ÉDITIONS PLEIN CHANT

AJOUTS

Janvier 2021




L'ÂNE PROMENEUR,
ou

C R I T È S 
PROMENÉ PAR SON ÂNE








                L'AUTEUR


   Antoine-Joseph Gorsas (1751-1793), né à Limoges, imprimeur et libraire à Paris,  publia en 1786 L'Âne promeneur ou Critès promené par son âne, Chef-d'œuvre pour servir d'Apologie au Goût, aux Mœurs, à l'Esprit, et aux Découvertes du siècle. La page de titre fait attendre un livre curieux ? surprenant ? satirique ? Farfelu, en tout cas. On lit en effet : Première édition, Revue, corrigée, et précédée d'une Préface à la Mosaïque, dans le plus nouveau goût. À Pampelune, chez Démocrite, Imprimeur-Libraire de son Allégresse Sereinissime Falot Momus, au Grelot de la Folie. Et se trouve à Paris, […] et aux quatre coins du Monde (1 volume in-8°, 302 pages).

Pampelune est Paris, Démocrite cache Gorsas, l’expression Préface à la Mosaïque — entendre : composée de petits morceaux — est à prendre au figuré dans la mesure où ce qui est pour nous un Avant-texte plutôt qu’une préface est composé de plusieurs textes de deux ou trois pages : Annotation. Un bon averti en vaut deux, suivi par Exposition, où Gorsas se décrit « Limousin de nation, Parisien par aventure, savetier par état, bavard par goût, rieur de son métier », Requête supplicatoire de Chrysostome Critès à son âne, Réponse de l’âne, Introduction, Lettre de Chrysostome Critès au cousin Jocrisse, Præ-Préface, Le libraire au lecteur, puis (enfin !) la Préface, sous-titrée Difficulté de faire une Préface ; but très charitable de celle-ci. Le tout va de la page 3 à la page 56.

En juillet 1789, hostile à la noblesse et au roi, Gorsas publie le 5 juillet 1789 Le Courrier de Paris, un quotidien ensuite intitulé Le Courrier de Versailles à Paris et de Paris à Versailles, par M. Gorsas, Citoyen de Paris. Suivra en 1790 Le Courrier de Paris dans les 83 departemens, qui deviendra Le Courrier de Paris dans les Provinces, et des Provinces à Paris. Député de Seine-et-Oise en septembre 1792, il s’affiche Montagnard puis glisse du côté des Girondins et par représailles son imprimerie est saccagée en mars 1793. Arrêté le 6 octobre 1793, il est condamné à mort le 7 octobre 1793 et immédiatement guillotiné.



         TROIS EXTRAITS


 
 Page 41.
   Extrait de la Præ-Préface, sous-titrée Motifs qui ont engagé Chrysostôme Critès à donner une Préface avant ses Voyages. Recette pour s'assurer du succès d'un ouvrage : La chose au pis : Dernier mot de l'Auteur.
  Jeune homme qui veux parcourir la carrière des lettres, prends et lis.
Un Charlatan, qui veut avoir le débit de sa drogue, fait toujours précéder l’annonce de son orviétan par des tours de passe-passe et de gobelets ; chaque muscade qu’il escamote, chaque tour dont il amuse les gens oisifs, aiguise la curiosité, et ajoute un nouveau prix à la poudre dont il fait cadeau au public. L’adroit Turlupineur se garde bien de montrer tout son savoir ; il réserve soigneusement dans sa gibecière les tours les plus forts et les meilleurs. L’assistance émerveillée attend et achète ; parce qu’en conscience il est bien juste d’acheter la marchandise d’un homme qui vous amuse. Si l’on n’achète pas, l’escamoteur plie bagage, en charge le dos de son lapin (1), et va chercher une place meilleure et plus chanceuse.
  Ce que font les charlatans, Messieurs les auteurs devroient le faire. Une préface qui paroîtroit avant l’ouvrage ; et dans laquelle on en glisseroit adroitement un échantillon, auroit trois avantages bien distincts ; d’abord, de faire lire une préface qu’on ne lit jamais ; secondement, d’essayer le goût des lecteurs, et au cas que l’échantillon prît, de leur faire attendre avec impatience les tours de maître qui sont le corps de l’ouvrage ; et en troisième lieu, il arriveroit delà que le public ne seroit dupe, au pis-aller, que d’une préface ; par ainsi, ces pauvres diables d’auteurs ne dépenseroient pas en pure perte leur temps et leur huile, et ne s’épuiseroient point pour n’avoir ni profit ni gloire.

(1) Lapin, terme dont se servent les Jongleurs, pour nommer leurs garçons. Les Charpentiers appellent aussi leurs apprentis lapins.

 


 
 Page 104.

[Ainsi parlaient les petits-maîtres.]

