Éditions PLEIN CHANT

A p o s t i l l e s

 
13 mars 2016

  
Une  bibliothèque de grisette
  

Eugène IMBERT
(et alii)

La Goguette & les Goguettiers
Étude parisienne

Glossaire-Index
par Jean-Michel Bourgeois

2 vol. à pagination suivie.




Bassac, Plein Chant
2013
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Charles Monselet a consacré, dans Figurines parisiennes (Paris, Jules Dagneau, 1854, réimpression Tusson,  Du Lérot, 1990), un chapitre à Une bibliothèque de grisette. Le texte s'ouvre sur le nom d'Émile Debreaux, plus exactement Émile Debraux, sur lequel on trouve dans le Glossaire-Index de La Goguette et les Goguettiers, par Eugène Imbert (et alii), une notice redonnée ci-dessous, à la suite du texte de Monselet.




Emile Debreaux, qui fut le Gentil-Bernard des grisettes, a fait une chanson intitulée : Ne montez pas chez elles. Dans cette chanson, notée sur l'air de la Catacoua, il décrit le désordre pittoresque de leur ameublement et rit tant qu'il peut des loques éparpillées, des corsets errants, des bas qui sèchent sur des ficelles, des carafes qui implorent les coquilles d'œufs purificatrices. Il n'oublie qu'un trait : il ne parle pas de la bibliothèque des grisettes, une des choses qui provoquent le plus l'étonnement et l'hilarité.

Cette bibliothèque est une dans toutes les mansardes. Elle se compose invariablement d'Hippolyte, comte de Douglas, de Maria ou l'Enfant de l'infortune, — et d'un Almanach des Amours ou Almanach de la Closerie des Lilas, je ne sais plus lequel, mais il est reconnaissable par un frontispice colorié représentant des étudiants en béret qui portent triomphalement sur leurs bras une grisette, agitant en l'air une queue de billard. Sur le devant, on aperçoit un symbolique Béranger, recourbé par en haut comme une canne, et regardant passer le joyeux cortège avec un sourire — très-mal venu sur la pierre lithographique.

Le même almanach contient presque toujours des fragments poétiques de Privat, tel que l'hymne célèbre où se rencontrent ces deux vers rimés avec une rare fierté :

Le boulevard où l'on coudoie
La jeune fille au long cou d'oie.

La bibliothèque des grisettes a ses éditeurs particuliers et ses auteurs spéciaux. Parmi les premiers, Renault et Krabbe sont ceux dont le commerce est le plus considérable ; ils font refaire, en falsifiant le titre, les œuvres à succès que les petits lecteurs n'ont pas les moyens d'acheter ni même de louer. C'est ainsi qu'on peut se procurer chez eux pour six sous l’Histoire du fameux comte de Monte-Cristo et de ses trésors, les Aventures de d'Artagnan et de ses trois compagnons, Mathilde ou l'Innocence d'une jeune femme, les Mystères de la Tour de Nesle, etc., etc.

Je croyais, jusqu'à présent, qu'il n'y avait qu’un seul nom pour désigner ce trafic : contrefaçon. Il paraît que les libraires susdits, en ont trouvé un autre, qui est : réduction.

En dehors de ces réductions, on ne distingue pas un grand nombre de romans inédits, dans le sens absolu du mot. La vogue est toujours aux Amours d'une jeune servante et d'un soldat français. Dans ce genre, Pécatier et Picquenard n'ont pas encore rencontré de rivaux.

N'oublions pas de mentionner, au milieu de cette nomenclature, un minime bouquin, épais et carré, — de la forme d'un pavé vu au petit bout d'une lorgnette, — ayant pour titre : la Goguette de Lilliput, et orné des trois profils de Piron, de Gallet et de Collé. C'est un recueil de vieilles chansons grivoises qui menacent de se perpétuer à travers les siècles, en ramenant toujours le même sourire sur l’air de Turlurette, et le même clignement d'yeux à propos du refrain : Eh bien !… Vous m'entendez bien.

Mais de tous les livres affectionnés par les grisettes, celui que vous êtes le plus certain de rencontrer au fond de la corbeille à ouvrage, à côté du jeu de cartes traditionnel, du dé à coudre et de l'œuf en bois qui sert à repriser les bas, le livre le plus consulté et partant le plus recroquevillé à ses angles, celui qu'on s'empresse d'ouvrir au saut du lit, lorsqu'on est à jeun, — sur lequel on médite avec délices ou que l'on rejette avec dépit ; le confident, le conseiller, l'écho, c'est le livre intitulé diversement : la Clef des Songes, — l’Oracle des Dames et des Demoiselles, — la Voix du Destin, — l’Urne magique — ou la Sibylle couleur de rose.

C'est en feuilletant un livre semblable, écrit par les farceurs les plus naïfs, qu'on peut se rendre compte, mieux que par la lecture de Senancour et des romans esthétiques, de tout ce que l'âme d'une femme contient de faiblesse, de crainte, d'illogisme, d'irrésolution et de folies. […]

Charles Monselet







Debraux (Émile), 1796-1831.

Fils d'un huissier chez un juge de paix, ses biographes s'accordent sur le fait qu'il fut élève du lycée impérial et qu'il occupa de façon épisodique de 1816 à 1826 les fonctions de secrétaire dans les bureaux de la faculté de médecine. Ce qui n'est pas douteux c'est que, selon l'expression de Béranger, Debraux « régna sur les goguettes » de son époque. En 1818, sa chanson la Colonne lui procure une célébrité immédiate dans une société nostalgique de l'épopée napoléonienne. Condamné en 1823 pour son recueil le Nouvel enfant de la goguette, il fréquente un mois la prison de Sainte-Pélagie où il adhère à une curieuse goguette, la Société des Biberons, composée des poètes incarcérés et qui publiera en 1825 un volume de chansons sous le titre de la Marotte de Sainte-Pélagie. Outre son œuvre chansonnière qui connut de multiples éditions, Debraux a donné Voyage à Sainte-Pélagie, 1823, 2 vol. ; la France au tombeau du général Foy, 1825 ; Biographie des souverains du XIXe siècle, 1826 ; les Barricades de 1830, scènes historiques
, 1830, etc.

Jean-Michel Bourgeois




Un autre point de vue sur les lectures de la grisette, dans la Physiologie de la grisette, par Louis Huart.



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