Éditions  PLEIN CHANT
Collection Gens singuliers



   


Poulet-Malassis et la chasse aux livres






Poulet-Malassis, désespéré par le manque d'argent, se raccroche à ce qui fait partie de lui, de sa substance : les livres, mais les livres sous l'aspect de la chasse aux livres rares et non celui de la lecture. Il croit sincèrement chercher un livre qu'il pourra revendre avec bénéfice, mais en maniant et en feuilletant des livres possibles, il se donne un plaisir qui n'a rien à voir avec le commerce, un plaisir gratuit qui va jusqu'à la jouissance et emplit, littéralement, son être. Delvau comparait la chasse aux livres à l'absinthe, Octave Uzanne, commentant Les Amours jaunes (Glady frères, 1873), assimilait la lecture de ce livre de Tristan Corbière à une prise de haschich : « Lire Corbière, c'est absorber un puissant haschich phraséiforme qui grise et emparadise un doux instant » (Quelques-uns des livres contemporains , p. 40, n° 106). On ne sait si Octave Uzanne a créé le verbe emparadiser, toujours est-il que son lecteur pense aux Paradis artificiels, ceux de Baudelaire, bien sûr : « Vous êtes assis et vous fumez ; vous croyez être assis dans votre pipe, et c'est vous que votre pipe fume ; c'est vous qui vous exhalez sous la forme de nuages bleuâtres » (« Le hachisch », dans Les Paradis artificiels, Du vin et du haschich, Baudelaire, Œuvres complètes, Gallimard, la Pléiade, t. I, p. 392).

(Bibliophiles et lecturomanes, p. 115)

   













On ajoute ci-dessous un texte imprimé sur le deuxième rabat du livre.

Le péril des livres numériques et de l'informatique en général, utilisée de plus en plus souvent dans le domaine du livre, n'est présent dans Bibliophiles et lecturomanes que par une seule expression, celle de « livre robot ». Cet ouvrage, cependant, fut écrit en grande partie pour conjurer le sort qui a fait, et continuera à faire du livre au mieux une marchandise sans âme, au pire l'équivalent d'une pochette en plastique à jeter après usage ; de l'auteur un équivalent de la marque d'un produit industriel ; et du lecteur une machine consommatrice de prothèses uniformisantes. Pour faire contrepoids apparaissent ici, presque intemporelles, deux catégories d'amateurs de livres, celle des bibliophiles gourmets, vivant en cercles fermés tout en paraissant excentriques et celle des lecturomanes boulimiques, ouverts en apparence à tous les vents, en réalité gouvernés par le sentiment aigu d'une liberté individuelle, les uns et les autres liés de manière presque vitale au livre. Ces amateurs passionnés témoignent de la prééminence du livre en papier aux pages que l'on puisse tourner sans être obligé d'appuyer sur un bouton, ils confirment le besoin que nous avons de cet animal familier toujours prêt à se laisser cajoler, de cet objet à part, sorte d'excroissance de notre esprit et qui peut devenir l'égal d'une personne humaine. Seriez-vous l'ami d'un robot qui, horreur ! vous parlerait ?





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