Éditions  PLEIN CHANT
Bibliothèque facétieuse, libertine et merveilleuse

Un passage de la Confession publique du brocanteur
et
le commentaire du pamphlet par Octave Uzanne en 1888



La Confession publique du brocanteur, Amsterdam (sans doute Paris) 1776
Éditions Plein Chant, Bassac 1995
Bibliothèque facétieuse, libertine & merveilleuse
Réimpression d'après l'édition de Georges Andrieux, Paris, 1936




La confession publique du brocanteur, p. 27, puis p. 42


   


Le début de la confession du brocanteur

   Mon  Pere, nous allions aux ventes, où il se trouvoit ordinairement deux autres sociétés comme la nôtre: nous ne poussions les uns sur les autres que pour la forme; les Tableaux nous étoient adjugés presque pour rien, & nous partagions ensemble le bénéfice, par une méthode que nous appelons révision; c'est ainsi que nous devenions comme les héritiers de ces sortes d'effets… Après, mon cher ami… […]

La fin de la confession

   
Après, mon frere… Quand je voyois un Amateur riche, & qui n'avoit point d'argent, je lui offrois crédit, mais à des conditions les plus usuraires ; & pour lui faire encore mieux la loi, je lui prêtois de l'argent dans son besoin ; de sorte que par succession de tems, je faisois avec lui affaire sur affaire : bagues, montres, boîtes d'or, bijoux de toutes espéces, chevaux, voitures, maisons de Ville & de Campagne, jardins, &. je m'accommodois de tout, & je finissois par le ruiner.






«L'hôtel Drouot et la curiosité», compte rendu de la brochure, par Octave Uzanne, dans Les Zigzags d'un curieux, Causeries sur l'art des livres et la littérature d'art,  Quantin, 1888, p. 245 et suivantes.

  


Un des documents les plus complets qui ferait appoint à cette étude de physiologie philosophique [L'Huissier-priseur, par Sébastien Mercier, dont Uzanne vient de traiter] pourrait être extrait d'un pamphlet rarissime intitulé la Confession publique du brocanteur, publié à Amsterdam en 1776 et réimprimé par Eugène Piot, dans son excellent Cabinet de l'amateur en 1861.
 
Le singulier héros de ce libelle est un nommé Ferre-la-Mule [ferrer la mule: acheter une chose pour quelqu'un, et la lui compter plus cher qu'elle n'a coûté], marchand de tableaux, bon Parisien de la place de Grève, et qui eût été digne d'y terminer ses jours, écartelé par cent vigoureux collectionneurs.

Ce Ferre-la-Mule, au retour d'un voyage d'Amérique à Saint-Malo, à la date de 1769, se sent pris d'un si violent mal que, sur le point de périr, il fait mander un confesseur, lui criant avec désespoir: «Père aumônier, ayez pitié de mon âme, confessez-moi ! – Soit, mon cher frère, dit le prêtre. Quelle profession est la vôtre ? – Brocanteur de tableaux, reprend Ferre-la-Mule. » Puis aussitôt de s'écrier de nouveau : « Ah ! mon Père, que j'ai à me reprocher de friponneries ! que de forfaits ! que de vols ! – Allons, courage, mon cher frère, confessez-vous ! » […]

Le brocanteur en arrive à débiner le truc du sous crasse [encrasser un faux pour faire croire à une réelle ancienneté] que nous pensions si bien être une invention du XIXe siècle.

« Quand j'avais un tableau, soupire le moribond, et que je ne pouvais m'en défaire, je le cachais pendant quelque temps, je le salissais, je le mettais chez quelque pauvre personne de ma connaissance, et j'allais dire à un amateur que je savais un bon tableau sous crasse à vendre chez une personne qui n'en connaissait pas le mérite ; mais que, faute d'argent, j'avais été forcé de manquer cette bonne occasion ; que, ne pouvant l'acheter, j'étais venu l'avertir en lui disant que je serais plus charmé qu'il l'eût qu'un autre… et cet honnête homme trop crédule allait bien vite l'acheter. »

La confession se traîne en récits infinis sur toutes les filouteries pratiquées dans le négoce des tableaux […]

   Ne pensez-vous pas que ce Ferre-la-Mule ressemble furieusement à plus d'un de nos exploiteurs de tableaux contemporains, qui ont pu échanger leurs vieilles toiles contre de véritables palais ?


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