[Robert Chemin] 
            […] J'étais en apprentissage dans une
                    imprimerie. On faisait
                    quarante heures et on suivait des cours en plus du
                    travail : cours du soir
                    pour le français, cours du samedi matin pour le
                    calcul et le dessin, et cours
                    de typographie tout le samedi après- midi. On
                    faisait facilement quarante-huit,
                    quarante-neuf heures, en fait ; j'ai commencé à
                    14 ans. En dessin, on
                    dessinait les lettres pour les connaître et les
                    comprendre. Le prof était
                    graveur. 
                Est-ce vous qui
                    aviez choisi de travailler dans une imprimerie ? 
                Non, c'est mon père qui avait choisi pour moi.Votre
                    père était typographe ? 
                Mon père était typo ; mon grand-père
                    aussi. Alors,
                    quand j'ai eu mon certificat d'études, mon père m'a
                    dit : « je ne
                    peux pas te payer des études, tu vas travailler
                    comme tout le monde ». Comme j’étais
                  assez docile, et que je n’avais aucune idée,
                  finalement je suis entré dans une imprimerie. Ça a été
                  un peu difficile au début. 
                (…)Vous
                    n'aviez jamais fait de gravure ? 
                 Non, jamais. J'avais un bouquin de
                  Karl-Robert sur la gravure mais je n'y avais rien
                  compris parce que l'impression typo et l'impression en
                  creux n'ont rien à voir. J'ai demandé à Jeanine
                  Étienne de venir chez moi me faire une démonstration,
                  pour les tirages. 
                Vous aviez une
                    presse? 
                 Oui. je n'avais jamais gravé mais
                  j'avais eu l'occasion d'acheter à ma voisine la presse
                  du peintre Adrien Segers dont elle était l'exécutrice
                  testamentaire. La presse n'était pas en très bon état
                  mais elle ne me l'avait pas vendue cher. 
                J'ai eu du mal au
                  début parce que apprendre l'eau-forte, c'était assez
                  compliqué. Et je voulais faire du burin parce que dans
                  le livre de Karl-Robert, j'avais lu qu'on pouvait se
                  servir d'un outil et attaquer le cuivre directement.
                  Et je connaissais, depuis l'Occupation, un descendant
                  des Buquet, graveurs depuis cinq générations. Un jour,
                  je le rencontre dans la rue et il m'invite à venir chez lui :
                    « Mon père te montrera tout le matériel
                    et te donnera des notions de burin ». Si bien
                    qu'en très peu de temps, je
                    trouve quelqu'un qui me montre les outils, la façon
                    de s'en servir et qui m'en
                    offre une bonne partie. Et je trouve le Traité
                      du burin
                      d'Albert Flocon. Là, je me suis emballé et ça dure
                      toujours ! 
                Je connais bien toutes les autres techniques mais ce que je préfère, c'est travailler au burin, c'est-à-dire dessiner directement dans le cuivre. Au début, on s'enfonce le burin dans le doigt car dans les livres, la façon de le tenir n'est jamais indiquée et il est impossible de le tenir de la manière dont c'est montré sur les photos. C'est le père Buquet qui m'a expliqué comment tenir le burin contre la paume de la main, comment pousser avec l'épaule et non avec la main et comment deux doigts servent de bascule. Il faut être bien assis, bien à plat et tenir le cuivre car, en fait, on dessine de la main gauche et non pas de la droite; les courbes, c'est la main gauche qui les fait, qui tourne le cuivre. Ce n'est pas le burin qui tourne, c'est le cuivre. Le reste, c'est de l'huile de coude.    Ce que
                  j'aime dans le burin, c'est que c'est une technique
                  pure tandis que l'aquatinte, l'eau-forte sont des
                  techniques femelles. On appelle le burin technique
                  mâle parce qu'on attaque
                  directement la matière alors qu'avec les autres
                  techniques, c'est indirect, sauf la pointe-sèche avec
                  laquelle on attaque directement. 
                Pourquoi préférez-vous dessiner sur du cuivre plutôt que sur du papier ? C'est
                  la technique qui me plaît. Sur le papier, je ne suis
                  pas capable d'aller au bout d'un dessin. Tandis
                  qu'avec le burin, il y a une technique qui est
                  difficile mais passionnante. Ce genre de technique me
                  passionne vraiment. 
                Sur le papier, je
                  préfère l'aquarelle. 
                J'aime ce qui est
                  précis. Quand je fais quelque chose, je ne veux pas
                  qu'on ait à se demander ce que cela représente. 
                Vous gravez aussi des bois ?  Le bois est venu beaucoup plus
                  tard, il y a douze ans environ. J'aime beaucoup le
                  bois en tant que matière. En regardant les Valloton,
                  je me posais beaucoup de questions. Et j'ai rencontré
                  Jean-Marcel Bertrand à Paris qui, lui, gravait du bois
                  de bout alors que je voulais graver du bois de fil. Il
                  m'a donné deux ou trois tuyaux, ce qui est mieux que
                  ce que l'on trouve dans les bouquins. 
                C'est quand je suis
                  allé en Turquie que je me suis mis à faire un bois.
                  J'ai eu envie de graver des cavaliers que j'avais vus,
                  des types montés sur des bourricots. 
                Et puis, c'est venu
                  beaucoup plus tard parce qu'il fallait une autre
                  presse; j'utilisais celle de l'école d'imprimerie que
                  j'ai achetée quand ils ont voulu s'en débarrasser.
                  Maintenant, j'ai deux presses. Le bois que je viens de
                  faire pour le Hamsun (Knut Hamsun - Sur les bancs de
                    Terre-Neuve), c'est sur ma presse que je l'ai
                  tiré. 
                Pourquoi
                    choisissez-vous le bois ou le burin ou l'eau-forte
                    au moment de vous mettre au travail ? 
                   Ça vient
                  comme ça. J'ai envie de faire un bois ou j'ai envie de
                  faire un cuivre. Je me demande s'il n'y a pas avantage
                  à alterner. C'est un plaisir différent, une autre
                  façon de voir. Le sujet ne vient qu'après, sans aucun
                  rapport avec la technique. Mais parfois, c'est la
                  surface qui vous oblige à changer de technique. Sur
                  une grande surface, le burin est fastidieux. 
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