Éditions PLEIN CHANT
Apostilles

Noël Arnaud avait écrit un article sur le poète Louis de Neufgermain, dans le numéro spécial de Bizarre (IV. Avril 1956), consacré aux fous littéraires, qui a suscité, venu de chez Plein Chant, le nouveau texte, ci-dessous.

On peut  retrouver Noël Arnaud aux éditions Plein Chant.

L'Agence Quenaud
(La vie de Jean Queval par un témoin)
roman
Collection La tête reposée

Poésie presque complète
Collection La tête reposée

D'une théorie culinaire suivi des Adevinailles
Bibliothèque Oucuipienne






  
     


Lire ou relire Louis de Neufgermain
Quel poète amateur de jeux de mots a écrit ce quatrain ?

J’ai tant rimé, tant rimonné,
En bat, en tru, en ton, en din,
Sonné sonnets, & sansonné,
Que ma rime tarit soudain.

 Langue au chat ? Louis de Neufgermain (1574-1662), cité deux fois par Boileau – dans la Satire IX, en compagnie de la Serre (Jean Pujet de La Serre, né vers 1600), et seul dans le « Discours sur la Satire » en prose, qui suivait. Chez Boileau, Neufgermain apparaît en auteur méconnu par ses contemporains, puisque ses productions finissaient chez l’épicier qui les employait à emballer le beurre ou à servir de cornet au poivre en grain. Boileau, en effet, craint que ses propres écrits n'aillent, eux aussi, « Suivre chez l’Epicier Neuf-Germain et la Serre ». Dans le « Discours sur la Satire », il cite Voiture qui avait pastiché cruellement Neufgermain et se place une fois encore au côté de la victime, sans pourtant l’apprécier : « [le] celebre Neuf-Germain […] également recommandable par l’antiquité de sa barbe, et par la nouveauté de sa Poésie ».

Quoi qu’il en soit, le quatrain fut publié ; et cela, dans Les Poësies et rencontres du sieur de Neufgermain poëte heteroclite de Monseigneur Frere unique du Roy. Imprimé par commandement de mondict Seigneur (Paris, chez Jacques Jacquin, 1630). Furetière : hétéroclite « Se dit figurément en morale de celui qui ne vit pas comme les autres hommes, qui est bourru et singulier dans ses mœurs, ses habits, ses sentiments. Il est bas en ce sens ».  Raymond Queneau reprendra le terme, par lui transcrit en hétéroclyte (« Defontenay », Bâtons, chiffres et lettres, Gallimard, 1950, p. 179), le jugeant plus approprié que l'expression fou littéraire qui a pourtant seule survécu, grâce à André Blavier.

Le quatrain fait partie de la dédicace « A Monseigneur frere unique du Roy », autrement dit Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Louis de Neufgermain fréquentait l’hôtel de Rambouillet, et faisait partie de l’entourage de Gaston d’Orléans qui avait réuni autour de lui une petite académie, qui rassemblait le baron de Blot (dont Frédéric Lachèvre a publié les chansons dans Les Chansons libertines de Claude de Chouvigny, baron de Blot l'Église… suivies de couplets de ses amis Ch. de Besançon, Condé, Cyrano de Bergerac, Hotman, Carpentier de Marigny, Patris, le chevalier de Rivière, s.l., s.n., 1919), Pierre de Boissac, Tristan L’Hermite, Vaugelas, Voiture, d’autres encore. À côté de cette académie respectable, il y avait le « Conseil de Vauriennerie » dont on retrouvera les membres loués (par Neufgermain), ou louangeurs (de Neufgermain) dans Les Poësies et rencontres.

Aux poésies de Neufgermain sont ajoutées celles de ses amis, des « Vers de diverses sortes. Faicts et composez à la loüange de l’Autheur », souvent d’une distanciation voulue : des adultes consentent à jouer avec un enfant. La page 35 une fois tournée, l’auteur apparaît sous la forme d’un portrait à pleine page, souligné par un distique, où le mot Daimon doit se lire daïmon, le mot grec pour démon, et le mot ars arts, écrit tel pour rimer à l’œil avec Mars.



Voicy le favory de Minerve et de Mars

Et le puissant Daimon des armes et des ars.


Le portrait était dû au gendre de Neufgermain, Pierre Brébiette (1598-1650), peintre du roi – mais il préférait se voir en graveur et il est resté dans l’histoire de l’art pour ses eaux-fortes, dont beaucoup furent consacrées à représenter des satyres. Ici, Neufgermain est dessiné une plume dans la main droite (Minerve), et l’épée au côté gauche (Mars).

S’ensuivent d’autres morceaux, des « louanges par sonnets », cette fois « faits par l’Autheur », avec une pagination à part. À la fin du recueil, on retrouve la qualification de « poète hétéroclite », dans l’Extrait du Privilège : « Par grace & Privilege du Roy, il est permis à Louys de Neufgermain Poëte Heteroclite de Monseigneur Frere unique du Roy : De faire Imprimer par tel Imprimeur que bon luy semblera, un livre intitulé, Les Poësies & rencontre du sieur de Neufgermain, Imprimé par commandement de mondict Seigneur : Et ce pendant le temps de quatre années consecutives ».

