Plein  Chant
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9 janvier 2011

P L E I N   C H A N T I E R
par
Edmond Thomas



Janvier 1983, la couture du cahier Louis Guilloux.
Illustration par Jean-Pierre Thomas.


Voir aussi une interview de 2007.






Extrait d'un article paru dans Plein Chant, n° 14
(p. 59 et suiv.)

Bassac, 1983





  

PLEIN CHANTIER

Bref rappel historique : La revue a été fondée en 1971 à Paris. Installée à Bassac en février 1972, elle paraîtra ronéotée jusqu'en 1978. Matériel utilisé durant cette période : une machine à écrire et un duplicateur à encre Gestetner (autrement dit, une simple « ronéo ») auxquels s'était adjoint un graveur de stencils qui permettait l'insertion de vignettes et la reproduction de textes en fac-similé. Travail exécuté à la maison, un appareil dans chacune des pièces d'habitation. Poids total des ustensiles : 70 kg environ.
La rencontre de Georges Monti qui publiait à Clermont-Ferrand dans des conditions analogues sa revue Theth, le projet que nous fîmes d'un travail commun d'imprimerie et d'édition dont les résultats justifieraient mieux le nombre considérable d'heures passées à la fabrication, l'aide financière enfin de quelques amis devaient permettre, en 1979, l'acquisition d'un matériel réduit mais, tous comptes faits, efficace : une petite photocomposeuse, une presse offset « de bureau », divers accessoires tels que chassis d'insolation, banc de reproduction rudimentaire (à taux de réduction et d'agrandissement limités et fixes), massicot manuel de faible ouverture, encolleuse, etc. L'ensemble nous assurait une autonomie totale dans la réalisation de nos projets puisque nous pouvions nous-mêmes assurer composition, photogravure noir et blanc, impression, façonnage.
En 1979-80, ainsi équipés, nous imprimâmes plus de vingt publications de 72 à 384 pages, de 300 à 1200 exemplaires, réparties en livraisons de la revue et dans trois collections de livres : « Poétiques », « Voix d'en bas » et « Multigraphies » (c'est dans le prolongement de cette dernière que Georges Monti devait fonder en 1981 sa propre maison d'édition, à Cognac, sous l'enseigne du Temps qu'il fait – référence et salut à Armand Robin qu'il avait introduit à nos éditions et dont il avait permis la redécouverte sur le plan national). Un petit atelier d'une dizaine de mètres carrés avait été construit au sous-sol de la maison pour installer la presse et préparer les expéditions, le grenier abrita notre labo-photo. La composition, l'assemblage des feuilles imprimées, leur pliage, la couture, le routage de la revue étaient effectués dans la pièce commune, qui y suffisait de justesse. La totalité de ce matériel n'excédait guère les 500 kg. Le stock de papier et les livres finis étaient entreposés dans un bâtiment à l'écart dont je reparlerai.
Au cours de ces deux années, la revue, d'un format supérieur au format actuel (« grand in-8° » contre « in-12 ») était imprimée par deux pages, ce qui nécessitait la confection et le tirage d'une moyenne de 70 plaques pour un numéro ordinaire. C'était un travail fastidieux, entre beaucoup d'autres il est vrai. Reprenant seul la revue en 1981, je fus amené à réduire ce nombre ; le format s'en trouva diminué par contrecoup. Quand précédemment nous avions sans cesse plié le matériel aux impératifs de projets trop importants pour lui (projets auxquels nous avons nous-mêmes sacrifié trop d'énergie, de temps, d'amitié), la sagesse commandait maintenant, dans une démarche inverse, d'adapter les publications à l'outillage. Dans la nouvelle série en cours 24 plaques sont nécessaires à la réalisation d'un numéro courant, chacune pouvant imprimer quatre pages. Les autres tâches s'en trouvent sensiblement réduites elles aussi.
