Éditions PLEIN CHANT

Marginalia

27 juin 2015





Divers sons de cloche




Une chanson populaire :

Maudit sois-tu carillonneur
Que Dieu créa pour mon malheur
Dès le point du jour, à la cloche,
Il s'accroche,
Et le soir encore,
Carillonne plus fort !
Quand sonnera-t-on la mort du sonneur ?


RABELAIS, Gargantua, O.C., Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, ch. XVII, p. 49 :

(Gargantua)
« considera les grosses cloches que estoient esdictes tours [les tours de Notre-Dame] : et les feist sonner bien harmonieusement. Ce que faisant luy vint en pensée qu’elles serviroient bien de campanes [clochettes ; vient de Campanie, province réputée au temps de Pline le Jeune pour ses objets en métal] au coul de sa jument, laquelle il vouloit renvoier à son père toute chargée de froumaiges de Brye et de harans frays. De faict les emporta en son logis. »

Charles NODIER, Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux (Paris, Delangle Frères), 1830, « Aberration », p. 157 :

« Et la marquise de Chiappapomposa auroit sonné toutes les cloches et toutes les clochettes,
[…]
Les beffrois et les carillons,

Le clarum tintinnabulum de Catulle, et la clocqua titubans de Merlin Coccaïe ;
La campana de Vililla qui annonçoit d'elle-même, suivant le bon homme Quinonez, l'avènement d'un pape, et celle de Sainte-Marie de Carabaça qui allégrement se trémoussoit et cantilénoit joyeusement aux vigiles de l'Assomption –
La sonnerie de Saint-Roch et de Saint-Eustache, le Bourdon, Georges d'Amboise et la Samaritaine –
Toutes les cloches enfin de toutes les dimensions qui se trouvèrent clochatoirement rangées selon leur ordre chromatique au dernier concile des cloches, où fût carilloniquement altisonnée la canonisation de Janotus de Bragmardo – que Spinette ne seroit pas venue ! »


≈ BOILEAU, Satire VI, connue sous le titre « Les embarras de Paris », O.C., Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1979, p. 34.

Tout conspire à sortir le poète d’un bienheureux sommeil, et les cloches font partie du complot :

J'entens déjà par tout les charettes courir,
Les massons travailler, les boutiques s'ouvrir :
Tandis que dans les airs mille cloches émuës,
D'un funebre concert font retentir les nuës,
Et se mélant au bruit de la gresle et des vents,
Pour honorer les morts, font mourir les vivants.

 

[Gabriel Peignot], Essai chronologique sur les hivers les plus rigoureux… suivi de quelques recherches sur les effets les plus singuliers de la foudre, par G.P. (Paris et Dijon), 1821, p. 201 :

« Le 27 juin 1819, à deux heures après-midi, dans la commune de Lax, canton de Rodez, on chantait vêpres dans l’église succursale ; le sonneur de la paroisse met en branle sa petite cloche pour détourner l’orage qui fondait sur le village. La foudre attirée par la vibration de l’air, tombe sur le clocher, suit la corde de la cloche jusqu’au bras de l’imprudent sonneur, et lui enlève une lisière de peau de sept à huit lignes, depuis le haut de l’épaule jusqu’au pied. Le tonnerre pénètre de suite dans l’église, renverse tous les fidèles, et même le curé ; brûle une partie du surplis de ce dernier, et disparaît sans avoir fait d’autre mal que celui de la peur. »

 

≈ François ARAGO,  « Notices scientifiques sur le tonnerre », Est-il utile ou dangereux de sonner les cloches en temps d’orage, dans l’Annuaire pour l’an 1838, présenté au Roi par le Bureau des longitudes (Paris, Bachelier, imprimeur-libraire du Bureau des longitudes et de l’École Polytechnique), 1837.

François Arago rappelle, page 544, sur le mode de l’information et non plus de l’anecdote suspecte, un fait analogue qui s’était produit un an plus tôt :

« Durant la nuit du 14 au 15 avril 1718, dans l’espace compris entre Landerneau et St.-Pol de Léon, en Bretagne, le tonnerre tomba sur 24 églises, et précisément, dit Fontenelle, sur celles où l’on sonnait pour l’écarter. M. Deslandes qui transmit ces détails à l’Académie, ajoutait : des églises voisines où l’on ne sonnait pas furent épargnées. »

Page 548, Arago s’exprime en homme de science et met les choses au point :

« Dans l’état actuel de la science, il n’est pas prouvé que le son des cloches rende les coups de tonnerre plus imminents, plus dangereux ; il n’est pas prouvé qu’un grand bruit ait jamais fait tomber la foudre sur des bâtiments que, sans cela, elle n’aurait point frappés. »


Georges RODENBACH décrit dans Le Carillonneur (Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle), 1897, un concours de carillonneurs à Bruges.
Page 7, puis page 11 :

« Le concurrent eut la malencontreuse idée de jouer des refrains d’opérettes et de cafés-concerts, d’un mouvement saccadé et preste. Les cloches sautaient, criaient, riaient, comme chatouillées, trébuchaient, avaient l’air un peu ivres et folles. On aurait dit qu’elles relevaient leurs jupes de bronze, se déhanchaient en un cancan cynique. Le peuple fut d’abord surpris, puis se fâcha de ce qu’on faisait faire et dire à ses bonnes cloches séculaires. Il eut l’impression d’un sacrilège. Des huées montèrent vers la tour, en belles rafales … »

Un dernier concurrent, un vrai Flamand, Joris Borluut, s’asseoit devant le clavier et donne à entendre un vieux chant populaire, le Lion de Flandre :

« La foule écouta, haletante. On ne savait même plus si c’était le carillon qui tintait, et par quel miracle les quarante-neuf cloches du beffroi ne faisaient plus qu’un – chant d’un peuple unanime, où les clochettes argentines, les lourdes cloches oscillantes, les antiques bourdons, apparurent vraiment des enfants, des femmes en mantes, des soldats héroïques, s’en revenant vers la ville qu’on croyait morte. La foule ne s’y trompa point ; et, comme si elle voulait aller au-devant de ce cortège du passé, que le chant incarnait, elle entonna à son tour le noble hymne. Ce fut une contagion sur la Grande Place entière. Chaque bouche chanta. Le chant des hommes alla dans l’air à la rencontre du chant des cloches ; et l’âme de la Flandre plana, comme le soleil entre le ciel et la mer. »

 


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