Éditions PLEIN CHANT

A p o s t i l l e s

  16 novembre 2015

La goguette & les goguettiers,
étude parisienne par Eugène Imbert…,
Glossaire-Index par Jean-Michel Bourgeois.
2 volumes à pagination continue (697 pages).


La chanteuse de café-concert Thérésa est plusieurs fois citée dans les textes recueillis sous le titre général La Goguette et les Goguettiers, par Eugène Imbert (Bassac, Plein Chant, 2013). Voici une de ses chansons, telle qu'on peut la lire dans Thérésa et ses chansons, 4e édition, s.d. [1866] (Paris, Le Bailly, p. 55).

Barbey d'Aurevilly appréciait Thérésa et le fit savoir dans un texte daté du 14 novembre 1868, reparu dans
Les Vieilles Actrices. Le Musée des Antiques, Paris, Librairie des auteurs modernes, 1884, pages 22-25. On le donne à la suite de la chanson.

  

J’SOMM’S

TROP PRÈS DES MAISONS
Naïveté villageoise.

Paroles de TURPIN DE SANSAY, musique de A. de VILLEBICHOT


    

Où donc tu vas, ma gross'Cath'rine,
Drûment flanqué' sur tes sabiots ?
N'vas-tu point à la vill' voisine,
Vendre tes douzain's d'escargots ?
Si t'es gêné' d'ton attifage,
Veux-tu que j't'en débarrassions ?…
Pour êtr' fatigué' d'mon bagage, (bis)
Colas, Colas, j'somm's trop près des maisons ! (bis)

N' pass's point, Cath'rin', par la grand' route,
Puisque je suis l'mêm' chemin que toi ;
Prenons l'sentier du pré Lagoutte,
On peut y marcher comm' chez soi,
Eh ! mais t'as d'l'eau jusqu'à la ch'ville,
Cath'rin' veux-tu que j'te portions ?…
– L'eau clair' rend fraîche une jeun'fille, (bis)
Colas, Colas, j'somm's trop près des maisons ! (bis)

Pos' là ton panier de p'tit's bêtes
Et causons un brin d'sentiment.
T'auras dix-sept ans aux noisettes,
Ton cœur n'fait-y point rantamplan ?
À ta vertu faut mettr' des bornes,
Dis, veux-tu que j'te courtisions ?…
– V'la qu'mes escargots font les cornes, (bis)
Colas, Colas, j'somm's trop près des maisons ! (bis)

Cath'rine entends-tu dans les saules
Pierret's et pierrots roucouler…
Moi ça m'démang' dans les épaules,
Et toi ça t'fait-y point rêver !…
Pour êtr' savant' comm' père et mère
Veux-tu qu'un brin j'te taquinions ?…
– L'amour demand' plus [qu'ça d'mystère, (bis)
Colas, Colas, j’somm’s trop près des maisons ! (bis)






THÉRÉSA
par Jules Barbey d'Aurevilly


Ce n'était pas Mimi Pinson, ce n'était pas Suzon, c'était plus que Suzon, c'était, en une seule, toutes les Suzons de la terre ; c'était encore plus que m'amzelle Vadé, que Mlle Désaugiers ; c'était la Nourrice, c'était la Femme à barbe, — des horreurs nouvelles ! mais il fallait bien faire des sacrifices au temps gâté par Offenbach ! Seulement, au milieu des gargouillades et des poissarderies que Vadé lui aurait peut-être pardonnées encore, il y avait Thérésa ! Il y avait, au fond, la fleur d'art qui s'appelle Thérésa et qui se mit à éclater, comme un cactus superbe ! O vous qui me lisez, vous en souvenez- vous ?… Thérésa, c'était l'instinct à sa plus haute puissance. D'où sortait-elle ?… Les légendes plurent de partout sur cette fille inconnue, qui semait à poignées des gaietés au gros sel dans l'âme d'un public qu'on ne faisait plus pétiller, et qui réveillait, par je ne sais quel chic, les imaginations blasées. Cet étrange talent, qui chantait la chanson populaire comme Rachel jouait la tragédie et qui prononçait, ma foi, aussi bien les pocharderies de Frébault que Rachel les vers de Racine, on la fit, comme Rachel, sortir de la noire misère et de la noire obscurité. On voulut à toute force qu'elle fût une bohémienne de la rue, qui à la Maison d'Or, un soir, avait été payée d'une chanson par un ivrogne lucide encore, lequel lui tassa cent francs en pièces d'or dans un verre à Champagne, et qui lui dit : « Bois cela, fillette ! » C'était joli, comme si cela n'eût pas été vrai, mais il paraît que c'était faux. Ce n'est que depuis qu'elle a bu de l'or dans les verres à Champagne, cette Erigone de la chanson, que cela n'enivre pas, et qui n'en reste pas moins bonne fille ! Où donc avait-elle commencé ?… Avait-elle même commencé ?… Talent prodigieux d'expression franche, comment l'expression lui était-elle passée (qui saura jamais ces mystères ?) de son âme gaie, dans son organe alerte et sonore ?… Plus forte que toutes les méthodes, levant sa robe et franchissant toutes les difficultés, comme Lazzara passait les ruisseaux (le vers d’Hugo) :

« Elle lève sa robe et passe les ruisseaux ! »

elle s'est peut-être contentée d'ouvrir la bouche et elle a chanté. J'ai ouï dire qu'elle ne savait pas, ô bénédiction ! un mot de musique, mais sa justesse d'organes lui fait deviner tout. Peut-être, depuis Garat, ce rossignol des salons où dansait Trénis, et qui chantait aussi sans avoir appris, mais sur un autre ton, n'a-t-on rien vu de plus nature, — de plus fieffé nature que Thérésa ? Thérésa n'est point une cantatrice, cette vulgarité travaillée, labourée, obtenue à tout prix et qui sue d'ahan, qu'on nomme cantatrice, — non, ce n'est pas cela, mais une chanteuse qui chante en triple accord avec ses sens, son esprit et son âme, une rareté infiniment rare, car voyez combien dans Paris, à cette heure, où tout foisonne de gens qui chantent à s'en casser toutes les chanterelles, vous pouvez compter de Thérésa !




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