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PLEIN CHANTIER
Bref rappel historique : La revue a été
fondée en 1971 à Paris. Installée à Bassac en
février 1972, elle paraîtra ronéotée jusqu'en 1978.
Matériel utilisé durant cette période : une
machine à écrire et un duplicateur à encre Gestetner
(autrement dit, une simple « ronéo »)
auxquels s'était adjoint un graveur de stencils qui
permettait l'insertion de vignettes et la
reproduction de textes en fac-similé. Travail
exécuté à la maison, un appareil dans chacune des
pièces d'habitation. Poids total des
ustensiles : 70 kg environ.
La rencontre de Georges Monti qui publiait à
Clermont-Ferrand dans des conditions analogues sa
revue Theth, le projet que nous fîmes d'un travail
commun d'imprimerie et d'édition dont les résultats
justifieraient mieux le nombre considérable d'heures
passées à la fabrication, l'aide financière enfin de
quelques amis devaient permettre, en 1979,
l'acquisition d'un matériel réduit mais, tous comptes
faits, efficace : une petite photocomposeuse, une
presse offset « de bureau », divers
accessoires tels que chassis d'insolation, banc de
reproduction rudimentaire (à taux de réduction et
d'agrandissement limités et fixes), massicot manuel de
faible ouverture, encolleuse, etc. L'ensemble nous
assurait une autonomie totale dans la réalisation de
nos projets puisque nous pouvions nous-mêmes assurer
composition, photogravure noir et blanc, impression,
façonnage.
En 1979-80, ainsi équipés, nous imprimâmes plus
de vingt publications de 72 à 384 pages, de 300 à 1200
exemplaires, réparties en livraisons de la revue et
dans trois collections de livres :
« Poétiques », « Voix d'en bas »
et « Multigraphies » (c'est dans le
prolongement de cette dernière que Georges Monti
devait fonder en 1981 sa propre maison d'édition, à
Cognac, sous l'enseigne du Temps qu'il fait –
référence et salut à Armand Robin qu'il avait
introduit à nos éditions et dont il avait permis la
redécouverte sur le plan national). Un petit atelier
d'une dizaine de mètres carrés avait été construit au
sous-sol de la maison pour installer la presse et
préparer les expéditions, le grenier abrita notre
labo-photo. La composition, l'assemblage des feuilles
imprimées, leur pliage, la couture, le routage de la
revue étaient effectués dans la pièce commune, qui y
suffisait de justesse. La totalité de ce matériel
n'excédait guère les 500 kg. Le stock de papier
et les livres finis étaient entreposés dans un
bâtiment à l'écart dont je reparlerai.
Au cours de ces deux années, la revue, d'un
format supérieur au format actuel (« grand
in-8° » contre « in-12 ») était
imprimée par deux pages, ce qui nécessitait la
confection et le tirage d'une moyenne de 70 plaques
pour un numéro ordinaire. C'était un travail
fastidieux, entre beaucoup d'autres il est vrai.
Reprenant seul la revue en 1981, je fus amené à
réduire ce nombre ; le format s'en trouva diminué
par contrecoup. Quand précédemment nous avions sans
cesse plié le matériel aux impératifs de projets trop
importants pour lui (projets auxquels nous avons
nous-mêmes sacrifié trop d'énergie, de temps,
d'amitié), la sagesse commandait maintenant, dans une
démarche inverse, d'adapter les publications à
l'outillage. Dans la nouvelle série en cours 24
plaques sont nécessaires à la réalisation d'un numéro
courant, chacune pouvant imprimer quatre pages. Les
autres tâches s'en trouvent sensiblement réduites
elles aussi.
D'hier à
aujourd'hui : le matériel acquis en 1979 fut
partagé en 1981 ; la presse revint à Plein Chant,
la photo-composeuse au Temps qu'il fait. Un modèle
voisin vint remplacer ici cette dernière quelques
temps après. Ainsi parurent livres et revues jusqu'au
n° 10 de celle-ci. Fin 1982-début 1983 le cahier
double (triple en fait) consacré à Louis Guilloux
demanda un long travail. Outre la mise au point de son
contenu, il représentait une masse de papier à
manœuvrer équivalente à celle de six livraisons
habituelles de la revue. Depuis les origines, les
livres publiés par Plein Chant étaient cousus main.
