À
Edmond Thomas
Son
Céline (1)
vient de sortir : ah, l’heureuse rencontre,
madame ! quelle chance est la mienne ! lui
écris-je au dos d’un devoir sur l’Émile ; j’ai découvert Bagatelles
pour un massacre et
Voyage au bout de la nuit entre Paul Chack et Alexis
Carrel dans la bibliothèque de mon grand-père l’officier
de marine et depuis je ne quitte plus ma
folie-Céline ! j’ai marqué au mur
pris au début de Bagatelles, et
la réponse de Robinson au
« Maman ! maman ! » du capitaine du
Voyage qui
crève en pissant le sang, et lorsque j’entends maman
m’apporter mes calmants… mille cinq cents putains de
wagons de foutre (2) vite !
vite ! je raccroche les paysages de tatie Georgette
au-dessus de mes inscriptions ! et je fourre la
bouteille au fond de l’armoire ! écris-je à ma
télé-enseignante et votre nom, NICOLE DEBRIE,
fait BRIO DE CELINE ! quelle
aventure, décidément ! c’est inouï ! et voilà
qu’un demi-siècle après j’envisage de retracer pour le
site Plein Chant l’histoire de ma célinopathie !
inouï vraiment. Et
si l’on se bornait aux souvenirs du fameux exposé du lycée
de Mont-de-Marsan « Céline juge de
Ferdinand » ? Non,
non, racontons plutôt notre expédition à Paris chez Nicole
Debrie ! Et
la traversée de la Ville phare à la recherche du domicile
de ta payse Christine de Rivoyre ? Phare
mon œil ! ai-je rejoint Christine ? La
porte s’est ouverte l’espace de vingt secondes et
cinquante centimètres seulement, le temps d’un regard et
demi, et votre roman s’est arrêté
rue Suger (3) en 1974. Simple
pause… Parce que la vie n’est pas finie non mais sans
blague ! Ou presque pas. Ainsi
soliloqué-je tandis que Jean-Jacques sirote, lisotant,
depuis deux cent soixante-douze ans il digère sa
« chère petite brioche » dans le secret du
confessionnal au milieu de ses fleurs desséchées
d’immortelles, cela pourrait donner une touchante élégie
pour le site Plein Chant mais ne voilà-t-il pas que notre
élève par correspondance accélère le rythme de ses
buvettes à la maison natale !
il se cingle le nez ma parole ! il a balancé Rousseau
et branché le pick-up où Gainsbourg chante La Nuit
d’Octobre
la
traîtresse « à l’œil sombre », « au regard
corrupteur », est-elle George Sand ? Mme
Beaulieu ?… sandiens et beaulieusards se déchirent,
il se démolissent la tronche, il ne se passe pas une nuit
d’octobre que l’un d’eux ne succombe sous les coups, la
guerre des exégètes ayant éclaté en 1857 aux obsèques de
Musset évaluez le total des pertes humaines et chantez la
Sand ou la Beaulieu, selon la voix de votre cœur, en
autant de vers de six pieds que le poète a vu d’automnes,
tel est le dernier devoir proposé au garçon dont je suis
le précepteur, je lui enseigne à cinquante ans et cent
verstes de distance le français arithmétique grâce à la
machine à descendre de temps mais il a sa dodose, le
drôle ! laissons-le cuver ! s’il dort assez vite
(5ans/heure environ) il peut être moi, à ma place, au
réveil, et qui sait alors si ne jaillira la bonne idée de
note pour le site Plein Chant, parce que, entre nous, ce
que j’ai écrit jusqu’ici ou rien, c’est kif-kif (4) : « À Mont-de-Marsan, nous avions un copain d’une naïveté sans nom, Labenête, on lui fit croire que tout ce qu’il disait était un calembour, il ne pouvait plus ouvrir la bouche sans que nous éclatassions de rire, et, s’il demandait du feu, on le suppliait d’en finir avec ses jeux de mots tuants, un soir, chez Pascalin, on a appris son suicide à l’asile psychiatrique voisin du lycée, où il s’était réfugié de peur d’attenter à ses jours, et puis la bande s’est disloquée, j’ai su au fil du temps la mort de tous les camarades. » (5)
|
|||
|
Archives de
Marginalia 2012 | Accueil |