Revue PLEIN CHANT


À propos de Pierre Hamp


Revue Plein Chant, 1988, n° 41,
« Ouvre ton âme aux merveilles », pp. 103-104.


In Memoriam Pierre Hamp (1876-1962)

par

Wilhelm Drinkow
Le 19 novembre de l'année écoulée, s'est passé – du reste sans résonance dans les médias compétents, d'après ce que nous avons pu constater jusqu'à ce jour – le 25e anniversaire de la mort de Pierre Hamp, l'auteur de la fameuse épopée du travail connue sous le titre sérial de La peine des hommes.
Nous ne voulons pas récapituler ici le curriculum vitae ni les hauts et les bas de la carrière littéraire de cet autodidacte sans doute hautement doué et promettant la réussite dès le commencement de ses activités de romancier.
Laissons donc à part les quelquefois sévères, voire même violentes critiques contemporaines sur son style, certes assez souvent bien insolite, parfois contourné, et en général peu conforme au goût des grands manitous et défenseurs d'une langue pure. Toutefois, dans la courte préface de son roman utopique La mort de l'or (Flammarion, 1933, p. 5), il admet d'être déjà habitué à l'acrimonie par la critique littéraire qui ne finit pas de lui faire « le reproche d'écrire singulièrement, à sa façon, qu'il croit bonne et non selon le Comptez-vous quatre grammatical : le sujet, le verbe, le complément, l'attribut. »
D'ailleurs, il ne s'est jamais lassé de parer à temps et raisonnablement les intentions régulatrices des grammairiens puristes, chevaliers héraults de la (selon M. Thibaudet dixième Muse) critique. Lors d'une interview, il confie à M. André Lang :
« J'ai voulu un style dynamique, non statique, mobile et précis comme la bielle. Sur de l'acier ou du bois, la grammaire n'a rien à voir (...) Supprimer les que, le participe présent, l'imparfait du subjonctif, qui sont les huiles de la phrase, devient en certains cas une nécessité (...) » (André Lang : « Voyage en zig-zags dans la république des lettres » Paris, 1922, p. 136
Bornons-nous donc à rappeler la fameuse phase initiale de son activité littéraire qui lui a valu tant de louanges de la part d'auteurs confrères, d'éditeurs et de critiques.
Après la corvée et les inconvénients de son double apprentissage de pâtissier et cuisinier et un stage d'expérience en Angleterre et Espagne, Henri Bourrillon se présente, en 1900, à l'Université Populaire de Belleville (I'U.P.B.), est accepté comme son premier étudiant interne et y aura la chance d'être formé et chaperonné par des personnages à cette époque-là déjà renommés dans le monde littéraire, comme entre autres Henri Baulig, Paul Desjardins et Jean Schlumberger, le cofondateur de l'U.P.B. qui dira plus tard : « Pierre Hamp était notre plus belle réussite. » S'y ajoutent bien favorablement les contacts avec le cercle politico-littéraire des Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy et de l'Union pour la Vérité.
Après une période de deux ans d'« étudiant populaire », Henri B. commence une carrière de fonctionnaire de la C.C.F. du Nord qu'il terminera en 1908 comme chef de gare (marchandises) à Boulogne-sur-Mer et avec en plus son diplôme d'Ingénieur civil et d'Inspecteur du Travail indépendant.
A cette époque-là, le fonctionnaire cheminot Henri Bourrillon s'était déjà mué en homme de plume et romancier sous le pseudonyme de Pierre Hamp. Comme fruits littéraires des longues nuits de veille à la gare de Boulogne, ce jeune Pierre Hamp, quasi encore inconnu, présente les deux premiers ouvrages « de sa plume », Marée Fraîche et Vin de Champagne aux guides et mentors bellevillois d'antan et l'écho et l'acceptation en sont remarquables et presque unanimes.
Encore en 1908 même, les deux romans seront publiés successivement, voire simultanément, sous forme de brochures spéciales à l'Union pour la Vérité ainsi qu'aux Cahiers de la Quinzaine. En plus, tous les deux paraissent en un volume aux éditions de la N.R.F. et, comme pour quadrupler la réussite, en roman-feuilleton de 12 suites dans L'Humanité.
Probablement sans déjà s'en rendre compte, avec ces deux nouveautés Pierre Hamp s'est révélé initiateur et protagoniste d'un nouvel art narratif : le « roman de la production », la « biographie du produit ». À peine dix ans plus tard, cet avant-gardisme portera ses fruits sous l'égide soviétique du mouvement Rabcors (Rabotnij Korrespondent /littérateurs -ouvriers) ce qui fait de Pierre Hamp l'auteur le plus traduit en russe et en ukrainien jusqu'en 1927 (350 000 exemplaires en tout).
En 1932, nul autre que Victor Serge en fait ses louanges dans sa collection de critiques littéraires, « Littérature et révolution » publiée dans les Cahiers Bleus de la librairie Georges Valois, et en « reprint » chez Maspero, Paris, 1976 (cf. op. cit. pp. 57 sqq. « Du schéma à l'idée fausse » et pp. 87 sqq. « Le roman de la production. Hamp »).
Tout en nous étant bornés dans ce petit texte mémorial à l'époque des toutes premières réussites de ce narrateur acharné que Pierre Hamp a été sa vie durant, nous ne tarderons pas à juger sans parti pris, aussi à l'avenir, son œuvre complète de plus de quarante livres qui lui a valu pour de bonnes raisons le titre honorifique de chantre de la peine des hommes.

 


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