D'hier  à aujourd'hui : le matériel acquis en 1979 fut partagé en 1981 ; la presse revint à Plein Chant, la photo-composeuse au Temps qu'il fait. Un modèle voisin vint remplacer ici cette dernière quelques temps après. Ainsi parurent livres et revues jusqu'au n° 10 de celle-ci. Fin 1982-début 1983 le cahier double (triple en fait) consacré à Louis Guilloux demanda un long travail. Outre la mise au point de son contenu, il représentait une masse de papier à manœuvrer équivalente à celle de six livraisons habituelles de la revue. Depuis les origines, les livres publiés par Plein Chant étaient cousus main. Devant cette montagne de papier, je décidai d'acquérir une couseuse mécanique (les perspectives de vente du cahier Guilloux m'y encourageaient par ailleurs). Mais il fallut trouver la machine, et c'est un domaine où les occasions sont rares (1), puis faire le voyage de Paris pour examen, enfin attendre la livraison. Bref, le cahier Guilloux qui aurait dû paraître fin décembre 1982 ne fut achevé, cousu machine, que fin février 1983, bien après son expédition aux abonnés. Le chemin du retard était ainsi amorcé quand une subvention d’« aide au développement » fut attribuée aux éditions par la Direction du Livre au Ministère de la Culture. Depuis des mois je cherchais une presse de plus grand format et de meilleure qualité, la mienne m'abandonnant petit à petit et rendant à chaque fois les tirages plus laborieux. J'avais commencé au printemps de 1982 l'aménagement du bâtiment de stockage évoqué plus haut, destiné à devenir un atelier où seraient regroupés un maximum de postes de travail. Il avait fallu en déménager tout le contenu, en arracher les planchers pourris, abattre un mur qui en réduisait la surface. Une dalle de ciment fut coulée durant l'été, une ouverture nouvelle destinée à faciliter les livraisons fut pratiquée dans un mur aveugle, enfin la toiture fut consolidée par une poutre métallique (ces trois opérations furent exécutées par un professionnel).
Ce bâtiment, ancienne maison d'habitation abandonnée depuis des décennies, est petit mais utilisable : 32 m2 en rez-de-chaussée, autant en grenier. Cependant il ne possédait ni l'eau ni l'électricité et les murs en étaient très dégradés. Comme on dit, « il y avait tout à faire ». La subvention tomba donc à point pour faciliter l'achat d'une presse « Aurelia 46 » permettant le tirage simultané de 8 ou 12 pages suivant le format du livre fini. Celle-ci arriva début avril, comme l'isolation du grenier venait d'être achevée. Un peu de temps fut pris alors pour imprimer le n° 13 de Plein Chant, celui de janvier-février. Puis ce fut, durant mai et juin tout entiers, la ronde autour de la nouvelle machine : toute l'installation électrique à faire sur deux niveaux en tâchant de prévoir l'alimentation de tous les postes du futur atelier au complet : la presse, le massicot qu'il faudrait trouver, le chassis d'insolation des plaques offset, la couseuse (provisoirement serrée près de l'ancienne presse dans l'ex-atelier), le labo-photo dont il avait fallu par ailleurs dresser les cloisons, les diverses prises, les points d'éclairage, etc. Ensuite l'installation de l'eau me transforma pour un temps en plombier : il fallait prévoir lavabo, sanitaires, bac de développement des plaques et de lavage des rouleaux mouilleurs, labo-photo de nouveau. Enfin, les murs étant largement décrépis, j'entrepris leur replâtrage.
Entre temps je trouvai, au petit bonheur, la plupart des accessoires manquants : chassis, bac, rayonnages métalliques, adressographe, etc. Une annonce me fit connaître un sympathique imprimeur de Boigny, près de La Ferté-Alais, qui me donna plus qu'il ne me vendit une petite presse Gestetner (un meilleur modèle que l'ancienne) et un massicot semi-automatique de 82 cm d'ouverture, de quoi couper pratiquement tous les formats de papier que j'utiliserai à l'avenir. Je salue au passage ce vendeur désintéressé qui ne chercha pas à spéculer sur un matériel amorti depuis belle lurette. C'est beaucoup plus rare qu'on ne pourrait le penser.
