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lorsqu'ils ne trouvent ni cuiller d'argent,
ni portefeuilles, ni billets de banque,
c'est-à-dire tous les jours que Dieu fait,
les chiffonniers, plus sages que le héron de
la fable, se rabattent sur le fretin et se
gardent bien de dédaigner quoi que ce soit.
Les yeux penchés vers la terre, comme des
brutes, ils en fouillent du regard les plus
imperceptibles cavités. Ils voient l'insecte
qui se meut et le grain de sable qui luit
entre deux pavés ; ils distinguent au
milieu de la boue, et de fort loin, la tête
éraillée d'un vieux clou ; rien
n'échappe en un mot à leur minutieuse
investigation, prompte, calme et passionnée
tout à la fois. Aussi, lorsque le jour est
bon ils ont bientôt rempli leur hotte que la
plupart d'entre eux appellent mannequin
et par dérision cabriolet. Les
débris de vaisselle, les lambeaux de
torchons, les talons de bottes, les tessons
de bouteilles, les morceaux de papier gris,
les restes de mèches à quinquets, les chiens
tués ou empoisonnés, les ossements de toute
nature et jusqu'aux fragments de légumes,
tout est marchandise, tout a une valeur,
tout est de bonne prise pour le chiffonnier.
Avec ces ordures il fera de l'argent, ce
pauvre alchimiste, et avec cet argent, il
trouvera de quoi se repaître ; et il ne
crèvera pas de faim.
(Les
Chiffonniers, p. 221.)