Éditions PLEIN CHANT
Apostilles

24 mai 2015

Nodier, dans sa Bibliographie des fous, que l'on peut lire ou relire dans Histoire littéraire des fous, par Octave Delepierre, avec des écrits sur ce thème par Charles Nodier, Louis Greil, Jules Andrieu, Gabriel Hécart, etc. (Bassac, Plein Chant, 2015)  consacre quelques pages (p. 18-24) à Bernard de Bluet d'Arbères (1566-1606), qui s'était baptisé comte de Permission. Édouard Fournier, au tome VIII des Variétés historiques et littéraires de la Bibliothèque elzévirienne  (Paris, P. Jannet, 1857), dans une note pour "La surprise et fustigation d'Angoulvent, poëme heroïque addressé au Comte de Permission par l'Archipoëte des pois pilez", ajoutera quelques détails à l'image assez dévalorisante de Bluet d'Arbères donnée par  Nodier. Son défaut ? Il n’était pas assez, ou pas vraiment, fou.


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Bernard de Bluet d'Arbères

fut-il un fou littéraire ?






         

Bluet d'Arbères, c'est-à-dire natif d'Arbères, dans le pays de Gex, se disant comte de Permission, est l’un des plus étranges fous de ce temps-là, mais fou aussi peu désintéressé que maître Guillaume [fou de Henri IV et de Louis XIII], par exemple, et se faisant, comme lui, un gagne-pain de sa folie. Il avoit d'abord été charron, et, dit l’Estoille, « montoit en Savoie l’artillerie du duc, où on disoit qu'il se connoissoit fort bien ». Lassé de ce métier, il vint à Paris, peut-être avec mission secrète d'espion, car on étoit en guerre avec M. de Savoie, et de ce fol rien ne m'étonneroit. Le fait est qu’il s'installa au centre des nouvelles, sur le Pont-Neuf, et se fit à sa manière le courtisan de tous ceux de qui l'on pouvoit recevoir ou apprendre quelque chose. Pour se donner une contenance ou un prétexte de gueuserie, il fit de petits livres, « quoiqu’il ne sçût ny lire ny escrire, et n'y eût jamais apprins », comme il le dit dans l’lnstitution et recueil de toutes ses œuvres. Je n’entrerai point dans le détail de ces livrets extravagants, illustrés de figures plus bizarres que le texte même. Ils n’intéressent que les bibliophiles ; et tous, soit qu'ils les aient achetés à prix d'or, soit qu'ils aient dû se contenter de les envier, savent à quoi s'en tenir sur leur compte. Ce sont des oraisons, des sentences, des prophéties, le tout on ne peut plus amphigourique. Il en publia un recueil in-12 en 1600, avec dédicace à Henri IV. Il ne s’y contente pas du titre de comte de Permission, il y prend celui de chevalier des Ligues des XIII cantons suisses. Ses folies imprimées n'alloient pas à moins de 180 livrets ou morceaux numérotés. On n'en connoît guère que 107, y compris les livres 104, 113, 141 et 173, retrouvés depuis vingt ans à peu près, et la dernière pièce : Le Tombeau et Testament de feu Bern. de Bluet d'Arbères, dédié à l’ombre du prince de Mandoy, par ceux de la vieille Academie, 1606, in-8. La bibliothèque Sainte-Geneviève possède l'un des exemplaires les plus complets. Le recueil des 107 livrets connus n'est entre les mains d’aucun des plus riches bibliophiles, et c'est un de leurs grands chagrins. J'ai vu l'une des plus rares et des plus curieuses pièces dans le cabinet de M. Le Roux de Lincy. Elle sert de supplément à la 61e, et commence par : Libéralités que j’ai reçues. On y voit comment M. de Créqui a donné au comte de Permission « quatre écus et demi en cinq fois » ; comment il reçut de Jacques Le Roy « deux escus et une rame de papier » ; de Mme d'Entragues, une bague de grande valeur ; de M. de Beauvais-Nangy, un bas de chausse de soie ; de Mme de Payenne (de Poyane ?), une aune de toile blanche pour faire des rabats ; du duc de Nemours, « la fleur de ses amis », douze ducats, dont il se fit faire un superbe habit de frise noire. Le roi n’est pas oublié parmi ces bienfaiteurs : il donne cent livres de gages à Bluet d'Arbères, puis une chaîne d’or de cent écus, et, de plus, trois cent quarante écus en diverses fois. Qu'il seroit curieux, après cela, que le comte de Permission eût été un espion du duc de Savoie ! Ce qui est à peu près assuré, ce dont tout le monde convient, même l’Estoille (Journal de Henri IV, 25 août 1603), c’est qu'il étoit beaucoup moins fou qu'il ne vouloit le paroître. Il eut tout au moins le bon sens d'économiser les profits de son extravagance. Un beau jour, tout compte fait, en additionnant jusqu'aux plus menus objets, « la bouteille d'huile que M. Cenamy lui avoit donnée pour sa salade », les mille chateries que lui prodiguoit Mme de Conti, etc., il se trouva qu'il n'avoit pas récolté moins de quatre mille écus. À trente ans de là, comme le remarque Nodier dans son curieux article sur Bluet d'Arbères (Bulletin du bibliophile, nov. 1835, p. 32, etc.), Corneille ne gagna pas tant avec le Cid, Horace et Cinna !


         
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