La lecture de la communication de Pierre Alibi,
Le livre
se meurt, le livre est mort,
a suscité une réponse, celle de Martin du Bourg, un
autre mordu du livre.
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MORDU-LIVRE, LIVRE-MORT ? par Martin du Bourg |
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La machine à regarder peut servir à créer une inédite variété d'aveugles. Armand Robin, 1950. |
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Pierre Alibi annonce la mort du livre, mais ne semble le faire qu’à travers celle du livre "de qualité". On le sent inquiet devant la disparition d’une catégorie de lecteurs qu’il considère comme les champions de la lecture vue quelque peu comme un sport. Il faudrait sur ce point délicat consulter Michel Ohl qui institua jadis des concours de lisure.
L’idée de la mort du livre est aujourd’hui partout.
Il y a ceux qui en rêvent, les inconditionnels de la
nouveauté, satisfaits de la mutation du
"livre-papier" vers le "livre numérique". Ce serait
une autre manière de lire, pense-t-on, et ce jusqu’au syndicat
des libraires et éditeurs lui-même qui semble avoir
perdu sa raison d’être. Ce n’est évidemment pas mon
avis, moi qui y vois un développement exponentiel de
la télévision ainsi que l’envisageait dès 1950, au moment de son
apparition, Armand Robin lorsqu’il prophétisait sur
l’aliénation généralisée des cerveaux. Je n’en
citerai que quelques bribes implacablement
parlantes : L’engin à images ne fait, pour
l’instant, que plaire ; mais, si peu qu’on y
réfléchisse et qu’on ait en l’esprit le
conditionnement d’ensemble de cette époque, il est
logiquement appelé à servir de redoutables
opérations de domination mentale à distance ;
il ne se peut pas qu’à travers lui ne soient tentés
des travaux visant à dompter, à magnétiser de loin
des millions et des millions d’hommes ; par
lui, une chape d’hypnose pourrait être télédescendue
sur des peuples entiers de cerveaux, et cela presque
subrepticement, sans que les victimes ne cessent de
se sentir devant d’agréables spectacles. Voilà par amplification mon avis sur le livre numérique et, d’ailleurs, sur tous les autres satellites de la télévision, les tablettes sous toutes leurs formes, les jeux vidéos, et jusqu’au téléphone portable. On me trouvera excessif, je l’espère bien. Je voudrais surtout pousser à la réflexion. Le vrai livre, lui, a encore ses adeptes, fussent-ils pour la plupart plus ou moins avancés en âge, ainsi Pierre Alibi et moi-même. Comme Alibi le remarque clairement, il y a, matériellement parlant, des catégories de lecteurs pour des catégories de livres correspondantes. Lorsque sans bagage scolaire, guidé uniquement par la curiosité, on a fait ses classes de littérature grâce au livre de poche, on ne partage pas tous ses propos quoique l’on se soit parfois indigné du prix des livres dits de luxe et qu’on ait fustigé un auteur essentiel tout à la fois s’y prêtant et refusant de figurer dans les collections populaires. C’est qu’il y avait alors le circuit des livres d’occasion qui, chemin parallèle, permettait d’aller sans cesse de l’avant dans un processus d’auto-culture que l’on pouvait au départ envisager comme infini. Et tout cela, livres de poche et d’occasion, allait se serrer sur la planchette, embryon d’une future et large bibliothèque. Internet a sans doute porté un coup à cette pratique bouquiniste en permettant la spéculation par l’établissement de "cotes" devenant des références pour des vendeurs dont on saisit bien l’inculture en lisant les descriptions qu’ils font des livres qu’ils proposent. Dans cette incommensurable poubelle, où nous sommes aujourd’hui, nous pouvons observer un aspect perturbé de la diffusion livre ; ce n’est pas celui qui signera sa mort.
Il serait sans doute plus efficace de chercher les
vrais ennemis du livre au sommet de l’échelle
technologique, politique et sociale, chez les
manipulateurs de l’économie et de l’industrie, les
fabricants de toutes ces prothèses inutiles évoquées
précédemment et adoptées d’entrée de jeu par une
masse des gens sans perspective intellectuelle,
morale ou spirituelle, ainsi formatés pour une
consommation frénétique de nouveauté, auxquels se
conforme servilement toute la chaîne des
sous-traitants, exécuteurs des basses-œuvres :
éditeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires,
écrivains, dans une soumission, une prostitution
sans cesse renouvelée au grand capital hors duquel
il n’est pour eux point de salut. Je n’implique pas
ici des professions entières dont des franges encore
importantes, mais battues en brèche, sont clairement
du côté de la défense du livre, mais tous ceux qui
tentent grâce à leur puissance de production, à
leurs réseaux de diffusion, à leur capacité
d’information, de promouvoir des produits de
substitution dont l’avenir est assuré en toute
sécurité par la conjonction scientifiquement
organisée de ces éléments. Je n’entrerai pas dans le
détail ; depuis les débuts de l’ère
industrielle, depuis les révolutions sociales
qu’elle a provoquées, depuis Marx et cent autres
penseurs on sait tout cela. Les mécanismes en ont
été montrés et démontés, mais la bête, détentrice de
tous les mirages et de toute la force matérielle de
l’argent, se survit sans cesse à elle-même, étendant
sans retenue son hégémonie…
Alors, quoi ? La petite édition sauvera la
tradition cinq fois séculaire du livre de qualité,
sauf quand elle voudra imiter ou concurrencer les
produits industriels. Elle vivra, car contrairement
à ce que pense Pierre, le prix du papier n’est qu’un
bien faible obstacle à son activité. La diffusion
est son seul problème, tous les autres sont solubles
dans le plaisir, la passion, l’enthousiasme que
procure ce métier. Mais « les livres des petits éditeurs
encombrent les rayons des librairies » déclare
un inculte, haut placé dans une officine ayant
pignon sur rue. Les librairies n’avaient
généralement pas attendu cette injonction voilée
pour ne plus donner place aux livres de ces artistes
et de ces rêveurs dont la survie ne sera assurée que
par l’opiniâtreté de vrais libraires faits du même
bois qu’eux et par le bouche-à-oreille. Il est
important pour tous qu’on se le dise dans les
chaumières et qu’on ne l’oublie pas dans la vie
quotidienne. Martin du Bourg |
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Message de Pierre Alibi, se croisant avec le texte ci-dessus, le 31 décembre au matin :
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