disais Blavier n’est pas n’importe quel passant, et j’allais oublier ceci : qu’il est photo et cinégénique, aussi ce n’est pas étonnant s’il attire les personnes, elles savent à quoi s’en tenir, c’est un signe de reconnaissance, être comme ça, et comme je disais aussi, pas étonnant non plus si sa maison est une maison d’amitié, d’ailleurs son imperturbabilité comique lie la sauce imagination – une fois, tranquille comme Buster Keaton, il m’a expliqué que les hommes sur la lune ne sont que trucages de cinéastes), j’ai fini, allez en paix gens de la ville de Verviers, autrefois vouée au textile à cause de la Vesdre proche, un rivière avec son chant, que Victor Hugo évoqua.




C o n t r e-p o r t r a i t


Les yeux rouges d’un lapin blanc et le teint bleu des personnes pâles, blond blanchi par l’âge et long comme une asperge, horrifié par tout tabac de pipe ou autre, les dents intactes soignées par un dentiste avare, Erdna Reivalb, quel nom, hein, quel nom ! abomine la vue des livres, et est à lui-même sa chaste épure, avec ça confit en dévotion chrétienne, sûr et certain que le paradis l’attend, de plus l’époux d’Ettedo, quel prénom, hein, quel fichu prénom ! qui est plus impatiente et intempestive personne, Erdna Reivalb donc, personne morne et comblée, compère d’arrière-garde, sous-humain abominant la compagnie, sa maison déserte l’année durant, hormis un quarteron de vieux vieillards, jamais il ne touche une gouttelette d’alcool, Erdna Reivalb, quel nom quand même ! son accent rappelle disait bien à tort je ne sais plus qui celui de je ne sais quel poète, ça, Erdna Reivalb est bien n’importe lequel entre les passants du monde – oui, malgré le relief acariâtre d’un caractère pointu.

 […] mon ennemi vit […] ses contradictions pathétiques, étant patéticicien – la ‘patéthitie énonce n’importe quoi avec un aplomb folâtre –, et en même temps il se dit patriote sic-wallon et affecte des opinions de la droite raciste, misère de misère, mais comme je disais Erdna Reivalb est n’importe quel passant du petit monde, ah, j’allais oublier : il fait fuir jusqu’au photographe de bonne volonté tant il est laid-laid, alors je ne vous dis rien du cinématographe, bref il est repoussant, les personnes savent à quoi s’en tenir, pas étonnant que sa maison soit vide d’amis, hormis un quarteron de vieux vieillards cacochymes qui tous lui en veulent à mort, d’ailleurs son air hautain défie l’imagination d’entrer dans sa demeure (une fois, tranquille comme Buster Keaton, il m’a expliqué que les hommes sur la lune ne sont que trucages de cinéastes). Alors détournez-vous de ses pas fétides et allez en paix gens de la ville de Verviers, autrefois vouée au textile et tout comme dit à la fin du portrait d’André Blavier.


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