Des
anagrammes, il y en a de
toutes sortes et même d’approximatives,
lorsque la langue a évolué. En 1594, quand
Jean Châtel essaya de tuer Henri IV, les
Parisiens firent courir des anagrammes sur les
membres de la Ligue, en particulier sur le
procureur général du parlement de Paris,
Jacques de La Guesle, qui avait accompagné
Jean Châtel auprès du roi. Pierre de L’Estoile
(Journal de L’Estoile pour le règne de
Henri IV. I, Gallimard,
1948, p. 440) en cite plusieurs, parmi
lesquelles on remarque celle-ci,
« Jacques de La Gaille : Laquais
de la Ligue ». De La Guesle à
La Gaille, le chemin est long – pour la
graphie, mais non pour la prononciation car
Gaille devait se dire Guaile, tout en
s’écrivant Guesle. L’anagramme fit fortune,
tant et si bien qu’un autre ligueur, Pierre
Acarie, resté dans l’histoire en tant
qu’époux de celle qui deviendra carmélite
sous le nom de Marie de l'Incarnation, fut
surnommé « le laquais de la
Ligue », comme il est dit par Louis
Maimbourg dans l’Histoire de la
Ligue
(Paris, 1683), livre I, année 1584, p.
57 : « (…) le sieur Acarie Maistre
des Comptes, qu'on appella depuis par ironie
le Laquais de la Ligue, parce qu’estant
boiteux, il estoit de ceux qui alloient
& venoient, & agissoient avec le
plus d'empressement pour les interests du parti ».
Pour demeurer dans le domaine des meurtres
de roi, rappelons l’anagramme de
« frère Jacques Clément »,
l’assassin de Henri III, citée dans la
Satyre Ménippée, au chapitre des
tapisseries de la salle des États. Sur la
quatrième tapisserie, qui représentait des
assassins célèbres, était représenté un
moine sur le front duquel « estoit
escrit en grosses lettres l’Anagramme de son
nom, Frere Jacques Clement : C’EST
L’ENFER QUI M’A CRÉÉ »
(édition de 1709, Ratisbonne, t. I, p. 20).
D’une manière générale, le XVIe
siècle, à partir du règne de François Ier,
vit naître la mode des anagrammes trouvées à
partir des noms de famille et destinées à
caractériser le possesseur du nom. Antoine
Furetière écrira dans une note pour sa Nouvelle
allégorique (1658) :
« C’est quand, en retournant les
lettres du nom d’une personne, on trouve
quelque sentence ou éloge qui luy
convient ». Il va de
soi que les rois furent privilégiés. Dans la Défense
et illustration de la langue française (1549,
ch. VIII), Du Bellay cite,
pour Henri III, « Henry de
Valoys : Roy es de nul hay ». En
1613, un avocat au parlement de Provence,
Thomas Billon, publie Le bon Ange
de la France. Raportant
soixante deux Anagrammes en formes de
presages, voeux, ou benedictions, le tout
heureusement tiré... du... tres-auguste
Nom de Louys XIII…, édité la même
année à Dijon par Claude Guyot, imprimeur du
roi et à Lyon par Léon Savine. Un habitant
des Flandres, Alexandre van den Bussche,
surnommé le Sylvain des Flandres, publie en
1576 sous l’anonymat – mais il est nommé
dans le privilège et il signe sa dédicace
Alexandre sylvain – Poèmes
et Anagrames composez des
lettres du nom du Roy, et des Roynes
ensemble de plusieurs Princes et
Gentilshommes et Dames de France (Paris,
chez Guillaume Julian), 138 pages. On y peut
lire en hommage à Henri III, roi de
Pologne (mais pas à la manière du roi
Ubu !) de 1573 à 1575 avant de devenir
roi de France, un poème en acrostiche
« sur le nom du Roy avecque l’anagramme
au bout. A son retour de Pologne ». Les
lettres de l’acrostiche sont HENRY
DE VALLOIS (avec deux L pour
permettre l’anagramme du dernier
vers) :
(…)
L’aspect
plusqu’autre brave & doux de
vostre face
O Roy il[s] vous
ont prins pour finir leur malheur
Iustement en
naissant Dieu vous fit ceste grace
Surquoy vostre
nom dit ainsi
DES LOIN AY L’HEUR.
Autrement dit, Henri III a
trouvé le bonheur au loin. Suivront sept
anagrammes pour la reine, Loyse (Louise) de
Lorraine, ainsi : « DE LYS
ROYAL ORNÉE ».
Loués, les rois ne le furent pas
toujours, et un tome de la Satyre Ménippée, intitulé Remarques
sur la Satyre Ménippée (édition de 1709,
Ratisbonne, t. II) mentionne, page 347, un
libelle mais sans en donner le titre, où le
nom de Henri de Valois est anagrammatisé en
latin : O CRUDELIS HYENA
(ô cruelle hyène) et en français : VILAIN
HERODE.
stienne Tabourot, Seigneur des
Accordz
Tabourot des
Accords, magistrat et auteur
des réjouissantes Bigarrures (Les
Bigarrures du seigneur des Accordz, Paris, chez
Jean Richer, 1583), qui paraîtront ensuite
augmentées, souvent rééditées, consacre un
chapitre aux « Anagrammatismes ou
anagrammes ». Il avait trouvé
« Pontus de Tyard / Tu as
don d’esprit (on rappelle : Pontus de
Thyard, 1521-1605, poète de la Pléiade),
mais il apprit que le poète Daurat (Jean
Dorat, c’est-à-dire Jean le doré,
1508-1588, de son nom Jean Dinemandi) et
Jacques Peletier (Jacques Peletier
du Mans) l’avaient déjà
faite. Il avait trouvé, dans le
nom de Pierre de Ronsard, ARROSÉ
DE PINDE, tandis que Daurat
proposait ROSE DE PINDARE.
