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Le Panthéon et Temple des
oracles
par
François d'Hervé (1625)
Réimpression Bassac, Plein Chant, 1995
En février 1995 paraissait
chez Plein Chant, dans la collection « Bibliothèque
facétieuse, libertine et merveilleuse »,
elle-même appartenant à la Petite Librairie du XIXe
siècle, Le
Panthéon et Temple des oracles où préside
Fortune,
dédié au Roy, par François d’Hervé…, nouvelle
édition revue sur le manuscrit de l’auteur
conservé à la Bibliothèque impériale, une
réimpression à deux cents exemplaires sur vergé
satiné de Lana, d’un ouvrage paru dans la
Bibliothèque elzévirienne (Paris, Pierre Jannet,
libraire), en 1858, également imprimé sur vergé.
Pierre Jannet avait cherché à mettre à la
disposition du public éclairé de son temps des
textes drôles écrits jadis, au seizième siècle,
ainsi Les Facétieuses Nuits de
Straparole
(1857, 2 vol.), ou bien dus à des auteurs à
cheval sur le seizième siècle et le
dix-septième, tels Gaultier Garguille (né vers
1573, mort en 1633), dont il donnera en 1858 les
Chansons de Gaultier Garguille, ou encore Tabarin
(né vers 1584, mort en 1633), présent en 1858
dans la Bibliothèque elzévirienne grâce aux Œuvres
complètes de Tabarin, avec les
rencontres, fantaisies et coq-à-l'âne facétieux
du baron de Gratelard, et divers opuscules
publiés séparément sous le nom ou à propos de
Tabarin (2
volumes). Edmond Thomas éditeur et imprimeur à
la fois, republiera en 1996, après Le
Panthéon et Temple des oracles, les Chansons
de Gautier-Garguille, dans la même
collection « Bibliothèque facétieuse,
libertine et merveilleuse ».
Reculons dans le temps,
installons-nous brièvement au dix-septième siècle.
François Huby, imprimeur et libraire avait obtenu
pour Le Pantheon et Temple des oracles, par François d’Hervé
(Jean François Cocq d’Hervé, né vers 1580, de
l’ordre des Chevalliers du Saint-Jehan de
Hierusalem, Seigneur et Commandeur de
Valcanville, mort en 1616) un privilège du roi,
daté du 18 septembre 1624 — publié en 1625.
Abandonnons maintenant le dix-septième siècle
pour le début du vingtième, car l’année
1624 nous permet de rappeler que trois siècles
plus tard, le Manifeste du
surréalisme,
par André Breton, achevé d’imprimer le 15
octobre 1924, paraissait aux éditions du
Sagittaire. Féconde, cette année 1924, pour
André Breton offrant aux lecteurs le Manifeste
du surréalisme, suivi de Poisson
soluble
(éditions du Sagittaire), le recueil d’articles
parus en revue sous le titre Les Pas
perdus
(éditions de la Nouvelle Revue française) et,
fruit d’une collaboration avec Aragon, Joseph
Delteil, Drieu la Rochelle, Éluard, Philippe
Soupault, le pamphlet en forme de tract, Un
cadavre,
traînant dans la boue Anatole France, mort le 12
octobre 1924. Aragon, de son côté, publiait Le
Libertinage
(éditions de la Nouvelle Revue française),
achevé d’imprimer le 31 mars 1924. Le 1er
décembre 1924 verra la parution du premier
numéro de La Révolution surréaliste, fondée par Aragon,
Breton, Pierre Naville et Benjamin Péret, le
fidèle ami d’André Breton, Naville et Péret
étant directeurs. Deux thèmes centraux :
l’écriture automatique, c’est-à-dire non
contrôlée par la raison, et les récits de rêve,
ce « tyran terrible habillé de miroirs et
d’éclairs » (préface du premier numéro).
André Breton avait, dans les années 30, fait
dresser, ou avait dressé lui-même, les thèmes
astrologiques de Jarry, Aragon, Benjamin Péret,
Baudelaire, Lautréamont, Huysmans, Max Ernst,
Picasso, Éluard et Nusch, René Char, René
Crevel, Desnos, autant dire les personnes dont
il se sentait proche par l’esprit, des noms
connus par nous grâce à Aube, la fille de Breton
qui avait hérité des feuilles donnant le schéma
des horoscopes — on peut les voir sur Internet.
Dans André Breton par lui-même, de Sarane
Alexandrian (Écrivains de toujours, Seuil, 1971,
p. 156) est reproduit l’horoscope de Breton
établi par lui-même.
On abandonne cependant ici
André Breton, astrologue, alchimiste littéraire et
connaisseur de la véritable alchimie ésotérique,
ce dont témoigne Arcane 17, pour lire ou relire Le
Panthéon
et Temple des oracles où préside Fortune (par fortune,
entendre le hasard, une notion à comparer au
hasard objectif cher à André Breton).
