ÉDITIONS PLEIN CHANT

AJOUTS

Septembre 2020








LES EXCENTRICITÉS DU LANGAGE FRANÇAIS, par L. LARCHEY

(Extraits)




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Nos lecteurs connaissent la réimpression de Gens singuliers, par Lorédan Larchey (1867), parue en 1993 dans la collection Gens singuliers de Plein Chant. Voici en supplément quelques extraits pris dans Les Excentricités du langage français (Paris, Bureaux de la Revue Anecdotique, 1861).



APOCOPES


Dans sa préface Lorédan Larchey signalait « certaines tendances curieuses » dans la langue de son temps, celle en particulier de supprimer des lettres ou des syllabes à la fin d'un mot, ce qui se nomme apocope. Il en donne des exemples, qui nous paraissent très modernes : consomm[ation], champ[agne], from[age], estom[ac], benef[ice], occase [occasion], maq[uereau], démoc[rate], soc[ialiste], aristo[crate], reac[tionnaire], et dans le corps du texte, il en commentera plusieurs :

ATTAQUE (D’), d’AUTOR et d’ACHAR : […] Les deux derniers, en grande vogue chez les gamins, sont les mots autorité et acharnement raccourcis par le même procédé, qui fait dire preu et seu pour premier et second. […]
« On dit liquid pour liquidation comme ailleurs on dit d’autor, d’achar, soc et démoc. » — MORNAND.

BÉNEF : Bénéfice.
De la famille des mots raccourcis qui ont pris faveur depuis quelque temps, comme From[age], Poch[tron], [équivalent de ivrogne], Champ[agne], Delass-Com, [le théâtre des Délassements-Comiques], etc.
« Un billet, mon maître, moins cher qu’au bureau ! Deux francs cinquante de bénef ! » — ALB. SECOND.

CHAMP : Champagne.
« Maria. Oh !… du champ ! — Eole… agne. — Maria. Qu’est-ce que vous avez donc ? — Eole. On dit du champagne. — Maria. Ah bah ! où avez-vous vu ça ? » — TH[ÉODORE] BARRIÈRE.




QUELQUES MOTS

RESTÉS DANS LE LANGAGE FAMILIER ACTUEL.



BRAISE : Argent.

BRAQUE : Original renforcé.

FICHER LE CAMP : Décamper.
« fichez-moi le camp tous les deux. » — EL. JOURDAIN.
« Mon enfant, fiche-moi le camp. » — RÉTIF [de La Bretonne], 177e Contemporaine (édit. 1783)
.

GRILLER UNE (En) : Fumer une cigarette.
« Passe-moi du tabac que j’en grille une. » — LEM.[ERCIER] DE NEUVILLE.

GUEULETON : Festin, repas plantureux.
« Je ne vous parle pas des bons gueuletons qu’elle se permet, car elle n’est pas grasse à lécher les murs. » — VIDAL, 1833. [Edmond Vidal, né en 1811, saint-simonien].

PAF : Pris de vin. « Vous avez été joliment paf hier. » — BALZAC. [Dans Un grand homme de province à Paris].
[Lorédan Larchey donne alors vingt-neuf synonymes de paf
, ce qui l’amène à conclure que « la richesse de ces vingt-neuf équivalents, prouve combien la faiblesse qu’ils désignent est répandue ».]






MOTS VENUS DE PIÈCES DE THÉÂTRE À SUCCÈS.



CALINO
 : Homme ridiculement naïf.
« L’artiste était fort ennuyé par une espèce de calino réellement plus bête que le bon Dieu n’est saint et qui l’accablait de ses questions plus ou moins saugrenues. » — Figaro.
C’est le nom du personnage principal d’une pièce du Vaudeville qui a mis ce terme à la mode.

[La pièce, parue sous le titre Calino Charge d’atelier, représentée pour la première fois le 12 mars 1856 sur le théâtre du Vaudeville, avait pour auteurs Théodore Barrière et [Antoine] Fauchery. Le vaudeville parut la même année 1856, chez Michel Lévy frères. Calino, peintre amateur sans talent mais croyant à son génie est ridiculisé par sa femme Laure (scène V) et en d'autres scènes par les personnages de la pièce].

CASQUETTE (Être) : « Une des variétés de l’ivresse — L’ivresse gaie. […] Tiercelin, un acteur célèbre du théâtre des Variétés, composa un certain jour un monologue qu'il intercala dans le rôle d'un savetier ivre. Ce récit était rempli d'incohérences, aussi plein d'idées fantasques.
« Il y avait un moment où, dans le paroxysme de son ivresse, il discourait de la métempsycose, et, parlant à sa casquette, placée en face de lui, il se croyait devenu casquette et se faisait de la morale à lui-même. — Ainsi transformé, il divaguait pendant quelques minutes et faisait crouler la salle sous les applaudissements.
Depuis ce jour, les auteurs lui confiaient volontiers les rôles d’ivrogne — et lui recommandaient surtout d’être casquette. » Figaro. JOACHIM DUFLOT.

