Éditions  PLEIN CHANT
Collection Voix d'en bas

Neel Doff : Elva (Extrait)



Neel Doff
Elva, suivi de Dans nos bruyères
Présentation de Jean-Pierre Canon
Bassac
2015

   



Elva, page 27


Peu à peu elle me raconta :
« Son père était mort quelques mois avant la guerre.
Sa mère restait avec sept enfants dont le plus jeune venait de naître. Que faire ! Elle se fit marchande de beurre, d'œufs, de pommes de terre ; puis, en cachette des Allemands, elle transporta de l'or et de l'argent monnayés que les paysans vendaient, avec de gros bénéfices, aux gens de la ville, et elle gagna beaucoup de gros sous. Les enfants couraient à l'abandon, n'apprenaient rien et se pervertissaient. Elle, Elva, était à chaque instant malade et placée dans des colonies scolaires pour se retaper. Elle était si indisciplinée que la sœur qui avait la garde du troupeau l'appelait à tout instant « chameau » ; ce mot lui avait fait tant impression que, chaque fois qu'elle l'entendait, elle avait un haut-le-corps d'indignation, me disait-elle. Vers quatorze ans, elle dut accompagner sa mère chez les paysans et porter à chaque bras de lourds paniers d'œufs et de beurre.
– Ma mère allait dans une ferme, moi dans une autre, mais elle achetait cent œufs quand je n'en achetais pas vingt-cinq. Tu comprends, je me mettais à rigoler avec les gens au lieu de marchander. J'ai dû cesser, c'était un métier trop dur pour moi.
Rigoler, c'était bien ça : elle était une rigoleuse et rien que cela. »


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