REVUE PLEIN CHANT


Clément Pansaers

vu par Philippe Soupault

& Pascal Pia




PHILIPPE SOUPAULT
 

Il a trouvé dans l'atmosphère de Dada à la fois une satisfaction et en même temps une déception. Parce que effectivement le mouvement Dada, à ce moment, au moment où Pansaers l'a connu, n'était plus seule­ment une révolte, c'était une sorte d'entreprise de scandale. Et Pansaers a tout de suite vu ce qu'il y avait si vous voulez, de spectaculaire et ça l'a un peu déçu.

Il aurait voulu aller plus profondément dans la révolte que dans le spectacle. Mais à ce momentlà, nous étions lancés dans une sorte de série de manifestations organisées par Tzara et je dois dire qu'il n'y a pas participé de cœur, volontiers. Le seul qui me fait penser à lui au point de vue de son caractère et de son tempérament, c'était à Artaud. Sa personnalité était extrêmement forte. Et je me souviens que, par exemple, il a beaucoup impressionné un homme qui était difficile à impressionner, qui étalt Picabia. Picabia avait le sens de cette espèce de force qu'il y avait chez Pansaers. Il avait un côté tragique, c'est extraordinaire. Il s'appelait Clément, ce qui était insensé quand on pense à son personnage, c'était une sorte de contradiction. C'était un révolté. Il avait cette espèce de puissance de la révolte qui n'existait pas chez beaucoup de gens mais qui chez lui était quelque chose de vital.


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PASCAL PIA


Pansaers était un personnage des plus curieux, en perpétuelle efferves­cence et dont la grande admiration, à 1'époque où je l’ai connu, était Joyce. C'était certainement un des tout premiers lecteurs de Joyce. Il connaissait Joyce. Il avait lu une partie d'Ulysse, je pense, en manuscrit, chez Sylvia Beach. Il en avait lu dans Little Review. Il faisait une grande, grande propagande pour Ulysse, je le vois encore dans un bar du boule­vard des Capucines, cherchant à placer à des ivrognes anglosaxons des bulletins de souscription pour Ulysse.




Alors, pour sa littérature personnelle, à 1'époque où je l’ai connu, il avait des quantités, des quantités de manuscrits à publier. Il n'avait publié que quelques plaquettes dadaïstes, le PanPan au Cul du Nu Nègre, Bar Nicanor, l’Apologie de la paresse. Il en avait encore d'autres à publier. Et puis alors, il rêvait aussi de publier je ne sais quel travail très, très, impor­tant sur les papes. Il y avait deux ou trois papes, en général d'ailleurs des antipapes, qui l'intéressaient particulièrement et sur lesquels il aurait voulu faire quelque chose. Il faisait aussi de la peinture. Il cherchait à en vendre et à ma connaissance, pendant les six ou sept mois que je l'ai vu, dans les années 2122, je ne crois pas qu'il ait réussi à vendre un seul tableau. Je sais alors qu'il avait pendant l'occupation allemande publié une revue qui s'appelait Résurrection. Il m'avait promis de me la procurer mais je n'en ai jamais vu un seul numéro. je me rappelle qu'il paraissait à ce moment-là en Belgique une revue plus ou moins communisante qui s’appelait Haro, n’est-ce pas. Eh bien, il était, tout en étant lui-même fort révolutionnaire, enfin, aussi nihiliste qu’on peut l’être, il était très hostile à Haro parce que ces gens-là prétendaient instituer un ordre nouveau. Lui n’était pas du tout partisan d’un ordre nouveau, il fallait tout foutre en l’air et puis on verrait bien après.





       


Plein Chant n° 39-40
Printemps 1988
, 220 pages, dir. Marc Dachy


   

La gouache ci-dessus (Plein Chant n° 39-40, p. 123), par Clément Pansaers, fut réalisée pour le manuscrit original de Point d'orgue programmatique…

Le portrait photographique est bien entendu celui de Pansaers, vers 1920.

Les propos de Philippe Soupault et Pascal Pia (p. 70-72) ont été tenus lors de l' émission Contre l’oubli : un dadaïste, Clément Pansaers (RTB, 16 juin 1968).



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