Tabourot rapporte un conte lu dans Les
Nouvelles récréations et joyeux devis de
feu Bonaventure Des Périers (Nouvelle
LXXIV. De Jehan Doingé, qui tourna son nom
par le commandement de son père)
concernant un réel Jean Gedoin et son
fils. Le fils, cherchant une anagramme
pour GEDOIN en trouva
deux : « Janin Godé » (cocu
ivre) et « Angin Doye » (tête,
c’est-à-dire ici, intelligence [engin
vient du latin, ingenium,
esprit],
d’oie). Commentaire du narrateur qui feint
d’ignorer, mais pour mieux la mettre en
évidence, l’absurdité des trouvailles de
Gedoin fils, et s’attarde sur la
seconde : « Quelqu’un me
dira : Voyre, mais nous n’escrivons
pas engin par a :
non ; mais que voulez-vous ?
qu’un homme perde une si belle devise
comme celle-là pour le changement d’une
seule lettre ? »
Réaliste, mais
nullement choqué, Tabourot constate :
« on fait des Anagrammes plustost sur
le vice, que sur la vertu. Comme de jeunes
Escholiers, qui payerent leur hostesse
Tholosane, nommee Madone François
Proutet,
de ce bel Anagramme : NOC
PREST A Y ERTUOF. »
Bien
entendu, l’anagramme est à lire en inversant
deux mots inconvenants que, par décence,
Tabourot a écrit à rebours, ce qui
donne :CON PREST A Y
FOUTRE.
eux dictionnaires au début du XIXe
siècle
Pour terminer,
voici deux anagrammes répertoriées dans le Dictionnaire
historique
des personnages célèbres… avec
l’étymologie et la valeur de leurs noms et
surnoms…, par François Noël (Paris, 1806) et
deux autres empruntées au Dictionnaire
infernal
de Jacques Collin de Plancy (1re
édition, 1825-1826, souvent réédité).
François Noël.
« Alérion est l’anagramme
de Lorraine;
et c’est pour cela, dit-on, que la maison de
Lorraine porte des alérions dans ses
armes » (ch. XV. De l’Anagramme et de
l’Acrostiche, p. 80).
Les alérions sont des aiglons
sans bec ni pattes, utilisés en héraldique, et
il faut utiliser le mot ancien de Lorraine,
Loreina.
« On a trouvé (…) dans l’abbé
Miollan, Ballon abîmé » (ibid.).
Le
ballon aérostatique dans lequel notre abbé
avait pris place à Paris, le 11 juillet
1784, s’était embrasé.
Jacques Collin de Plancy.
« deux religieux en
dispute, le père Proust et le père d’Orléans,
faisaient des anagrammes ; le père Proust
trouva dans le nom de son confrère : l’Asne
d’or, et
le père d’Orléans découvrit dans celui du
père Proust : Pur sot » (Entrée
« Anagramme »).
voir la
cervell renversée
?
Au lieu de perdre
son temps à ce que
certains tiennent pour des futilités,
on peut partager l’opinion exprimée en
vers par Guillaume Colletet, – presque
immanquablement citée lorsqu’il est
traité de l’anagramme. Ne manquons pas
à la tradition ; la voici,
rapportée dans le Menagiana ou les
bons mots… de Monsieur Menage,
recueillie par ses Amis (Paris, chez
Florentin Delaulne), 1715, t. II, p.
287 :
« Il faut avouer
que ceux qui s’appliquent à cela
[faire des anagrammes] se
tourmentent cruellement pour trouver
des mots dans des mots. Je ne
pourrois jamais me donner tant de
fatigue. […] M. Colletet a aussi
très-bien exprimé dans des vers
qu’il m’a adressez, le tems que l’on
perd inutilement à faire des
Anagrammes. Les voici :
J'aime mieux
sans comparaison,
Ménage,
tirer à la rame,
Que d'aller
chercher la raison
Dans les
replis d'une Anagramme.
Cet exercice
Monacal
Ne trouve
son point vertical
Que dans une
tête blessée :
Et sur
Parnasse nous tenons,
Que tous ces
renverseurs de noms
Ont la
cervelle renversee ».
La mode,
cependant, a duré jusqu’à nos jours,
au point qu’il existe maintenant des
logiciels pour fabriquer des
anagrammes. On aimerait lier cette
invention à la conclusion désabusée
de Tabourot des Accords pour son
chapitre consacré aux
anagrammatismes et anagrammes :
« Aujourd’huy ceste invention
est si commune, que chacun s’en
mesle, voire y en a qui en font
marchandise ».