Éditions PLEIN CHANT
Apostilles


  
   Juger les juges d’Alfred de Musset   
  

À propos des Lettres de Dupuis et Cotonet au directeur de la Revue des Deux-Mondes, parues en 1994 chez Plein Chant, dans la collection Anciennetés, 1994.
   

Le futur bibliothécaire Henri Malo (1868-1948) publia dans le numéro de février 1897 (p. 58) de L’Ermitage un article, « Interview d’Alfred de Musset », écrit après la lecture dans un journal de douze interviews de littérateurs contemporains, invités à donner leur sentiment sur Alfred de Musset. Les premiers à être interrogés furent, avait écrit le journaliste, « les jeunes François Coppée et José-Maria de Hérédia » – on rappelle qu’ils sont nés, tous deux, en 1842. Commentaire d’Henri Malo, soulignant le mot jeunes par l’italique : « cela prouve simplement que la science contemporaine et l’hygiène publique ont fait de singuliers progrès et ont considérablement allongé la durée moyenne de la vie humaine ».
Les commentaires d'Henri Malo sur les plus marquants des auteurs interrogés :

  José Maria de Heredia  

« Après avoir sérié et étiqueté Musset dans le second ordre de la catégorie des poètes lyriques, il affirme que sa ‘place est surtout comme auteur dramatique’ ». Puis Heredia place les Nuits tout en bas de sa hiérarchie des œuvres de Musset.

  Georges Rodenbach  

« Il trouve Musset ‘vaniteux, prolixe, et peu artiste’ ». Commentaire d’Henri Malo : « Ne vous semble-t-il pas que pour pousser l’art à une telle perfection, il faut être plus que ‘peu artiste’ ? »

  Robert de Montesquiou  

« Il [Montesquiou] répand sur son style une lueur crépusculaire très proche de l’obscurité complète ». Henri Malo, pour se moquer, cite Montesquiou : « Comme il a pris soin d’écrire sa réponse nous pouvons le citer sans crainte de dénaturer sa pensée. ‘Quelle maturité désenchantée ne lui revint sur le douloureux vol de ses vers les plus ailés, non point les pigeons voyageurs de sa vogue badine, mais les aigles dont les cris le font justement immortel.’Admirez-vous, comme moi, l’ornithologie de cette image ? […] M. de Montesquiou dont les ouvrages semblent destinés au public français, ferait peut-être bien d’employer la langue le plus couramment employée en France, c’est-à-dire le français ».

  Catulle Mendès  

Henri Malo : Catulle Mendès « déclare qu’il n’a pas la prétention d’imposer son opinion à personne : ce en quoi il a raison, car je ne vois pas trop ce qui justifierait ladite prétention ».

  René Maizeroy  

« En disant que les vieilles filles sentimentales et les rhétoriciens de province sont seuls à réciter encore ces vers ‘médiocres et manquant de souffle, qui ne sont que des mots ajoutés à des mots’, M. Maizeroy tient évidemment le langage d’un amant [de la poésie] évincé et dépité ».


En 2014, aucun de ces jugements, mis à part celui d'Heredia, ne paraît satisfaisant, si du moins l'on cherche un jugement sur Musset établi une fois pour toutes. Et qui jugera Henri Malo ? On ne peut qu’approuver ses propos sur Montesquiou – l’exercice de démolition était facile –, mais on mettrait volontiers en question sa propre admiration inconditionnelle pour Musset qu’il prouve en fabriquant une interview imaginaire dont les réponses sont constituées de vers du poète, pris çà et là, après quelques changements opportuns de noms : un centon…

[Henri Malo à Musset] :
  – il est des accusations dont vous devez vous défendre, et lorsque M. Rodenbach prétend que vous imitez Byron…
– Rodenbach vous a dit que j’imitais Byron ?
Vous qui me connaissez, vous savez bien que non.
Je hais comme la mort l’état de plagiaire ;
Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre.
C’est bien peu, je le sais, que d’être homme de bien,
Mais toujours est-il que je n’exhume rien.
[…]


Mais qui se soucie encore d’Henri Malo ?


l

 Lettres de Dupuis et Cotonet aux éditions Plein Chant | Archives d'Apostilles | Accueil