Une deuxième édition du Pantheon
et Temple des oracles parut en 1630, chez
Denys Thierry, rue Saint-Jacques, mais l’auteur
de la longue et riche préface de 1858 que l’on
connaît uniquement par ses initiales, J.M., la
jugeant inférieure à celle de 1625, on se range
à son avis. Selon J.M. donc, Le
Panthéon et Temple des oracles, en principe un
ouvrage de divination comme on en trouvait au
XIIIe siècle, avait dégénéré au point
de passer du statut d’œuvre quasi sacrée
transmettant des oracles venus d’ailleurs à celui d’un jeu de
société pratiqué à la Cour et dans les
« bonnes compagnies » (Avertissement
au lecteur, par François d’Hervé, p. xxxiv),
interprétation confirmée dans la mesure où le
livre, tout dédié qu’il était au roi, le très
jeune Louis XIII, avait été écrit pour la
« très vertueuse Damoiselle
L.D.P.D. DA », comme nous l’apprend un
sonnet, page xxxix du Panthéon et
Temple des oracles. Emmanuel Louis
Nicolas Viollet-le-Duc (1781-1857), auteur d’un
très consulté Catalogue des livres
composant la bibliothèque poétique de M. Viollet
le Duc, avec
des notes bibliographiques, biographiques et
littéraires… en deux volumes (Paris, Louis
Hachette, 1843-1847) n’aimait pas ce livre.
Commentant l’édition de 1630, il déclare que sur
l’auteur « toutes les biographies gardent
un silence mérité », et que les quatrains
du livre « sont d’une extrême
platitude » (vol. I, n° 1630, p. 434).
Le corps du texte du livre, exception faite de
onze sonnets placés à la fin du livre, est en
effet composé de quatrains, mais pas de
n’importe lesquels ! Et au texte s’ajoutent
trois dés, mais utilisés de façon peu ordinaire.
L’Avertissement au lecteur, par François
d’Hervé, explique : le premier dé, un dé
ordinaire, montrera l’Oracle, c’est-à-dire la
réponse à une question que le joueur pourrait se
poser sur ce qu’il doit faire, ou sur ce qui lui
arrivera ; le deuxième, numéroté par des
chiffres arabes indique la page de l’Oracle où
se trouve la réponse et le troisième, numéroté
avec des chiffres romains, donne la place du
quatrain-réponse.
Ajoutons que les oracles sont différents pour
les hommes et les femmes, puisque les questions
sont souvent liées au sexe de celui ou celle qui
pose une question, aussi les questions des
hommes sont-elles rassemblées dans une
« Table des demandes pour les
hommes », sur les pages de gauche, face au
pages de droite, réservées aux femmes.
Exemples : pour avoir,
côté homme, la réponse à la question « Si on
aura mauvais visage de sa Dame », il faut
aller « à l’oracle d’Ægius, fueillet 74, à
Phœbus, au nombre que [la roüe de Fortune te
donnera] » — ce qui est ici mis entre
crochets remplace le « etc. » du texte
qui dispense l’auteur de répéter la même
expression uniforme. Quant à la roue de la
Fortune, la consulter consistait à jeter un dé.
Réponse de l’Oracle d’Ægius par le truchement du
quatrain Phœbus VI (p. 74) :
Fais ce que tu pourras pour
apaiser son ire,
Car ell’est contre toy faschée extremement,
Elle ne te peut voir d’un bon œil
nullement ;
Je sçay bien pourquoy c’est, mais je ne
l’ose dire. |
Une question de femme : en
réponse à l’interrogation « Lequel de ses
amans elle doit retenir », il lui est
conseillé d’aller « à l’oracle de Pythie,
fueillet 151, à Penelope, au nombre que [la roüe
de Fortune te donnera] ». Réponse de
l’Oracle, page 151 :
Celui des
champs vous est affectionné,
Vous aymez trop celuy de la ville ;
Choisissez donc des
deux le plus utille,
Vous retiendrez
le mieux gauderonné. |
Ajoutons qu’un godron ou
gauderon est « un pli qu’on fait sur
des manchettes empesées ou sur des
fraises » (Furetière), la fraise étant
une « Sorte de collet double et à
godrons qu’on portait au XVIe
siècle et au commencement du
dix-septième » (Littré). Autrement dit,
la joueuse doit choisir celui de ses deux
amants qui manifeste dans ses vêtements une
élégance raffinée parce qu’il lui sera plus
utile qu’un homme des champs.
En guise de conclusion,
relisons un quatrain signé Cleret (page
223), l’avant-dernier de ceux qui occupent
la dernière partie du Panthéon ou Temple
des oracles :
Fais ce que tu pourras pour
apaiser son ire,
Car ell’est contre toy faschée
extremement,
Elle ne te peut voir d’un bon œil
nullement ;
Je sçay bien pourquoy c’est, mais je ne
l’ose dire. |
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