Éditions PLEIN CHANT

APOSTILLES



THÉÂTRE DU FIGARO


Théâtre du Figaro (Paris, Ferdinand Sartorius), 1861, rassemblait des articles de Monselet, publiés dans le Figaro, alors un petit journal. Le dernier de ces articles, doux-amer, « Comme quoi l'homme de lettres Bourgoin renonça définitivement à écrire des chefs-d’œuvre », mettait en scène l'infortuné Bourgoin une image fantasmée de Monselet journaliste que citera Sainte-Beuve à la fin de son article. 


Frontispice d'après Ch. Voillemot.

OUVERTURE
(par Ch. Monselet)

Vers ce temps-là, il y avait un petit journal intitulé Figaro. On le qualifiait de petit journal parce qu’il était aussi grand que les autres et qu'il s'occupait des questions les plus importantes, telles que la propagation de la gaieté en France, l'élève de l'humour, la culture du plaisir. Dans ce journal, on voulut bien me permettre d'installer une baraque en toile rayée et d'y donner, tous les huit ou quinze jours, une représentation de marionnettes. Il en est résulté une sorte de répertoire dont je détache aujourd'hui quelques fragments. Ces petites compositions, dont l’actualité fait presque tous les frais, improvisations, placées entre l'article et le vaudeville, dialogues de dix minutes, facéties écrites après déjeuner, portraits grands comme l'ongle, vont perdre beaucoup sans doute à leur réimpression en volume. Qu'y faire ? C'est le sort commun aux études de mœurs prises un peu trop sur le vif et sur le nu, fidèles jusqu'à l'outrance, techniques jusqu'au jargon. Ce qui semble devoir les faire vivre est au contraire ce qui contribue le plus promptement à les faire oublier. Elles ont une vitalité prodigieuse, mais pendant vingt-quatre heures seulement ; ce sont les éphémères de la littérature parisienne.

Je me souhaite à tous les points de vue de relire dans trente ans mon Théâtre du Figaro. Ce sera alors un livre passablement étrange. Le mot exorbitant de la veille sera devenu le mot usuel du lendemain ; la plaisanterie sortie armée et pimpante de mon cerveau aura traîné devant toutes les boîtes de souffleurs ; mon opinion personnelle sur un confrère sera l'opinion de tout le monde. J'étais un paroxyste, je ne serai plus qu'un enragé de modéré ; je m'étais endormi Cyrano de Bergerac, je me réveillerai la Palice.

Heureusement pour les livres de cette sorte il reste les curieux et les bibliophiles, qui arrivent lorsque le public est parti. Il leur suffit, à eux, d'un mot, d'un trait, pour sauvegarder un volume ; ce sont de ces gens qui s'arrêtent rêveurs, pendant une demi-journée, devant une gravure de modes, et qui se surprennent de temps en temps à relire l'Ermite de la Chaussée-d'Antin. Je les ai toujours en vue quand j'écris.


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