Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas
Jérôme-Pierre Gilland
Les conteurs ouvriers
Préface par George Sand
Étude par Jean Prugnot




Les conteurs ouvriers





Portrait de Gilland par René Augeron, exécuté d’après une lithographie devenue introuvable, et publié dans Maintenant en 1946 et 1948.


        
Né en 1815, fils et petit-fils de bergers de la Brie, l’ouvrier serrurier Jérôme-Pierre Gilland fut l’un de ces militants héroïques des années précédant la Révolution de 1848, qui ont œuvré dans des conditions particulièrement difficiles à l’affranchissement économique et moral des travailleurs. Collaborateur du journal d’ouvriers l’Atelier – qui milita pendant dix années, de 1840 à 1850, en faveur du suffrage universel et de l’association ouvrière de production –, Gilland salua le rétablissement de la République en février 1848, et brigua (sans succès, mais il faut dire que la propagande contre les socialistes était féroce) un mandat de représentant du peuple à l’Assemblée constituante. La répression brutale de l’insurrection de juin 1848 lui valut cinq mois de prison, repos forcé dans lequel il put écrire les contes que nous présentons ici. Après son acquittement, Gilland sera élu représentant du peuple à l’Assemblée législative de 1849, où il siégera avec les démocrates socialistes, jusqu’au coup d’État du 2 décembre 1851. Il meurt d’épuisement en 1854, à trente-neuf ans.
La sensibilité romantique des contes de Gilland ne masquera sans doute pas au lecteur attentif la critique sociale souvent mordante dont ils sont traversés, ni la résonance actuelle de certaines interrogations.
Ainsi, « La fille du braconnier » dévoile les effets pervers de la philanthropie officielle, quand l’anonymat de l’hôpital remplace brutalement l’assistance collective des habitants d’un village à une jeune femme dont ils connaissent les malheurs.
« L’incompris » évoque sur un mode léger, à travers les confidences de deux jeunes ouvriers, Joseph et André (un ouvrier-poète dans lequel on reconnaîtra Gilland sans trop de peine), la question de savoir si l’effort pour se cultiver peut se concilier avec la fidélité aux siens. On y trouvera des échos anticipés à ce qu’Albert Thierry appellera plus tard « le refus de parvenir ».
Dans un long conte largement autobiographique, « Les aventures du petit Guillaume », la situation faite aux jeunes apprentis et l’exploitation économique du travail des enfants sont largement illustrées et fortement dénoncées.
Enfin, le dernier texte de notre recueil, « Le fermier et le curé », expose sous forme de dialogue les principes d’organisation du travail pour lesquels Gilland et les autres ouvriers collaborateurs du journal l’Atelier ont milité dans les années 1840. Les questions qu’ils se posaient ne paraîtront peut-être pas complètement désuètes : « Qu’est-il besoin du maître pour fabriquer et produire ? Est-ce une chose à jamais indispensable que cet agent avide de gain qui mesure avec une parcimonie si excessive le salaire ? » La coopérative de production, dont les formes légales se cherchent dans les années 1840, fournissait une réponse pratique : non, l’exploitation n’est pas inéluctable ; en nous associant, nous pouvons supprimer les maîtres – non point en attentant à leur personne physique, mais en rendant caduque leur fonction sociale ; par cette transformation pacifique de l’organisation du travail, chacun deviendra son propre maître, associé à d’autres producteurs sur un pied d’égalité.
À une société fondée sur le mépris et l’exploitation de l’homme par l’homme, Gilland oppose son idéal d’une société fondée sur le respect de la dignité humaine et la fraternité – une société dans laquelle on donnerait à chacun le moyen de vivre en travaillant, et où l’association des travailleurs aurait remplacé l’exploitation du travail. Cet idéal, d’inspiration ouvertement évangélique, nourrit un socialisme pratique dont l’association ouvrière de production est la clé.






Titre de l’édition originale qui annonçait également des chansons et poésies (non reprises dans notre édition).


   

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