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Un chef de
claque, Jules Lan, écrivit ses mémoires. Le livre parut
en 1883, à la Librairie Nouvelle, son auteur, né en
1813, était de la génération de l'inépuisable auteur de
mélodrames, Adolphe d'Ennery (1811-1899). L’écrit fut-il
réécrit ? On ne sait, toujours est-il qu’il se lit
avec le plus grand plaisir. Le livre se présente avec
modestie : Mémoires d’un chef de claque.
Souvenirs des théâtres recueillis par Jules Lan,
mais la structure ordonnée avec des chapitres traitant
chacun d’un thème précis : les théâtres bourgeois,
les amis des artistes, les cabales, etc. et un texte où
se suivent
anecdotes diverses et portraits vivants forment un
ensemble au
goût agréable,
d’autant plus que nous sommes mis en appétit
dès la page de titre. En épigraphe, l’interrogation
excédée, pendant longtemps répétée sur tous les
tons : « Qui nous délivrera des Grecs et des
Romains ? » Le point d’interrogation a
disparu, et l'initiale majuscule, ce qui donne :
Mémoires… par Jules Lan qui nous délivrera des Grecs et
des Romains. L’alexandrin, qui ne fut pas écrit par
Joseph de Berchoux (1760-1838), mais seulement repris
par lui à un ennemi de Voltaire, Jean-Marie-Bernard
Clément (1742-1812), comme nous l’apprend Édouard
Fournier dans L’Esprit des autres (É. Dentu, 1856, plusieurs
éditions), concernait la littérature de l’antiquité
grecque et latine, ses auteurs pris en modèles, ses
citations répétées jusqu’à la nausée — ad nauseam,
comme disent d'une même voix latinistes et pédants. Jules Lan s’est amusé à
détourner le vers, car le terme de romains
s’appliquait à ces spectateurs particuliers qui
assistaient aux pièces de théâtre pour applaudir,
pleurer ou rire aux bons endroits, les claqueurs.
Romains, pourquoi ? Parce que Néron, qui se
prenait pour un auteur, avait exigé que ses pièces
représentées fussent applaudies. Et les Grecs ?
Rien à voir avec la claque, ni avec les Grecs de
l'antiquité, mais leur nom fut lui aussi
détourné : les tricheurs au jeu étaient
désignés : les grecs — sans majuscule, c’était
devenu un nom commun. Cela dit, Jules
Lan s'est peut-être laissé prendre au piège d'un trop
facile mot d'esprit, car enfin, n'était-il pas chef de
claque lui-même ?
Ou bien, a-t-il voulu dire qu'en œuvrant, à sa
manière, à la propagation des vaudevilles, il
contribuait à imposer silence aux auteurs grecs et
romains, devenus obsolètes ?
Sa fonction de chef de
claque mise entre parenthèses, Jules Lan menait une
double vie ; il fut avocat-agréé du tribunal de
commerce, et cinq ans plus tard, avoué, mais tout jeune,
il avait commencé par jouer la comédie dans le petit
théâtre du père Doyen, rue Transnonain, où il fit la
connaissance de l'acteur comique Arnal, il écrivit des
chansonnettes chantées dans les cafés, il baragouinait
six langues. Il avait écrit en 1837 un vaudeville, Le
Stagiaire ou l’Avocat sans cause, représenté douze ans plus
tard (!) aux Délass’Com’ le 5 août 1849 et aussitôt
imprimé sous le pseudonyme de Jules Lemois — le
catalogue de la BnF ne signale pas ce pseudonyme.
De ces Mémoires de
Jules Lan, savoureux en partie grâce à l’argot de
théâtre employé avec modération par l’auteur, mais
surtout parce qu’ils sont un document de première main,
on a extrait
les pages 126 à
131, ici annotées
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