 


AUZOURD’HUI, petit-maître et rimeur agréèble
     Il zaze sur un ton croqué ;
Et le buzte en avant, en zoli frac musqué,
     Il trance par-tout du capèble.
Il trouve les Zardins, èh !… d’un fère (1) admirèble,
Du style de Corneille il est tout offuzqué ;
     Il voltize dans les ruelles ;
Il perziffle Cléon d’un rendez-vous manqué,
Et nomme (pour rimer) les femmes des cruelles.
Sur le Cien de Cloris il fait un madrigal
     Qu’à l’article Littérature
     On vous offre, comme un régal,
     Dans le plus proçain Mercure.
Il làççe, en minaudant, un lézer in-promptu,
Que sa muse à loisir avoit rimé la veille.
Il fredonne un couplet sur l’air hurluberlu ;
Orphise, en se pâmant, dit, c’est une merveille !
    Mon Compère, l'eusses-tu cru ?

(1) Les gens du bon ton écrivent ainsi le verbe faire. La diphtongue sonore oi, tant regrettée par l’estimable d’Olivet, est proscrite aussi jusques dans les monosyllabes. On dit à la cour je crès pour je crois. On dira bientôt du bès et des pès pour du bois et des pois.

Notes ajoutées en  2021.
* L’estimable d’Olivet désigne Pierre-Joseph Thoulier d’Olivet, né en 1682, mort en 1768, auteur de Remarques sur la langue françoise, par M. l'abbé d'Olivet (1767).
**
Les femmes sont dites ici cruelles, en référence aux ruelles. Les deux mots riment, mais ne sont pas unis par cette unique raison. On désignait par le mot ruelle l'espace, dans une chambre à coucher entre le lit et le mur, mais surtout le mot ruelle faisait allusion à l’amour physique, pratiqué dans un lit, et en même temps aux madrigaux mondains par lesquels un homme sollicitait l’amour d’une femme, que les convenances obligeaient à se refuser, cruelle donc.
***
Le dernier vers fait allusion à l’expression « l’eusses-tu cru », transformée au XVIIe siècle (1659 ?) en Lustucru, un personnage imaginaire qui raccommodait à coups de marteau la tête des femmes. On rencontre le jeu de mots dans la chanson enfantine La Mère Michel :


C'est la mère Michel qui a perdu son chat
Qui crie par la fenêtre à qui le lui rendra
C'est le Père, l'eusses-tu cru
Qui lui a répondu
Allez la mère Michel vot' chat n'est pas perdu
Sur l'air du tra la la la la
Sur l'air du tra la la la la
Sur l'air du tra déridéra et tra la la la la.



 


 
 Page 293.

E P I L O G U E

 

  Le lendemain, le surlendemain, les jours suivans, on me verra […] compiler, compiler, compiler pour ne rien dire comme un Dictionnaire ; ensuite montrer les cornes aux assistans, comme Belzébuth ; empocher, par provision, l’argent des sots, comme Mesmer ; enfin rire des folies de mes bons compatriotes, d’aussi bon cœur qu’un Esprit-follet qui fait noyer un gros lourdaud de paysan Artésien, qui prend des Furolles pour des Chandelles bénites d’Arras.
   A
près cela, harassé, fatigué, et, comme mon bon ami Clément Marot,

.............................. si tant las,
Que quatorze Archers de la garde
Me battroient à la hallebarde,

j'irai dormir huit jours et huit nuits de suite, pour me restaurer, et recommencer sur nouveaux frais, s’il y a lieu

S I F F L E Z ,  M E S S I E U R S ,  S I F F L E Z,

J’  AI     F   I  N  I.


Notes ajoutées en 2021.

* compiler, compiler, compiler. On aura reconnu la plume de Voltaire se moquant dans la satire Le Pauvre diable de l’abbé Trublet.

Il compilait, compilait, compilait ;
On le voyait sans cesse écrire, écrire,
Ce qu'il avait jadis entendu dire.


** Furolles : feux follets.

*** Chandelles d'Arras : La référence est à La Chandelle d’Arras, poëme en XVIII chants (1765), par le sulfureux abbé Henri-Joseph Du Laurens, resté anonyme. Une nouvelle édition parut en 1807, toujours sans nom d’auteur. Quant à la chandelle d’Arras, elle désigne le sexe des hommes :

Javote, hélas à son corps défendant,
Se laisse faire, avance la croupière,
Et par trois fois remuant la charnière,
Elle enfonça la Chandelle d'Arras.

(Chant XVIII)



 

Rappel : Le lecteur de cette notice trouvera d'autres extraits de L'Âne promeneur à  l'adresse suivante :
http://pleinchant.fr/marginalia/2015aoutoctobre/gorsas/pageune.html




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