L' E  L  O  G  E

DE

 R  I  E  N
 
D
É D I É

A   PERSONNE.


AVEC UNE POSTFACE.



   

L'AUTEUR




L'auteur caché de cet Éloge, Louis Coquelet (1676-1754), a laissé peu de traces dans l’histoire littéraire, c’est le moins que l’on puisse dire. La version ici donnée est celle qui fut reliée sans nom d’auteur à la suite de Mon radotage et celui des autres, recueilli par un Invalide retiré du monde pendant son Carnaval (A Bagatelle, chez les Frères Monloisir, au Temple du Délassement), lui aussi sans nom d’auteur, mais dont les bibliographes savent qu’il se nommait Jean-Henri Marchand, un avocat dont on ne connaît pas la date de naissance, mort en 1785.
La première édition de L’Éloge de rien dédié à personne. Avec une Postface était parue sans nom d’auteur en 1730, à Paris, chez Antoine Heuqueville, libraire. Les caractères majuscules des titres de livres ne permettent pas d’apprendre tout de suite au lecteur que rien et personne sont des noms de personnages — littéraires — mais le livre débutant par une EPITRE DEDICATOIRE A PERSONNE, on apprend la chose. Plusieurs éditions suivront, l’une d’elles sous le titre : L'Eloge de Rien dédié à Personne. Avec une postface. On eut encore une « Troisiéme edition, peu revûë, nullement corrigée, & augmentée de plusieurs riens ». L’ouvrage reparaîtra en 1861, sous le titre Eloge de Rien, dédié à Personne, précédé d'une introduction superflue avec préface, postface et paulopostface non moins inutiles. Sixième édition, enrichie de quelques riens et diminuée de beaucoup d’autres (Liège F. Renard, Paris E. Dentu), 63 pages in-16. Précisons que paulopostface est un néologisme formé avec le mot latin paulo (presque) et le mot français postface.

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Début, ici abrégé, de la Postface qui clôt L'Éloge de Rien


      
   
   

P O S T F A C E.
Édition de 1730


Un Auteur de RIEN, puisque c’est l’Auteur d’un Almanac [en note : L’Auteur de l’Almanac proverbial], qui est à peu près la même chose que RIEN, a judicieusement remarqué que les Livres avoient plus besoin de Postfaces que de Préfaces ; je suis fort de son avis, & les Préfaces me paroissent toutes ou inutiles, ou suspectes de mauvais desseins. Inutiles parce que


Un auteur à genoux dans une humble Préface
Au Lecteur qu'il ennuye a beau demander grace,
Il ne gagnera rien sur ce Juge irrité,
Qui lui fait son procès de pleine autorité.

 

elles cachent d’ordinaire de mauvais desseins, parce qu’à dire vrai, la plupart des Préfaces sont des pieges qu’on tend à la crédulité des Lecteurs pour les surprendre, et corrompre, si cela se peut, leur jugement. Les Préfaces ont été établies principalement pour répondre aux difficultez que pourroient former des Lecteurs scrupuleux et délicats sur l’Ouvrage qu’on leur présente, et pour les éclaircir. Or comment peut-on proposer des difficultez sur un Ouvrage qu’on n’a pas encore lû, et qu’on ne sçait par conséquent ce que c’est ? Au lieu qu’en supposant qu’on a lû et examiné avec attention un Livre nouveau, le véritable lieu de mettre les réponses aux objections qu’un Auteur prévoit qu’on lui pourra faire sur plusieurs endroits de ce Livre, doit être assûrément à la fin de ce même Livre : et le discours qui contient ces réponses, et qui doit naturellement être placé à la fin d’un Livre, on le doit sans contredit appeler Postface, et non Préface. Après ce préliminaire que j’ai crû nécessaire pour la justification de ma Postface, il faut vous dire à présent, très judicieux et très-éclairé Lecteur, ce qui m’a déterminé à faire l’éloge de RIEN. C’est que RIEN et moi habitons depuis long-temps sous le même toit, et que nous ne nous quittons gueres ; c’est que quelque querelle et quelque dispute qui se soit élevée sur la surface de la petite boule à laquelle je tiens, j’ai toujours été très-zelé partisan de RIEN ; c’est que j’ai toujours si bien vécu avec RIEN, que RIEN ne m’a jamais forcé d’agir contre ma conscience ; RIEN ne m’a jamais détourné des sentiers de la probité, et fait sortir du caractere de l’honnête homme ; dans quelque situation que je me sois trouvé, RIEN n’a jamais troublé la tranquillité de mon ame et l’économie de mes desseins, qui tous aboutissent ordinairement à RIEN. C’est parce que de mon naturel je m'amuse, et je me fais des plaisirs de RIEN ; c'est qu'en un mot je suis charmé de RIEN faire, ou de faire des riens. […]