FILLE DE MARBRE : Fille entretenue.
La pièce de Barrière [Les Filles de marbre, drame en cinq actes, mêlé de chant, par Théodore Barrière et Lambert-Thiboust, Théâtre du Vaudeville, 17 mai 1853, Michel Lévy frères, 1853] a consacré ce mot, comme celle de Dumas fils [La Dame aux camélias, drame en cinq actes, théâtre du Vaudeville, 2 février 1852, adaptation par Alexandre Dumas fils de son roman paru en 1848] a créé celui de camélia, avec cette différence toutefois que camélia se prend généralement en meilleure part.

RIFLARD : Parapluie. — Le mot est dû à la vogue d’une pièce de Picard, La petite ville, jouée en 1801 [le 18 mai, sur le théâtre de l’Odéon, puis reprise à la Comédie-Française]. L’acteur chargé du rôle ridicule de Riflard s’avisa d’y paraître armé d’un énorme parapluie.

ROBINSON : Parapluie. — Usité depuis la représentation d’une pièce de Pixérécourt [Robinson Crusoë, Mélodrame en trois actes…, représenté pour la première fois sur le théâtre de la Porte Saint-Martin, 2 octobre 1805] où Robinson apparaissait avec le parasol qu’il avait fabriqué dans son île.






MOTS TARABISCOTÉS

OU DIFFICILES À COMPRENDRE DE NOS JOURS.


CAPUCINE : « Veuillez excuser notre ami, il est gris jusqu’à la troisième capucine. » — MURGER.
C’est comme si l’on disait : Il en a par-dessus le menton. — On sait combien la troisième capucine est près de la bouche du fusil.

CLOUS DE GIROFLE
 : Dents gâtées, mal soignées, dont les chicots noirâtres présentent avec les épices susnommées une fâcheuse ressemblance.
DÉLICOQUENTIEUSEMENT : Merveilleusement.
[Le lecteur est renvoyé à SUPERLIFICO, COQUENTIEL,TIEUX, où il apprendra que « Rabelais a employé dans son livre III le mot supercoquelicantieux. »]
EFFAROUCHER : Voler. « Qu’est-ce qu’a effarouché ma veste ? » — H. Monnier [dans « L’exécution », Scènes populaires. Une personne effarouchée s’enfuit, elle disparaît comme disparaît la veste volée].
GIROFLETTER : Souffleter. […] On sait que dans le peuple une giroflée à plusieurs feuilles a la valeur d’un bon soufflet.
« Je vous lui donnai une giroflée à cinq feuilles sur le musiau. » Rétif [de La Bretonne], 1783.
[Donner une giroflée à cinq feuilles est gifler quelqu’un si fort que la joue garde la trace des cinq doigts de la main du gifleur].
RENARD (Piquer un), Renarder : vomir. Terme ancien déjà ; — « et tous ces bonnes gens rendoient leurs gorges devant tout le monde, comme s’ils eussent escorché le regnard. » — RABELAIS.

Cette phrase de Rabelais nous livre l’origine du mot. Piquer un renard est donc se trouver aussi mal à l’aise que si on en écorchait un. Cette opération est en effet assez nauséabonde pour provoquer le vomissement.

« Je suis gris… Vous me permettrez de renarder dans le kiosque. » — BALZAC ; [Balzac avait écrit plus précisément, à la fin de Modeste Mignon : « — Adieu ! mon maître, reprit le clerc en criant à tue-tête, vous me permettez d’aller renarder dans le kiosque de Mame Amaury [ce qui serait, aujourd’hui, appelé les toilettes, mais à l’extérieur de la maison, dans une cabane] ? […] il s’assit sur un banc de bois peint [le siège des toilettes] et s’abîma dans les joies de son triomphe. »]






NOTES.

Eau de boudin.

Lorédan Larchey commente, page 192, l’expression tourner en os de boudin, trouvée chez Balzac et Henri Monnier : « Tomber à rien, puisque l’os de boudin n’existe pas ». L’os de boudin est devenu au fil du temps « eau de boudin », au grand désespoir des linguistes qui ne comprenaient pas le rapport entre l’eau et le boudin. On pourrait cependant imaginer que les lecteurs de Balzac et de Henri Monnier lisant à voix haute « os de boudin » ne prononçaient pas le s final, ce qui donnait « l’o de boudin », autrement dit « l’eau de boudin ». Il est vrai que « l’eau de boudin » est devenue au cours du temps « jus de boudin », ce qui supprime le problème « os / eau ».

Bibliographie.



Les  Excentricités du langage français de 1861 devint « Dictionnaire historique d'argot, dixième édition des Excentricités du langage augmentée d'un supplément, mis à la hauteur des révolutions du jour » (Dentu, 1888, XLIII-377 p.), suivi en 1889 (Dentu, XXXV-284 p.) d'un : « Nouveau supplément du Dictionnaire d'argot, avec le vocabulaire des chauffeurs de l'an VIII et le répertoire du largongi [jargon]. Ce dernier supplément annule tous les autres ».






   
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