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Les habitués du Palais-Royal, sous la
Seconde Restauration, connaissaient tous
Chodruc-Duclos, ce clochard (comme on ne disait pas
encore; le mot date de 1895) qui arpentait les
allées du jardin en solitaire, vêtu de vêtements en
loques, portant un chapeau de castor cabossé,
chaussé de semelles attachées par des cordons quelle
que fût la température. On venait de province pour
le voir… Cet homme transformé en attraction ne
pouvait pas ne pas inspirer les chroniqueurs. En
1829 parut L’Homme
à la longue barbe. Précis sur la vie et les
aventures de Chodruc Duclos, suivi de ses lettres
; orné du portrait de ce personnage mystérieux et
d’un fac-similé de son écriture (Paris, Au
Palais-Royal, chez les marchands de nouveautés; 78
p.), par MM. E. et A. (Édouard d’Eliçagaray et
Auguste Amic), une brochure élogieuse, d’inspiration
royaliste. Suivit un petit format (14,5 x 9) de 126
pages, par Jean-Baptiste Ambs-Dalès (1802-1857): Histoire véritable et
complète de Chodruc-Duclos, surnommé l’homme aux
haillons et à la longue barbe, du Palais-Royal.
Contenant sa vie, ses aventures, ses amours…
suivie d’une complainte sur ce Diogène moderne
(Paris, chez les libraires du Palais-Royal, et les
marchands de nouveautés, 1830), dont l’auteur, un
goguettier, faisait suivre sa mini-biographie de la
complainte annoncée dans le titre, composée par
lui-même sous le pseudonyme de Luc-Marie-Roch
Jovial, huissier-chansonnier; il mettait en chanson
une audience où Chodruc-Duclos comparut devant la
sixième chambre du tribunal correctionnel de Paris,
le 30 décembre 1828, et fut condamné à quinze jours
de prison pour outrage public à la pudeur car, ses
haillons se dégradant au fil du temps, les
promeneurs du Palais-Royal pouvaient entrapercevoir
ce que la loi ordonnait de voiler en public.
Chodruc-Duclos mourut en 1842; peu après sa mort
parurent deux volumes de Mémoires de Chodruc-Duclos recueillis
et publiés par J[acques] Arago et Édouard Gouin
(Paris, Dolin, Libraire-commissionnaire,
1843), en réalité des mémoires apocryphes, où
les auteurs parlaient au nom de Duclos. «Toute une
vaste époque finissait quand je commençai la
mienne», ainsi débute le deuxième chapitre, intitulé
« Chez moi ». Ces mémoires très romancés, se
révèlent, en dernière analyse, plus intéressants par
le style de l’auteur principal, l’explorateur
Jacques Arago (l’un des frères de l’astronome
François A. et d’Étienne A., fondateur avec Maurice
Alhoy du premier
Figaro et en 1829, directeur du théâtre du
Vaudeville) que par ce que l’on apprendrait sur
Duclos. Ce livre, par sa structure non linéaire,
dont on ne sait si elle est l’effet d’un savant
désordre ou d’une accumulation au hasard
d’historiettes variées et de considérations
générales mises au compte de Duclos et par son style
boursouflé et emphatique, non dénué d’un certain
souffle, mériterait une étude particulière sur
Jacques Arago. Cet auteur, en effet tirait dans
toutes les directions, sans jamais parvenir à
émerger : pourquoi ? Auteur prolixe en des genres
divers, il paraît être allé d’un contraire à
l’autre, écrivant (avec un collaborateur, il
est vrai) les deux tomes de Mémoires apocryphes
et, à l’opposé, un Voyage autour du monde sans la lettre A,
une brochure de 33 pages tirée à petit nombre, en
effet rédigée sans qu’y paraisse la moindre panse d’a. Jacques
Arago avait vécu à Bordeaux de 1823 à 1828, il a pu
recueillir les souvenirs de ceux qui se souvenaient
- et ils devaient être nombreux - d’Émile Duclos;
sans aucun doute, il les a enjolivés, et sans aucun
doute il les a augmentés d’inventions de son cru,
par exemple celle d’une femme déguisée en corsaire
rencontrée par Duclos sur un bateau, tous deux
amoureux l’un de l’autre, cela va de soi; de même,
on ne sait s’il faut prendre pour argent comptant
une rencontre entre Chodruc-Duclos et Hégésippe
Moreau (t. II, ch. XXIII); reste que le livre se lit
avec plaisir.
Ajoutons à cette bibliographie des écrits annexes :
Anaïs Ségalas écrivit un poème en quatre pages, «Les
deux Chodruc-Duclos», recueilli dans Les Oiseaux de passage (Paris,
Moutardier, 1837, p. 185 et suiv.) et cité à la
fin du deuxième tome des Mémoires de Chodruc-Duclos. Nodier
avait rencontré (aurait rencontré…) notre héros en
prison et le mentionne dans les Souvenirs de la
Révolution et de l’Empire; Alexandre Dumas
lui consacre un chapitre de Mes Mémoires; Charles Yriarte donna
une synthèse de ce qui fut écrit sur le personnage
dans Paris
grotesque. Les célébrités de la rue. Paris
(1815-1863), nouvelle édition (la première
parue en 1864) augmentée de sept types nouveaux
(Paris, Dentu, 1868). On cite pour mémoire un
mélodrame représenté à la Gaîté, le 29 juin 1850, dû à
Alphonse Royer, Gustave Vaez et Michel Delaporte: Chodruc-Duclos ou
l’homme à la longue-barbe, dans lequel
Chodruc-Duclos est présenté en ultra royaliste, ce
qu’il était, et en père d’une fille naturelle qu’il
n’a, sans doute, jamais eue.
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