ÉDITIONS PLEIN CHANT


(LES AMIS DE PLEIN CHANT)

AJOUTS

 
Août 2022


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VIEL-CASTEL
et les collectionneurs

Commentaire du texte de Viel-Castel


        
 

    Les Collectionneurs, par le comte Horace de Viel-Castel (1802-1864) parut pour la première fois en 1841 dans Les Français peints par eux-mêmes, cinq pages de texte. Les illustrations étaient dessinées par Gavarni, gravées par Jacques Adrien Lavieille (suicidé en 1862). Voici la fin du texte : « Considérant que, depuis quelques années surtout, la France monumentale et artistique est de tous côtés, et pour le bon plaisir des collectionneurs et de leurs collections, dépecée par morceaux :

ARTICLE UNIQUE.

« Tout collectionneur est soumis à perpétuité à la surveillance de la haute police. »

    Aujourd’hui, un lecteur de Viel-Castel pourrait se poser la question : Viel-Castel n’est-il pas, ici, ironique ? Il ne demanderait pas la surveillance de la police car lui-même étant collectionneur, il serait victime de cette police et se moquerait de cette haute police ? Quel genre de personnage était donc Viel-Castel ? Il avait écrit sous son nom des ouvrages tombés dans l’oubli, ainsi Oméga (Techener, 1834), petit in-4° de 39 pages illustré de deux lithographies dans le texte, Marie-Antoinette et la Révolution française (1859). Il connaîtra  — si l’on peut dire — une sorte de gloire posthume, à vrai dire minimale, lors la parution en 2005 de Mémoires sur le règne de Napoléon III 1851-1864 publiés d’après le manuscrit original (Robert Laffont, collection Bouquins).
Viel-Castel était collectionneur, mais de  quoi ? moins de livres que d'objets d'art, ceux qui appartenaient à
« la France monumentale et artistique ». Il a publié, par exemple, Collection des costumes, armes et meubles depuis le commencement du Ve siècle jusqu’à nos jours, dédié à Charles X (Canson et Cie, sans date), quatre volumes illustrés, grand in-quarto. Le bibliophile Jacob (Paul Lacroix) citera l’ouvrage page 504, dans la bibliographie de son Recueil curieux de pièces originales […] sur le costume et les révolutions de la mode en France […] (Paris, Administration de Librairie). Dans sa vie professionnelle, Viel-Castel appartenait au monde de l’art en tant que conservateur du Musée des Souverains, ce qu’il fut du 1er décembre 1852 — la veille du coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, devenu Napoléon III — au 12 mars 1863, date de sa propre révocation. Dans le registre de la vie sociale et mondaine il fréquentait le salon de la princesse Mathilde, puis il est entré dans le monde littéraire contemporain avec une publication posthume parue en 1888) Mémoires sur le règne de Napoléon III 1851-1864, republiée en 2005 (Robert Laffont), présentée et annotée par Éric Anceau et donnant la version originale de 1888.

    Petite parenthèse. Les Mémoires sur le règne de Napoléon III ne témoignent guère d'un jugement littéraire assuré. Page 39 : « Depuis la révolution de 1848, je n’ai pu me décider à revoir Lamartine. Cet homme m’inspire un profond dégoût ; ce n’est qu’un composé, non pas même d’ambitions, mais de vanités puériles, pour la satisfaction des quelles il sacrifiera tout. » Page 116, il démolit Victor Hugo : « Ce poète ampoulé, dont l’avenir fera justice, croit l’univers attentif à sa seule personnalité. C’est un homme qui commettrait une méchante action, comme il commet de méchants vers, pour attirer l’attention publique. » Viel-Castel hait les libres penseurs, tel Eugène Sue qui avait refusé par avance la présence d’un prêtre avant sa mort. Commentaire de Viel-Castel : « Les habitants d’Annecy conserveront un souvenir édifiant de la mort du socialiste débauché qui a vécu et qui est mort comme un chien ». En revanche, il aimait Musset, par lui fréquenté dans le salon de la princesse Mathilde, « Alfred de Musset, notre poète, notre poète le plus original et le plus vraiment poète » (Mémoires sur le règne de Napoléon III, 2005, p. 556).

