La confession publique du
brocanteur, p. 27, puis p. 42
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Le début
de la confession du brocanteur
Mon
Pere, nous allions aux ventes, où il se trouvoit
ordinairement deux autres sociétés comme la nôtre:
nous ne poussions les uns sur les autres que pour la
forme; les Tableaux nous étoient adjugés presque pour
rien, & nous partagions ensemble le bénéfice, par
une méthode que nous appelons révision; c'est ainsi
que nous devenions comme les héritiers de ces sortes
d'effets… Après, mon cher ami… […]
La fin de la
confession
Après, mon frere… Quand je voyois un Amateur riche, & qui n'avoit point d'argent, je lui offrois crédit, mais à des conditions les plus usuraires ; & pour lui faire encore mieux la loi, je lui prêtois de l'argent dans son besoin ; de sorte que par succession de tems, je faisois avec lui affaire sur affaire : bagues, montres, boîtes d'or, bijoux de toutes espéces, chevaux, voitures, maisons de Ville & de Campagne, jardins, &. je m'accommodois de tout, & je finissois par le ruiner. |
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Un des
documents les plus complets qui ferait appoint à cette
étude de physiologie philosophique [L'Huissier-priseur,
par Sébastien Mercier, dont Uzanne vient de traiter]
pourrait être extrait d'un pamphlet rarissime intitulé la
Confession publique du
brocanteur, publié à Amsterdam en 1776 et
réimprimé par Eugène Piot, dans son excellent Cabinet de l'amateur
en 1861.
Le singulier héros de ce libelle est un nommé Ferre-la-Mule [ferrer la mule: acheter une chose pour quelqu'un, et la lui compter plus cher qu'elle n'a coûté], marchand de tableaux, bon Parisien de la place de Grève, et qui eût été digne d'y terminer ses jours, écartelé par cent vigoureux collectionneurs. Ce Ferre-la-Mule, au retour d'un voyage d'Amérique à Saint-Malo, à la date de 1769, se sent pris d'un si violent mal que, sur le point de périr, il fait mander un confesseur, lui criant avec désespoir: «Père aumônier, ayez pitié de mon âme, confessez-moi ! – Soit, mon cher frère, dit le prêtre. Quelle profession est la vôtre ? – Brocanteur de tableaux, reprend Ferre-la-Mule. » Puis aussitôt de s'écrier de nouveau : « Ah ! mon Père, que j'ai à me reprocher de friponneries ! que de forfaits ! que de vols ! – Allons, courage, mon cher frère, confessez-vous ! » […] Le brocanteur en arrive à débiner le
truc du sous crasse [encrasser un faux pour faire croire
à une réelle ancienneté] que nous pensions si bien être
une invention du XIXe siècle. « Quand j'avais un tableau,
soupire le moribond, et que je ne pouvais m'en défaire,
je le cachais pendant quelque temps, je le salissais, je
le mettais chez quelque pauvre personne de ma
connaissance, et j'allais dire à un amateur que je
savais un bon tableau sous crasse à vendre chez une
personne qui n'en connaissait pas le mérite ; mais
que, faute d'argent, j'avais été forcé de manquer cette
bonne occasion ; que, ne pouvant l'acheter, j'étais
venu l'avertir en lui disant que je serais plus charmé
qu'il l'eût qu'un autre… et cet honnête homme trop
crédule allait bien vite l'acheter. » La confession se traîne en récits
infinis sur toutes les filouteries pratiquées dans le
négoce des tableaux […] Ne pensez-vous pas que ce Ferre-la-Mule ressemble furieusement à plus d'un de nos exploiteurs de tableaux contemporains, qui ont pu échanger leurs vieilles toiles contre de véritables palais ? |
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