Devant cette montagne de papier, je décidai d'acquérir
une couseuse mécanique (les perspectives de vente du
cahier Guilloux m'y encourageaient par ailleurs). Mais
il fallut trouver la machine, et c'est un domaine où
les occasions sont rares (1), puis faire le
voyage de Paris pour examen, enfin attendre la
livraison. Bref, le cahier Guilloux qui aurait dû
paraître fin décembre 1982 ne fut achevé, cousu
machine, que fin février 1983, bien après son
expédition aux abonnés. Le chemin du retard était
ainsi amorcé quand une subvention d’« aide au
développement » fut attribuée aux éditions par la
Direction du Livre au Ministère de la Culture. Depuis
des mois je cherchais une presse de plus grand format
et de meilleure qualité, la mienne m'abandonnant petit
à petit et rendant à chaque fois les tirages plus
laborieux. J'avais commencé au printemps de 1982
l'aménagement du bâtiment de stockage évoqué plus
haut, destiné à devenir un atelier où seraient
regroupés un maximum de postes de travail. Il avait
fallu en déménager tout le contenu, en arracher les
planchers pourris, abattre un mur qui en réduisait la
surface. Une dalle de ciment fut coulée durant l'été,
une ouverture nouvelle destinée à faciliter les
livraisons fut pratiquée dans un mur aveugle, enfin la
toiture fut consolidée par une poutre métallique (ces
trois opérations furent exécutées par un
professionnel).
Ce bâtiment, ancienne maison d'habitation
abandonnée depuis des décennies, est petit mais
utilisable : 32 m2
en rez-de-chaussée, autant en grenier. Cependant il ne
possédait ni l'eau ni l'électricité et les murs en
étaient très dégradés. Comme on dit, « il y avait
tout à faire ». La subvention tomba donc à point
pour faciliter l'achat d'une presse
« Aurelia 46 » permettant le tirage
simultané de 8 ou 12 pages suivant le format du livre
fini. Celle-ci arriva début avril, comme l'isolation
du grenier venait d'être achevée. Un peu de temps fut
pris alors pour imprimer le n° 13 de Plein
Chant, celui de
janvier-février. Puis ce fut, durant mai et juin
tout entiers, la ronde autour de la nouvelle
machine : toute l'installation électrique à
faire sur deux niveaux en tâchant de prévoir
l'alimentation de tous les postes du futur atelier
au complet : la presse, le massicot qu'il
faudrait trouver, le chassis d'insolation des
plaques offset, la couseuse (provisoirement serrée
près de l'ancienne presse dans l'ex-atelier), le
labo-photo dont il avait fallu par ailleurs dresser
les cloisons, les diverses prises, les points
d'éclairage, etc. Ensuite l'installation de l'eau me
transforma pour un temps en plombier : il
fallait prévoir lavabo, sanitaires, bac de
développement des plaques et de lavage des rouleaux
mouilleurs, labo-photo de nouveau. Enfin, les murs
étant largement décrépis, j'entrepris leur
replâtrage.
Entre temps je trouvai, au petit bonheur, la
plupart des accessoires manquants : chassis, bac,
rayonnages métalliques, adressographe, etc. Une
annonce me fit connaître un sympathique imprimeur de
Boigny, près de La Ferté-Alais, qui me donna plus
qu'il ne me vendit une petite presse Gestetner (un
meilleur modèle que l'ancienne) et un massicot
semi-automatique de 82 cm d'ouverture, de quoi
couper pratiquement tous les formats de papier que
j'utiliserai à l'avenir. Je salue au passage ce
vendeur désintéressé qui ne chercha pas à spéculer sur
un matériel amorti depuis belle lurette. C'est
beaucoup plus rare qu'on ne pourrait le penser.
