Un
entretien avec Edmond Thomas
Machine à feuilles n° 26 - Juillet 2007 |
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La façade de la grande maison charentaise est, à l'image de l'homme qui nous y accueille, à la fois discrète et imposante. Discret, Edmond Thomas, le créateur de Plein Chant, l'est assurément. Mais la qualité de son travail et la longévité de son entreprise parlent pour lui. Imprimeur-éditeur installé à Bassac, sur les bords de la Charente, depuis près de quarante ans, il en impose, modestement, tant il a fait vœu de vouer sa vie aux signes, aux mots, au poème, à l'encre et au papier qui la reçoit. « Plein Chant, c'est un
clin d'œil à cette installation à la campagne, mais
c'est surtout lié au chant poétique. C'est la poésie qui
m'a fait venir ici, au début des années 1970 : Jean-Paul Louis, des
éditions du Lérot, était déjà installé dans la région en
raison de la présence à Jarnac de la revue de création
poétique La Tour de
feu. »
Les
clients de son imprimerie ne poussent pas par hasard la
porte de son atelier d'imprimeur: « Ils viennent me
voir parce qu'ils connaissent mes livres ». Idée
bleue, Claire Paulhan, Rougerie, Lo Chamin de Sent jaume,
Finitude, L’Arrière-Pays, Océanes, Abstème & Bobance,
Elisabeth Brunet ou L’Élan : autant d'éditeurs de
création qui font confiance à la main experte et au regard
bleu du créateur de Plein Chant.
« C'est de plus en plus
difficile de travailler avec certains éditeurs :
ils vous donnent une maquette toute faite, mais il faut
toujours corriger, reprendre dans le détail. Il y a
encore quelques années, les clients vous faisaient
confiance pour mettre en page leur texte, j'avais une
personne à plein temps pour faire de la saisie. Le
problème, c'est qu'aujourd'hui les éditeurs croient
savoir ce qu'ils veulent, mais ils ne tiennent pas
compte du matériel, des possibilités techniques
d'impression. La règle pour moi a toujours consisté à
m'adapter au matériel et non le contraire ».
Fidèle
à l'impression offset, il voit certains de ses clients le
délaisser pour des imprimeurs passés au numérique, plus
rentable à long terme mais demandant des investissements
faramineux, Lui qui était compétitif, voire très bon
marché il y a encore cinq ans, il serait aujourd'hui
devenu trop cher alors que ses prix n'ont pas bougé.
Pourquoi certains lui conservent-ils alors une
inébranlable fidélité ? Qu'est-ce qui fait qu'on reconnaît
aussi aisément un livre imprimé par Edmond Thomas ?
« C'est vrai que j'ai
toujours tendance à encrer largement, au risque parfois
de maculer la page et de recommencer. Du coup, mes
livres ont un aspect proche de l'impression en
typographie. Les imprimeurs mettent peu d'encre en
général, moi pas, j'aime qu'une page soit bien
encrée. »
Le plus de cet imprimeur consciencieux à l'extrême, qui propose plus de 200 titres au catalogue de Plein Chant éditeur et 82 numéros de la revue Plein Chant. c'est avant tout l’attention qu'il porte aux livres, à chaque projet d'édition, au choix minutieux du papier, à l’excellence de la maquette. Si l'imprimerie ne lui permet pas de consacrer le temps qu'il voudrait à son activité d'éditeur, il publie tout de même une petite dizaine de titres par an dans des collections bien identifiées comme La Bibliothèque facétieuse, qui revisite des textes oubliés, des facéties et des textes singuliers des siècles passés, Voix d'en bas, qui fait la part belle à la littérature prolétarienne française, suédoise ou wallonne, ou Type-Type, dont chaque livre est le fruit d'une maquette et d'un papier différents avec des textes accompagnés de gravures, comme le magnifique Gloria de la Mort, de Jan dau Melhau. Pessimiste
ou
simplement lucide, l'anarchiste libertaire qu'il est resté
peste tous azimuts contre les clients qui voudraient être
livrés toujours plus vite, contre la Poste qui ferme
toujours plus tôt ou contre des collègues éditeurs qui se
contentent de vivre en assistés encaissant régulièrement
les subventions et les aides publiques. Entier dans sa
critique d'une société qui « va droit dans le
mur », il reste entier dans son amour pour la
gravure, pour le papier et surtout pour la poésie, pour
les Michaux, Artaud ou Ponge qu'il a adorés, et pour
Marcelle Delpastre que Jan dau Melhau lui a fait découvrir
et qu'il évoque avec enthousiasme.
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