LES COUDÉES FRANCHES




L'AUTEUR



  
  
   Laurent Bordelon (1653-1730) s’est rendu célèbre en partie grâce aux cinq volumes in-12, chacun comprenant deux parties, de Diversitez curieuses pour servir de récréation à l’esprit (Amsterdam, André de Hoogenhuysen, 1699), le premier de ces volumes étant paru le premier janvier 1696. Pour l’auteur, l’expression générale Diversitez curieuses recouvrait « des bons Mots, des réparties ingénieuses, des remarques critiques, des observations curieuses, des maximes de morale et des traits d’érudition. »
   L’ouvrage Les Coudées Franches, parut pour la première fois en 1712 à Paris, chez Pierre Prault, Avec Privilège et Approbation, sans nom d'auteur fut republié chez le même éditeur en 1723, sous un titre plus précis et surtout plus accrocheur, Les Coudées Franches, Ouvrage satyrique et curieux, Sur plusieurs Matieres.
  Voici donc ci-dessous le texte, ici abrégé, de la Préface de 1712 peu respectueuse des règles traditionnelles d’une préface puisqu’elle est à la fois un Prologue, un Avis, un Prélude, un [texte] Préliminaire, un Avertissement.

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LE TEXTE


PREFACE.

PROLOGUE.

AVIS.

     PRÉLUDE. PRÉLIMINAIRE.
AVERTISSEMENT.




Choisissez, Lecteur, lequel vous voudrez, je vous laisse les Coudées Franches.

 

Puisque je donne à mon Livre le titre de Coudées Franches, je ne devrois pas, ce me semble, m'embarrasser d'une Préface. Je vais pourtant en faire une, mais à Coudées Franches. Or dequoy la remplir ? Que dirai-je ? tracerai-je une idée de ce qu’on va lire ? hélas ! quelle idée en pourrois-je donner, car je n'ay point eu d'autre vue, que de jeter sur le papier tout ce qui me viendrait dans l’esprit ? Un dessein, un projet régulier m’aurait gêné et ainsi je n’aurais pas eu les Coudées Franches. Je n’ai, certes, jamais fait ouvrage, qui m’ait été si peu à charge que celuy-cy. N’avoir aucun compte à rendre, que cela est doux et si l’on vient à dire par reproche que je m’écarte de mon sujet, tant mieux, car je me suis particulièrement proposé d'avoir mes Coudées Franches. Si l’on s’imagine y trouver des fautes, tant mieux, ce sera une marque que j’aurai donné à mon esprit ses Coudées Franches, et ainsi, Messieurs les Critiques, Censeurs, Formalistes, Hargneux, Mal-endurants, Satyriques, Pointilleurs, Tracassiers, ayez aussi vos Coudées Franches. Moquez-vous, sans façon, de mon titre, de mon dessein, si vous croyez que jen ai un, de l’exécution, du langage, du style, des transitions, des pensées, des raisonnemens et même de l’orthographe, et de la position des points et des virgules, si vous voulez, je ne vous en empêche pas, je ne daignerais pas même vous en empêcher, si je le pouvais ; mettez-vous donc en train, vous l’allez avoir beau, critiquez, c’est le moins qu’on vous puisse permettre pour votre argent, dites hardiment, voilà un pauvre livre ! voilà un livre bien hardi ! il faut avoir bien peu de considération pour le public, quand on ose lui présenter de tels fatras, de telles imaginations, de telles idées ! où en serons-nous, si tous ceux qui ont des démangeaisons d’écrire, viennent ainsi nous importuner indifferemment de tout ce qu’ils pensent ? y a-t-il rien de plus facile que de faire des livres de cette sorte ? j’avoue de bonne foi, que, si un livre du même caractère que le mien m’était tombé entre les mains, d’abord j’en parlerais de cette manière, et cela parce que je ne l’aurais pas fait ; car pour celuy-cy, je suis bien éloigné de le traiter avec tant de colère et d’indignation. J’ose dire, (la prévention d’auteur pour ses productions mise à part), que je le trouve bon et mauvais, subtil et grossier, fade et ragoûtant, pauvre et riche, sage et fou, triste et gai, sérieux et comique, instructif et inutile… J’en dirois bien d’autres, si je voulois pousser les chic-choc, les antithèses aussi loin qu’elles pourraient aller ; et ainsi je le loue et je le blâme, je l’estime et je le méprise ; faites-en autant, croyez-moy ; c’est le plus raisonnable parti que vous puissiez prendre ; de cette manière vous ne perdrez pas tout.

[…]

j’écris pour tout le monde, pour les sçavans et les ignorans, les grands et les petits, les pauvres et les riches, les sages et les foux, les vieux et les jeunes, les hommes et les femmes, les petits garçons et les petites filles, j’écris de, pour et contre moi-même. Coudées Franches. Tantôt l’un, tantôt l’autre, aller, venir, entrer, sortir, rentrer, sans compliement, sans cérémonie, Coudées Franches.

[…]

Mais où aller ? voyons… Voici ce que ma plume m’inspire (car je vous avertis d’une chose, c’est que quand je prends la plume, je ne sais ce que je dois écrire ; c’est à elle seule que je m’abandonne, il semble que tout ce qui va paraître vienne plutôt de son tuyau que de moi) voici, dis-je, ce qu’elle m’inspire, ce qu’elle me dicte, ce qu’elle écrit. Lisez.

[…] Mais venons au fait ; voila assez parlé Préface ; je commence à m’en ennuyer ; assurement vous l’aurez trouvée trop longue ; je suis bien fâché de vous avoir donné cet ennui ; je vous plains, si vous aviez quelque chose de meilleur à faire, que de la lire. Ne me faites plus ce sacrifice, je vous en prie ; voici le livre […]


   


 


 
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