Ce
n'était pas Mimi Pinson, ce n'était pas
Suzon, c'était plus que Suzon, c'était, en
une seule, toutes les Suzons de la
terre ; c'était encore plus que
m'amzelle Vadé, que Mlle
Désaugiers ; c'était la Nourrice, c'était la
Femme
à barbe, — des
horreurs nouvelles ! mais il
fallait bien faire des sacrifices au
temps gâté par Offenbach !
Seulement, au milieu des gargouillades
et des poissarderies que Vadé lui aurait
peut-être pardonnées encore, il y avait
Thérésa ! Il y avait, au fond, la
fleur d'art qui s'appelle Thérésa et qui
se mit à éclater, comme un cactus
superbe ! O vous qui me lisez, vous
en souvenez- vous ?… Thérésa,
c'était l'instinct à sa plus haute
puissance. D'où sortait-elle ?… Les
légendes plurent de partout sur cette
fille inconnue, qui semait à poignées
des gaietés au gros sel dans l'âme d'un
public qu'on ne faisait plus pétiller,
et qui réveillait, par je ne sais quel
chic, les imaginations blasées. Cet
étrange talent, qui chantait la chanson
populaire comme Rachel jouait la
tragédie et qui prononçait, ma foi,
aussi bien les pocharderies de Frébault
que Rachel les vers de Racine, on la
fit, comme Rachel, sortir de la noire
misère et de la noire obscurité. On
voulut à toute force qu'elle fût une
bohémienne de la rue, qui à la Maison
d'Or, un soir, avait été payée d'une
chanson par un ivrogne lucide encore,
lequel lui tassa cent francs en pièces
d'or dans un verre à Champagne, et qui
lui dit : « Bois cela,
fillette ! » C'était joli,
comme si cela n'eût pas été vrai, mais
il paraît que c'était faux. Ce n'est que
depuis qu'elle a bu de l'or dans les
verres à Champagne, cette Erigone de la
chanson, que cela n'enivre pas, et qui
n'en reste pas moins bonne fille !
Où donc avait-elle commencé ?…
Avait-elle même commencé ?… Talent
prodigieux d'expression franche, comment
l'expression lui était-elle passée (qui
saura jamais ces mystères ?) de son
âme gaie, dans son organe alerte et
sonore ?… Plus forte que toutes les
méthodes, levant sa robe et franchissant
toutes les difficultés, comme Lazzara
passait les ruisseaux (le vers
d’Hugo) :
« Elle
lève sa robe et passe les
ruisseaux ! »
elle
s'est peut-être contentée d'ouvrir la
bouche et elle a chanté. J'ai ouï dire
qu'elle ne savait pas, ô
bénédiction ! un mot de musique, mais
sa justesse d'organes lui fait deviner
tout. Peut-être, depuis Garat, ce
rossignol des salons où dansait Trénis, et
qui chantait aussi sans avoir appris, mais
sur un autre ton, n'a-t-on rien vu de plus
nature, — de plus fieffé
nature que
Thérésa ? Thérésa n'est point une
cantatrice, cette vulgarité travaillée,
labourée, obtenue à tout prix et qui sue
d'ahan, qu'on nomme cantatrice, — non,
ce n'est pas cela, mais une chanteuse
qui chante en triple accord avec ses
sens, son esprit et son âme, une rareté
infiniment rare, car voyez combien dans
Paris, à cette heure, où tout foisonne
de gens qui chantent à s'en casser
toutes les chanterelles, vous pouvez
compter de Thérésa !
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