Le recueil reparaîtra en 1637, augmenté, sous un titre quelque peu, très peu, modifié : La Seconde partie du livre intitulé les Poësies et rencontres du sieur de Neufgermain, poëte heteroclite de Monseigneur Frere unique de sa Majesté, par commandement de mondit Seigneur,  s.l. Pour Tallemant des Réaux il était le « fou externe de l’hostel de Rambouillet » (« Maistre Claude et autres officiers de l’hostel de Rambouillet », Historiettes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, t. I, p. 543). Sa folie consistait à écrire des pièces en vers dont les rimes étaient faites des syllabes d'un nom propre. Qualifié par la plupart de ses contemporains et les (rares) commentateurs ultérieurs de poète ridicule, de personnage extravagant, grotesque, Neufgermain était le jouet  disait-on, de Gaston d’Orléans et son entourage. « Le  Cardinal de Richelieu, & le Roi même s’amusoient à lui donner des noms dont les syllabes, embarrassantes pour sa méthode, pussent mettre sa tête à l’envers » (Dreux du Radier, Récréations historiques, critiques, morales et d'érudition, Paris, 1767, t. I, p. 54). Il nous apparaît au contraire, sinon en poète, au moins en versificateur inventif, jouant habilement avec mots et rimes, obligé qu'il était d'oublier les rimes conventionnelles.

Exemples :
Prises page 26, deux strophes sur les six qui forment

A Monsieur le Duc de Longueville, les dernieres Syllabes faisans le nom.

Note : le pavi (un mot que l'on écrivait pavie, mais rime oblige) est une sorte de pêche.

Sus entrez, entrez pantalon,
Dansez avec la robbe longue,
D’Ysabelle & Zanis suivi,
Une bargamache gentille,
Devant Monsieur de LONGUEVILLE.

Jambes en l’air, haut le talon,
Plus que pour cueillir une figüe,
Ou pomme, ou poire, ou le pavi,
Cabriolez haut d’une quille,
Devant Monsieur de LONGUEVILLE.

Lorsqu’une seule syllabe formait le nom, le jeu était rendu plus facile, au risque de la monotonie. Voici, p. 59,
A Monsieur le Sec, sur la derniere Syllabe du nom.

En la ruë de l’Arbre sec,
Je marchandois un jeu d’échec,
Chez le compere Disnesec,
Quand j’avisay un Turc ou Grec,
Qui me salu’ Salamalec,
Je le priay rimant en sec,
A disner d’un petit halec,
Dont le nom terminé en dec,
Me semble estre Melchisedec,
Et qu’il chantast sur le rebec,
Ayant bonne voix & bon bec,
Encor qu’il fut & maigre et sec,
Les vertus de Monsieur le SEC.

Si deux syllabes composaient le nom, Neufgermain pouvait se donner la liberté de rimer sur la seule dernière syllabe, ainsi p. 63, où Balsac est Jean-Louis Guez de Balzac (1595-1654)  :

A Monsieur de Boissac, sur la derniere Syllabe du nom.

[…]
Rencontrant n’est rien tel, que d’avoir pot en sac,
De pistolles d’escus voire plein un bissac,
Mais je loüe en vous seul plus docte qu’un Balsac,
Plus courageux que Mars, tout nom finy en sac,
Fut-il du temps jadis de Jacob & d’Ysac,
Et pour l’amour de vous je mets encore Misac,
Si fort vous esclattez tres-excellent BOISSAC.

Si l'on ne connaît plus Neufgermain, on ignore généralement, de nos jours, qui était Monsieur de Boissac. En lisant Pierre de Boissat et le mouvement littéraire en Dauphiné (Grenoble, 1900), par Camille Latreille, on apprend son "vrai" nom, Boissat, et qu'il fut lieutenant général des armées du roi en même temps que poète ami de Théophile de Viau. Richelieu le choisira pour académicien, en même temps que Vaugelas et Voiture. Boissac-Boissat, donc, se montrait fort éloquent au sujet de son ami. Dans la première partie (p. 19) il lui consacre un quatrain, intitulé Anagramme. Neufgermain Germain Neuf.
On rappelle que Pollux était né d'un œuf, tout comme son aîné, Castor.

Un jour le beau Pollux, querelant son ayné,
Luy jette dans le front la quoquille d’un œuf,
Qui luy dit en jurant, tu es mal fortuné,
Parce qu’en Neufgermain, je trouve Germain neuf.

Neufgermain lui répondra dans la dernière partie (p. 17-20) par une Ballade faicte en louange de Monsieur de Boissac faisant responce aux vers qu’il a faicts en faveur du sieur de Neufgermain d’où l’on extrait ces deux strophes :

Le corps loüé pour faire mieus,
De mon nom fait anathomie,
Y trouvant germe & jaulne d’œus,
Qu’il accommode à fantaisie,
Trois drachmes d’ethimologie,
Et le tout ensemble fort bon,
Meslé de præceptorerie,
Pour chanter Boissac & son nom.

Il trouve encore Germain Neuf,
Soit nom de garçon ou de fille,
Tirant ainsi de neuf un œuf,
Pour tondre dessus la coquille,
De Neufgermain consent qu’on grille,
Ce Germain Neuf comme un oyson,
Car d’un nom plus beau luit & brille,
Pour chanter Boissac & son nom.

Neufgermain, tout intéressant qu'il puisse nous apparaître, ne doit cependant pas être tenu pour un génie, car selon Émile Magne (Voiture et les origines de l’hôtel de Rambouillet, Paris, Mercure de France, 1911, p. 116), la trouvaille du principe de placer les syllabes des noms en fin de vers, analogue à celui qui régit les bouts rimés, résultait de la collaboration de Neufgermain et du marquis de Rambouillet.




Accueil | Archives d'Apostilles