Éditions PLEIN CHANT
Apostilles



Encore un tableau de Paris, par Charles Henrion, p. 19.

Chapitre VI.
Couplets. Couplets d'annonce.


Je ne sais si ce siècle est le siècle des poëtes ; mais à coup sûr il n'a jamais paru tant de recueils lyriques qu'il en paroît cette année à Paris. L'Almanach des Muses a fait naître mille almanachs : on seroit bien embarrassé de décider si c'est le goût du chant ou de la danse qui a le plus gagné chez nous ; peut-être ces deux arts sont-ils tellement liés, que les progrès de l'un entraînent nécessairement le succès de l'autre, et nos trente recueils de chansons sont sans doute le fruit de nos deux cent soixante-sept bals, depuis celui de Mousseaux, où l'on se promène en voiture, jusques et compris celui de la pointe S. Eustache, où on entre en sabots. En forgeant, on devient forgeron, dit un vieux proverbe ; aussi nos couplets ne ressemblent-ils plus aux couplets de ce qu'on appelle le bon vieux tems, qui n'auroit point cette épithète, si on rendoit plus de justice à celui où nous vivons. Favart fut le premier qui plaça le madrigal dans les deux derniers vers ; Barré et Piis y mirent après lui l'épigramme, et cela s'appelle le coup de fouet. A présent le calembourg et le jeu de mots sont également admis, et les oreilles, déchirées par les pointes, n'entendent plus un couplet qui finit par un bouquet de roses : Léger appelle cela le gros poivre ; il en a mis dans la Revue de l'an 6, et cette pièce a été le type des couplets à l'eau-forte. Ce goût n'est que dans l'esprit du spectateur ; le genre sentimental est dans son cœur. Le premier bon vaudeville qui paroîtra en madrigaux, ramènera le goût de la galanterie, et la galanterie nous fera remonter vers le sentiment d'urbanité qui distinguera la grande nation.

Si un libraire actif vouloit faire tomber la vogue des éditeurs d’Etrennes Mignones, il n'auroit qu'à faire paroître un recueil des couplets d'annonce chantés au Vaudeville depuis son établissement ; celui-là contiendroit plus d'esprit que tous les autres ensemble, et deviendroit un livre élémentaire dans l'art du couplet, qui serviroit utilement aux annales de ce théâtre, et qui seroit la chronique la plus exacte des pièces qui y ont paru.


NOTE

La Revue de l'an 6 désigne Il faut un état, ou la revue de l'an six, proverbe en un acte, en prose, et en vaudevilles, par les CC. [citoyens] Léger [François-Pierre-Auguste L.], Chazet [René de Ch.] et Buhan [Jean-Michel Pascal B.], Paris, chez le Libraire au Théâtre du Vaudeville, an VII [1798].

Un marchand de draps, Dupont, cherche à marier sa fille, Félicité, qui aime Duval et est aimée de lui. Duval est à son aise mais, sans état, il s’occupe en jouant la comédie dans les salons. Refroidi par cette oisiveté de mauvais augure, Dupont met une petite annonce – en vers – dans les journaux pour proposer sa fille en mariage. Six prétendants se déclarent, un imprimeur-libraire, un prêteur sur gage, un marchand parfumeur, de plus frère d’une marchande de modes, un artificier pour fêtes champêtres et rimeur, un portraitiste, un diseur de bonne aventure. On apprend alors que Duval a joué le rôle des six prétendants – six prétendants durant « l’an six » – tandis que chacune des professions a été égratignée, en chanson, pour la plus grande joie, imagine-t-on, des spectateurs. Vaincu, Dupont accepte Duval pour gendre, lui promettant, afin qu'il ait un emploi stable, de le présenter au directeur du Vaudeville.


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