    Viel Castel apparaît en homme déphasé, refusant toute adhésion de cœur à son époque : « Nous avons aujourd’hui les vices de la Régence exercés sous le patronage du gouvernement par des laquais. Les Richelieu d’à présent sont dépravés, sans être élégants, sans bonnes façons, sans esprit ; on a fait monter l’antichambre dans le salon. » (Mémoires…, page 44, 18 février 1851). Le 16 mai 1851, page 101, il s’attaque à la presse : « La France est pleine de badauds qui croient aux journaux. On fait sonner bien haut la liberté de la presse, qu’est-ce après tout ? L’État abandonné à des marchands d’orviétan, des faiseurs de parades, qui colèrent ou réjouissent la foule suivant leurs caprices ». Page 107, on lit, daté du 23 juin 1851 : « Véron, c’est le siècle présent : cynique scrofuleux et sans vergogne, bouffi et important. Véron [Louis V., journaliste et homme politique, 1798-1867] communique ses écrouelles à tout le monde. ». Page 1008, on lit, le 18 juillet 1863 : « la populace des villes, criarde et révolutionnaire voudrait un conflit général parce qu’elle en espérerait un bouleversement d’où sortirait une nouvelle république ! ». Page 112, le 16 juillet 1851 : « Les rouges sont des scélérats. Les blancs, à quelque parti qu’ils appartiennent sont des imbéciles. Il y a aussi des niais profonds. Faites donc une grande nation avec tout cela. »

  S’agissant des collectionneurs, Viel-Castel se montre catégorique dans la contribution parue dans Les Français peints par eux-mêmes : « Tout collectionneur rentre nécessairement dans une des trois classes que je viens d’indiquer : le collectionneur fou, le collectionnaire brocanteur, et le collectionneur par mode. » Parmi les collectionneurs fous, il compte le collectionneur d’autographes, décrivant ainsi l’un d’eux : « depuis six mois il est atteint d’une affection mortelle, dix lignes de l’écriture de Molière lui ont échappées […] ses jours s’éteignent, il ne voit plus, n’entend plus, […] sa collection d’autographes était réputée la plus belle de toutes les collections connues, maintenant elle n’est plus qu’en seconde ligne ». Si l’on se place au point de vue de l’histoire littéraire, on rappelle que les collectionneurs ont intéressé Edmond Bonnaffé (1825-1003) auteur de Les Collectionneurs de l’ancienne Rome et de l’ancienne France, notes d’un amateur qui sera publié par les éditions Plein Chant au printemps 2023. Cette abondance de publications sur les collectionneurs nous incite à préciser le sens de ce mot plurivalent.

    Le sens général du mot collection est « une réunion d’objets », mais quels objets ? Et dans quel but ? Le Petit Robert de la langue française (2019) donne pour le verbe collectionner des exemples variés : collectionner des objets d’art, des bibelots, collectionner les timbres, les boîtes d’allumettes. Pour le substantif collectionneur : Collectionneur de livres (bibliophile), de médailles (numismate), de timbres (le philatéliste) et cet équivalent : « les grands collectionneurs : les collectionneurs d’art ». Sur quoi repose le désir, ou mieux, la passion de collectionner ? Peut-être sur deux sentiments contradictoires : un désir inconscient d’infini, un infini quantitatif incarné par le nombre le plus grand possible des objets collectionnés –– et son contraire, le désir d’une seule chose, unique, celle qui sert de thème, d’obsession, d’idée fixe. Ajoutons que les éditeurs se sont appropriés le mot collection en un tout autre sens, appartenant au champ du genre littéraire et à la technique du classement. Les éditions Bossard avaient une « Collection des chefs-d’œuvre méconnus » qui donnait entre autres à lire, en 1922, Deux dialogues à l’imitation des Anciens, par François de La Mothe Le Vayer (1588-1672). Edmond Thomas, l’éditeur de Plein Chant (Bassac, Charente) a choisi pour ses livres relevant de La Petite Librairie du XIXe siècle les noms de collection suivants : Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse, Xylographies oubliées, Gens singuliers, Anciennetés. Ainsi va la vie littéraire…

Note en 2022. L'image du collectionneur-type a été ici déplacée. Dans Les Français par eux-mêmes, elle est tantôt hors du texte, toute seule, et tantôt dans le texte.

 
   

 
    
 
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