Éditions PLEIN CHANT
Marginalia





La mésaventure d'un libraire
ou
Piron, soupirons…




Piron décida, en 1753, de préparer une édition de ses œuvres, une édition grave et sage. Pendant cinq ans, il trie, remanie, élimine tout ce qui nous plaît encore en lui, les contes en vers bien lestes, les épigrammes, les chansons. Le texte désastreux, illustré par des figures en taille-douce d'après des dessins de Cochin, fut imprimé en trois volumes (janvier 1758) par le libraire Nicolas-Bonaventure Duchesne, rue Saint-Jacques, au Temple du Goust. Le libraire commença par refuser de payer Piron, prétextant que le public « réclamait  les bonnes gaudrioles et priapées auxquelles l'échec de l'auteur à l'Académie avait donné un regain d’actualité » (1). Il y avait eu maldonne, car Duchesne avait pensé, à l'origine, pouvoir donner au troisième tome les poésies badines de Piron. Paul Chaponnière fit de l'aventure un article « Un mémoire inédit de Piron contre le libraire N.-B. Duchesne » (Revue des livres anciens, Documents d'histoire littéraire de bibliographie et de bibliophilie, Fontemoing & Cie, 1913, t. I, fascicule II, p. 171 et suiv.) qu'il concluait ainsi : « encore qu'il eût les torts les plus graves, on ne saurait trouver absolument injustifiée la réclamation de Duchesne, tout en riant de sa déconvenue. Le Normand avait cru gagner une fortune en publiant les œuvres du plus grivois des poètes de son temps ; il assemble patiemment toutes les pièces qui couraient sous le manteau, les paie largement et, pour ses six mille livres, le malin Bourguignon ne lui voulait donner que des tragédies, des odes sacrées et le chant neuvième d'un poème épique ! »

NOTE.
1. Sur cette édition, Piron avait écrit un mémoire inédit, déniché par Paul Chaponnière. Rappelons que Piron ne put devenir académicien à cause de son Ode à Priape qui commençait ainsi :


Foutre des neuf Garces du Pinde ;
Foutre de l'amant de Daphné
Dont le flasque vit ne se guinde
Qu'à force d'être patiné :
C'est toi que j'invoque à mon aide
Toi qui dans les cons d'un vit roide
Lance le foutre à gros bouillons !




Ci-dessous une pièce libre de Piron qui, en plus d'être badine réussit l'exploit d'avoir été construite sur une seule rime, la voyelle a de Imola, ville d'Italie.


     







Le Franciscain d’Imola

Un Franciscain du Couvent d’Imola
Chez un Seigneur qui logeoit près de là,
Couchoit un jour. Sitôt qu’il s’éveilla
Pour oraison ses draps il barbouilla ;
C’étoit son us. Soubrette sur cela,
Vient & lui porte un ample chocola.
En la lorgnant le cafard l’avala ;
Puis pour acquit il la dépucela,
Non sans effort, car le lit s’ébranla.
Madame accourt pour mettre le holà :
Mais lui troussant & jupe & falbala,
De prime abord, Moine la verrouilla.
Il redoubloit, quand M. Spinola
Entre. Le Pere à l’instant l’enfila
Droit par l’anus ; & trait pour trait, voilà
Un Franciscain du Couvent d’Imola.


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