Arrivé à ce point des opérations, j'aurais dû me remettre à la préparation et à l'impression de Plein Chant. Mais les caisses ayant été, malgré la vente honorable du cahier Guilloux, littéralement vidées par tous ces achats et travaux, il me fallut songer sérieusement à leur renflouement. Pour cela, je dus, outre des livres promis depuis des mois, imprimer divers travaux dits « alimentaires ». Pierre Ziegelmeyer, fidèle à une tradition de près de dix années, donna un sérieux coup de main à leur façonnage début juillet. Mais il restait encore à « mettre en route » la fameuse Aurelia 46, ce qui, sans notice ni manuel de conduite du constructeur, ne fut pas une mince affaire. L'aide de M. Gros, alias Jean-Marie Planchou de l'imprimerie Limonaire, me fut plus que précieuse en la circonstance et nous passâmes la troisième semaine de juillet à nous battre dans la bonne humeur avec les divers problèmes techniques de réglage et de mise au point que peuvent soulever près de trois tonnes de fonte, d'acier, de cuivre et de caoutchouc à celui ou à ceux à qui elles n'ont pas été présentées. Une semaine supplémentaire fut d'ailleurs nécessaire à cerner les derniers problèmes. Août était là. Mais toujours pas le numéro de mars-avril. Et août fut employé à la fabrication du premier livre d'Alain Wexler, à paraître aux éditions du Dé bleu de l'ami Louis Dubost.
J'exposerai sans doute autre fois les aspects pratiques, rédactionnels, techniques et financiers de l'élaboration et de la fabrication d'un livre suivant ces successives et différentes possibilités matérielles, et à travers des conceptions bien personnelles de ce «métier» d'imprimeur-éditeur. Je n'ai voulu montrer ici que les péripéties qui ont retardé le travail habituel de la revue, travail qui va reprendre avec la rentrée et se dérouler plus normalement dans les mois qui viennent, d'autant plus normalement que, hormis la composition (c'est déjà faute de place), toutes les étapes de la fabrication sont désormais rassemblées en un même lieu, conçu pour leur meilleur déroulement à partir d'un tout qui forme, après une douzaine d'années de bricolage, une « vraie » imprimerie. De 70 à 500 kg nous passons à sans doute près de cinq tonnes de matériel et s'il reste encore beaucoup à faire pour rendre plus vivable et plus pratique ce nouveau lieu de travail (peintures, rayonnages et mobilier divers) et plus rapide le travail lui-même (trouver du petit matériel de façonnage afin de s'extraire cette dernière épine du pied), le plus important, le plus absorbant, le plus coûteux a été fait en un temps somme toute raisonnable qui correspond précisément à ce décalage de quatre gros mois dans la parution de la revue. Les quatre petits mois qui viennent vont permettre d'en rattraper, sinon la totalité, du moins la plus belle part. Et l'on mijote pour l'an prochain, en fonction des perspectives ainsi ouvertes, en fonction d'exigences qui ne s'émoussent pas avec le temps, une série nouvelle de Plein Chant qui ouvrira, je l'espère, de nouvelles voies dans le champ de préoccupations et d'intérêts littéraires qui ne datent pas d'aujourd'hui, qui prolongera de regards neufs une démarche vouée à l'histoire et à la vie littéraires sous leurs aspects les plus méconnus des voies officielles.

(1) Je ne parle ici, quelles que soient les machines évoquées, que de matériel d'occasion. Les prix du neuf sont si élevés qu'un million de francs actuels serait à peine trop d'argent pour l'installation d'une imprimerie du type de celle de Plein Chant. Heureusement, il existe un marché d'occasion relativement important, aux prix extrêmement variés. Mais là il faut être très prudent… et patient. (L'une des causes principales des bas prix est la non-conformité aux normes de sécurité qui interdit l'utilisation du matériel concerné par du personnel salarié. L'artisan a, lui, le droit de prendre des risques.)

Edmond Thomas


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