Arrivé à ce point des opérations, j'aurais dû
me remettre à la préparation et à l'impression de Plein
Chant. Mais les
caisses ayant été, malgré la vente honorable du
cahier Guilloux, littéralement vidées par tous ces
achats et travaux, il me fallut songer sérieusement
à leur renflouement. Pour cela, je dus, outre des
livres promis depuis des mois, imprimer divers
travaux dits « alimentaires ». Pierre
Ziegelmeyer, fidèle à une tradition de près de dix
années, donna un sérieux coup de main à leur
façonnage début juillet. Mais il restait encore à
« mettre en route » la fameuse
Aurelia 46, ce qui, sans notice ni manuel de
conduite du constructeur, ne fut pas une mince
affaire. L'aide de M. Gros, alias Jean-Marie
Planchou de l'imprimerie Limonaire, me fut plus que
précieuse en la circonstance et nous passâmes la
troisième semaine de juillet à nous battre dans la
bonne humeur avec les divers problèmes techniques de
réglage et de mise au point que peuvent soulever
près de trois tonnes de fonte, d'acier, de cuivre et
de caoutchouc à celui ou à ceux à qui elles n'ont
pas été présentées. Une semaine supplémentaire fut
d'ailleurs nécessaire à cerner les derniers
problèmes. Août était là. Mais toujours pas le
numéro de mars-avril. Et août fut employé à la
fabrication du premier livre d'Alain Wexler, à
paraître aux éditions du Dé bleu de l'ami Louis
Dubost.
J'exposerai
sans doute autre fois les aspects pratiques,
rédactionnels, techniques et financiers de
l'élaboration et de la fabrication d'un livre suivant
ces successives et différentes possibilités
matérielles, et à travers des conceptions bien
personnelles de ce «métier» d'imprimeur-éditeur. Je
n'ai voulu montrer ici que les péripéties qui ont
retardé le travail habituel de la revue, travail qui
va reprendre avec la rentrée et se dérouler plus
normalement dans les mois qui viennent, d'autant plus
normalement que, hormis la composition (c'est déjà
faute de place), toutes les étapes de la fabrication
sont désormais rassemblées en un même lieu, conçu pour
leur meilleur déroulement à partir d'un tout qui
forme, après une douzaine d'années de bricolage, une
« vraie » imprimerie. De 70 à 500 kg
nous passons à sans doute près de cinq tonnes de
matériel et s'il reste encore beaucoup à faire pour
rendre plus vivable et plus pratique ce nouveau lieu
de travail (peintures, rayonnages et mobilier divers)
et plus rapide le travail lui-même (trouver du petit
matériel de façonnage afin de s'extraire cette
dernière épine du pied), le plus important, le plus
absorbant, le plus coûteux a été fait en un temps
somme toute raisonnable qui correspond précisément à
ce décalage de quatre gros mois dans la parution de la
revue. Les quatre petits mois qui viennent vont
permettre d'en rattraper, sinon la totalité, du moins
la plus belle part. Et l'on mijote pour l'an prochain,
en fonction des perspectives ainsi ouvertes, en
fonction d'exigences qui ne s'émoussent pas avec le
temps, une série nouvelle de Plein Chant qui ouvrira, je l'espère,
de nouvelles voies dans le champ de préoccupations
et d'intérêts littéraires qui ne datent pas
d'aujourd'hui, qui prolongera de regards neufs une
démarche vouée à l'histoire et à la vie littéraires
sous leurs aspects les plus méconnus des voies
officielles.
(1) Je ne parle ici, quelles que soient les
machines évoquées, que de matériel d'occasion. Les
prix du neuf sont si élevés qu'un million de francs
actuels serait à peine trop d'argent pour l'installation
d'une imprimerie du type de celle de Plein Chant.
Heureusement, il existe un marché d'occasion
relativement important, aux prix extrêmement variés.
Mais là il faut être très prudent… et patient. (L'une
des causes principales des bas prix est la
non-conformité aux normes de sécurité qui interdit
l'utilisation du matériel concerné par du personnel
salarié. L'artisan a, lui, le droit de prendre des
risques.)
Edmond Thomas
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